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Il ne perdait pas son temps, le jeune Gabassol. En deux jours, il avait acquis des notions d'équitation suffisantes pour se risquer à faire un tour à cheval au Bois de Boulogne.

— Je n'ai pas le temps d'apprendre à monter à cheval, avait-il dit aux écuyers du manège, apprenez-moi seulementn tomber sans me faire trop de mal. On l'avait compris et l'on avait dirigé son éducation en conséquence. Cabassol, d'ailleurs, avait de véritables dispositions pour la science difficile de l'équitation ; suivant lui, esprit éminemment simplificateur, toute cette science se réduisait à deux points. Pour monter à cheval il faut : 1° ne pas se laisser tomber, et 2° savoir diriger sa monture. .

Et encore l'article 2 est de beaucoup le moins important : ne pas tomber est le principal, puisque du moment où l'on ne se laisse pas désarçonner, on doit toujours arriver à diriger son cheval, soit par la persuasion, soit à coups de cravache.

Or, l'objectif principal étant pour le cavalier d'éviter les chutes, Gabassol avait étudié les chutes. On peut tomber de cheval de quatre côtés : par le flanc droit, par le flanc gauche, par-dessus la tête et par-dessus la queue. La première leçon avait été consacrée à apprendre la manière de tomber par le flanc gauche sans se faire de mal. Cabassol s'en était tiré avec quelques contusions légères.

Dès la seconde leçon, le maître de Gabassol put constater de réels progrès; son élève apprit sans trop de mal à tomber par la droite. La chute pardessus la queue, quand on a un peu de sang-froid, n'offre pas de grandes difficultés, et c'est aussi la plus gracieuse; on tombe assis; le tout est d'avoir l'air de s'asseoir naturellement. Gabassol y parvint; après deux heures d'exercice, il tombait avec une élégance telle, que, d'après le professeur, il semblait à le voir qu'une duchesse venait de lui dire gentiment : « Prenez donc un siège, cher marquis! » Restait la chute par-dessus la tête, Cabassol la gardait pour la fin, car c'est la plus difficile; elle exige une certaine souplesse de reins et une solidité de poignets peu commune ; il l'étudia soigneusement et son professeur fut content de lui.

En quatre leçons, Cabassol avait appris tout ce qu'il voulait connaître. Le cinquième jour, il prit une cravache sérieuse, sauta en selle et partit avec

Il eut la joie d'entrevoir Éléonore savourant sa poésie.

l'intention d'aller faire un tour aux Champs-Elysées. Malgré toutes les remontrances et toutes les objurgations de l'éperon et de la cravache, le cheval refusa de s'engager dans la grande avenue, et prit par le Cours la Reine. Cabassol ne tomba qu'une fois et encore il eut l'adresse de tomber sur une pelouse.

Avant de remonter, il tourna la tête de sa monture vers une allée transversale, devant regagner l'avenue, et il sauta en selle.

À l'angle de l'avenue, il eut l'occasion de s'apercevoir qu'en un quart d'heure il avait déjà fait de notables progrès. Le cheval ayant manifesté l'intention de tourner à droite, quand son maître désirait monter à gauche vers l'Arc de Triomphe, Cabassol réussit à l'en dissuader. La cravache bien maniée est un éloquent moyen de persuasion. Enfin le problème du cheval dirigeable était résolu! Cabassol ne tomba qu'une fois, —parle flanc gauche — en revenant.

Le lendemain, il était au bois parmi les autres cavaliers, à l'heure où M me de Ghampbadour endossait son élégante amazone pour faire sa promenade quotidienne.

Comment s'y prit-il pour entrer en relations personnelles avec la charmante vicomtesse dès ce matin même ? D'une façon bien simple. Dans une allée déserte, où Éléonore se livrait aux douceurs d'un temps de galop, suivie du seul Bob, le groom corrompu par l'or de Cabassol, notre héros mita profit ses leçons du manège, et tomba de cheval de la façon la plus gracieuse, juste devant M m0 de Champbadour. Son secret espoir était que cette dame épouvantée s'évanouirait aussitôt, et qu'il aurait le bonheur de la recevoir dans ses bras. Son désir ne s'accomplit point; M me de Champbadour ne s'évanouit pas, elle se contenta de pousser un cri d'effroi gracieusement modulé et d'arrêter brusquement sa monture.

Notre héros, en se relevant, sans qu'Eléonore eût pensé à s'évanouir, songea qu'il aurait mieux fait d'accepter le moyen de Bob : l'ingénieux Bob avait proposé de couper une courroie de la selle de sa maîtresse, ce qui, à un moment donné, eût amené une chute et l'évanouissement demandé.

L'évanouissement manquante son programme, Cabassol, après s'être relevé, tira gravement un papier de sa poche, et le tendit à M me de Champbadour étonnée. Cela fait, il mit la main sur son cœur, en s'inclinant profondément, et sauta en selle pour s'éloigner, d'un air mélancolique.

Ce papier c'était le neuvième sonnet!

Et M m0 de Champbadour le lut avec des battements de cœur.

En vérité, depuis le temps des Buckingham et des Bassompierre, avait-on vu façons plus galantes et plus chevaleresques !

Il restait trois sonnets, les plus ardents, les plus enflammés ; des strophes de lave, destinées à mettre le feu aux poudres et à dévorer le cœur d'Eléonore ! Le lendemain, à la même heure, dans la même allée, et de la même façon, Cabassol remit le dixième à la belle Champbadour.

Cette fois elle faillit s'évanouir. Cabassol ne partit pas, comme la veille, à tjute bride, il remonta sur son cheval et chevaucha longtemps, à côté de l'amazone, en recherchant les allées ombreuses.

Au moment de reprendre la grande allée du bois, M me de Champbadour, pressée par l'ardent Cabassol, dut lui accorder ce qu'il demandait: un rendez-vous! Que voulez-vous! Pouvait-elle laisser ce malheureux fou risquer sa vie pour lui remettre chaque jour un sonnet de la même façon? Non, non, il y aurait eu trop de cruauté, cela n'était pas possible! Et rougissante, troublée, le cœur battant à tout rompre, la vicomtesse avait elle-même indiqué l'endroit tranquille et sûr où le poète pourrait la voir.

C'était pour le jour même à trois heures au sommet de l'Arc de Triomphe. Gabassol, en quittant le bois, arrêta son cheval devant le bureau télégraphique de l'avenue de la Grande-Armée, et envoya la dépêche suivante à M e Taparel.

— « Quatrième vengeance se prépare. — Plate-ibrme Arc de Triomphe 3 heures. — Venez ! »

« Cabassol. »

— Si cela continue à marcher avec cette rapidité, se dit Gabassol en s'en allant tranquillement déjeuner, j'aurai achevé ma tâche en moins d'un an, Badinard sera vengé, et je pourrai me donner du bon temps!

A trois heures moins un quart, notre héros descendait de voiture sous la voûte de l'Arc de Triomphe et commençait l'escalade du monument. Tout allait bien, la plateforme était déserte. Accoudé sur la balustrade, une lor-

Sur la plate-forme de l'Aro de Triomphe.

guette à l.i main, Gabassol explora du regard la grande avenue des Champs-Un fiacre jaune qui montait Lentement au milieu d'une auréole de poussière fit battre son cœur, dès qu'il l'aperçut; quelque chose lui disait que ce iiaere jaune devait abriter l'incognito de la charmante vicomtesse. En effet, à l'angle de l'avenue, le fiacre s'arrêta el. M mo de Ghampbadour, hermétiquement voilée, mais reoonnaissable pour le cœur de Gabassol, en descendit, relevant ses jupes el sautillant pour éviter le jet d'eau d'un arrjoseur municipal.

Enfin, après avoir bien regardé autour d'elle, la vicomtesse pénétra dans le monument.

Gabassol, charmé, courut l'attendre à l'entrée de l'escalier. Au bout de cinq minutes, horreur 1 au lieu de la vicomtesse, ce fut la tête d'un Anglais qui parut, un Anglais long, desséché, au visage orné d'une grande barbe jaune ; derrière lui un autre Anglais se montra, court et apoplectique avec la même barbe jaune, le même chapeau casque à voile, la même lorgnette en bandoulière. Après cet Anglais replet, un autre Anglais maigre parut, puis un autre rondelet, puis un autre et encore un autre Cabassol en compta trente-sept, il pensa que c'était tout; mais, après une minute d'intervalle, une nouvelle série mit le pied sur la plate-forme. C'était la série des gens mariés, les dames étaient en majorité, toutes avec des vêtements à carreaux en forme de sacs et des abat-jour invraisemblables en guise de chapeaux.