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- Déja

— Oui, j'avais un prétexte, l'ambassadeur cherche à traiter, pour le prince de Zanguebar, d'un emprunt hypothéqué sur trois cents lieues carrées de forêts vierges avec leurs arbres, leurs lianes et leurs animaux. J'ai parlé adroitement de vous et de M 0 Taparel, je vous ai annoncé comme étant les lumières de la finance, les flambeaux de l'économie politique. Alors l'ambassadeur m'a remis pour vous deux invitations à son grand dîner diplomatique de ce soir.

Et Nestor Miradoux tira de sa poche une jolie carte sur bristol portant en tête les armes de Zanguebar. En même temps il laissa tomber un objet métallique que Cabassol ramassa.

— Qu'est-ce que c'est que ça?

— Ça? c'est une décoration que m'a donnée l'ambassadeur de Zanguebar. Il a été si content qu'il a été chercher cela dans son bureau, qu'il en a orné ma boutonnière en me disant : « Vous g'and homme ! vous, ami de Zan-gueba, ze fais vous zevalier du Gocodile d'azent ! » Et voilà, je suis chevalier du Crocodile d'argent, ça se porte à la boutonnière, et c'est en nickel.

— Avez-vous de la chance !

— Oui, mais le secrétaire de l'ambassade a couru après moi et m'a réclamé 48 fr. 50 pour droits de chancellerie, et j'ai donné.40 sous de gratification au concierge.

— N'importe, chevalier, recevez mes félicitations! Et M e Taparel?

— M e Taparel est un peu indisposé, il est retiré dans ses appartements, il vous prie de l'excuser... mais à six heures il sera sur pied, et vous pourrez le prendre en passant pour aller à l'ambassade.

Cabassol, en sortant de chez le notaire, allait machinalement se diriger vers l'hôtel Hippocrate.

— Suis-je bête! se dit-il en se rappelant son entresol de la rue Saint-Georges, je retournais vers ma pauvre petite chambre... Eh! sapristi, j'y pense, la rive gauche m'est désormais interdite. Et les petites clames de Bullier, les cinq voitures que ce brave M e Taparel a envoyées à l'Arc de triomphe ! On m'arracherait les yeux si l'on me tenait! Allons rue Saint-Georges et préparons-nous pour la soirée zanguebarienne.

Il s'était passé tant de choses depuis la veille que Cabassol avait oublié le numéro de sa demeure ; il parcourut toute la rue Saint-Georges sans reconnaître sa porte. Comme il hésitait entre trois ou quatre maisons, il prit le parti de s'informer près des concierges.

A l'étude. — En voilà un oncle! murmurait Cornclie.

— M'. Gabassol, s'il vous plaît? -- Nous n'avons pas ça ici.

Il alla plus loin.

— M. Gabassol?

— M. de Gabassol, à l'entresol, la porte à gauche.

— Merci !

Gabassol sonna enfin chez lui et reconnut avec satisfaction son groom. Les quelques heures qui lui restaient furent consacrées à la toilette. Gabassol voulait être étincelant pour paraître devant une ambassadrice. A cinq heures, habillé, barbifié, coiffé en parfait gommeux avec trois mèches tombant en pointe au milieu du front, Gabassol fit venir une voiture et se dirigea vers l'étude de M e Taparel.

Cette fois, il traversa l'étude en homme nourri dans le sérail et entra chez le notaire.

L'étude le connaissait bien, on ne parlait que de lui et des dérangements que la succession Badinard causait à M e Taparel, jadis si casanier. Un jeune clerc avait trouvé sur son bureau des épingles à cheveux, un autre avait, en arrivant le matin, ramasse une jarretière rose, sous sa chaise! C'en était assez pour bouleverser ces jeunes imaginations. En interrogeant adroitement le concierge, on avait appris le retour de M c Taparel à six heures du matin, avec des clients et des clientes d'allures bizarres. Étrange ! étrange ! Et toutes ces

courses ! tout ce remue ménage' d'une étude jadis si tranquille ! Le principal clerc M. Miradoux savait tout, mais il était impénétrable.

M e ïaparel terminait sa toilette.

— Je suis à vous, mon cher ami, dit-il en entendant la voix de Cabassol, je suis à vous. J'explique à M me ïaparel que ce soir l'affaire Badinard nous conduit dans le grand monde et que nous n'aurons pas les ennuis de la soirée d'hier.

— Madame, s'écria Cabassol, je vous conjure d'oublier les bizarreries de notre arrivée un jeune clerc avait ramassé une ce matin ; hier, c'était une soirée irrégulière, jarretière rose.

tout à fait irrégulière, les exigences de notre tâche nous avaient conduits, votre mari et moi, dans un monde un peu... dans un monde légèrement...

— Oh! fît M mc Taparel en baissant les yeux, épargnez-moi ces détails!

— Bref, dans un quart ou un huitième de monde à peu près! Mais aujourd'hui, madame, c'est dans la haute aristocratie, dans les salons diplomatiques, dans le grand monde enfin, que la succession Badinard nous entraîne!

— Monsieur Cabassol, vous me tranquillisez! au moins M. Taparel n'aura pas sujet de s'exposer à une autre migraine...

M c Taparel ayant complété par un nœud majestueux sa solennelle cravate blanche, on pouvait partir.

— Ah ! mon jeune ami, s'écria le notaire en montant en voiture, j'ai passé une journée cruelle, le notariat, comme la religion, a ses martyrs!

L'hôtel de l'ambassade zanguebarienne était situé avenue de Friedland, au fond d'un petit jardin bien ombragé. En l'honneur de ses hôtes, l'ambassadeur avait suspendu sous les arbres des guirlandes de lanternes vénitien-ru - et japonaises, et caché sous un massif une demi-douzaine de musiciens qui jouaient sur des pistons et des trombones criards les airs nationaux français et zanguebariens. De loin l'hôtel avec ses lanternes, son orchestre, avait une apparence de petit Mabille ; le cocher de Cabassol n'eut pas- à chercher le numéro, il s'arrêta devant la grille grande ouverte, au milieu d'un groupe de badauds émerveillés.

Un suisse posté devant la grille frappa un coup de sa grosse canne. Il était superbe ce suisse : de sa face on ne voyait que deux yeux blancs roulant avec impétuosité et l'ouverture rouge d'une bouche fendue par un large sourire; au-dessus de cette, boule noire se dressait un immense chapeau rouge galonné d'or et garni de plumes blanches. Le reste de l'individu était perdu dans une grande houppelande également rouge et or,

Soirée diplomatique à 1 ambassade do Zanguebar.

timbrée sur la poitrine d'une plaque aux armes de Zaagiîebar, crocodile d'or sous croissant rouge.

Le coup de canne du suisse avait amené deux valets de pied à boule noire et livrée rouge, qui débarrassèrent MM. Cabassol et Taparel de leurs pardessus et les introduisirent dans un salon luxueux. L'ambassadeur vint au-devant de ces messieurs avec un sourire absolument semblable à celui de son superbe suisse.

— Bonsoir, messieurs! dit-il, vous bien gentils, bien aimables pou Zan-gueba, venez qu Q . je vous pésente à l'ambassadice I

— Excellence, c'est le plus cher de mes vœux! répondit M 0 Taparel.

Dans le fond du salon, au milieu d'un cercle d'invités des deux sexes mais tous également noirs, l'ambassadrice causait dans un langage bizarre tenant le milieu entre le français et le zanguebarien. Les hommes étaient irréprochables de tenue, tous vêtus de l'habit noir, tous cravatés de blanc, et tous admirablement coiffés par des artistes qui avaient dû passer beaucoup de temps et user pas mal de pommade, pour donner à leurs chevelures crépues le tour exigé par la mode, c'est-à-dire une raie au milieu de la tête et quelques mèches plaquées sur le front.

Les femmes, très élégantes aussi, étaient plus bizarres d'apparence, leurs épaules noires sortaient de corsages à teintes éclatantes, de robes collantes roses ou jaunes enrichies de bandes de dentelles; mais, dans ces groupes à têtes noires, ce qui tirait l'œil avec le plus d'intensité, c'était l'éclatante blancheur des mains, couvertes de splendides gants blancs; hommes et femmes gesticulant avec animation, on voyait sans cesse passer et repasser toutes ces mains aux doigts déliés, blanches comme des mains de plâtre.