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Mais ça n’aiderait pas Egwene, s’il s’y résignait. Il devait gagner. Et vite !

Rand passa soudain de la défense à l’attaque. Face à ce changement, le haut seigneur ne put dissimuler sa surprise. Exécutant le Sanglier qui Dévale la Montagne, le jeune duelliste ne cherchait plus qu’une chose : toucher le Seanchanien et lui faire mal. Débordé, Turak dut reculer, ses pas le rapprochant toujours plus de la porte.

Alors que son adversaire tentait comme il le pouvait de résister au Sanglier, Rand passa à ce qui devait être l’ultime phase du combat. La Rivière qui Blesse sa Berge… Se laissant tomber sur un genou, il frappa de haut en bas et de droite à gauche. Un coup imparable parce que parfaitement imprévisible. Pour savoir que l’affaire était entendue, il n’eut pas besoin d’entendre le cri de Turak ni de sentir sa lame entailler la chair. Un bruit sourd lui annonçant que le haut seigneur venait de lâcher son arme, Rand leva la tête, son regard remontant jusqu’à la pointe de son épée. Proprement éventré, Turak s’écroula sur le tapis, inondant de sang les oiseaux qui en formaient le principal motif. Les yeux grands ouverts, le maître escrimeur seanchanien ne voyait pourtant déjà plus rien.

Le vide vacilla. Rand avait déjà affronté des Trollocs et d’autres créatures du Ténébreux. Mais, sauf à l’entraînement, ou afin d’intimider un fâcheux, il n’avait jamais dégainé son arme face à un autre être humain.

J’ai tué un homme…

Le vide vacilla encore et le saidin tenta de s’emparer de Rand. Le refusant, il se libéra du cocon et regarda autour de lui, le souffle court. Stupéfait, il vit que les deux serviteurs étaient toujours au même endroit. Qu’allait-il donc en faire ? Ils ne portaient pas d’armes, mais s’ils donnaient l’alerte…

Les deux hommes ne bronchèrent pas, le regard rivé sur le cadavre de Turak. Puis ils sortirent chacun une dague de sous leur tunique. Rand serra plus fort son épée, mais les serviteurs retournèrent leur arme contre leur propre poitrine.

— De la naissance à la mort, dirent-ils à l’unisson, je sers la Lignée.

S’enfonçant la lame dans le cœur, ils tombèrent en avant, presque paisiblement, comme s’ils entendaient se prosterner à jamais devant leur maître mort.

Rand douta un instant de ce qu’il voyait.

Des fous… Mon destin est peut-être de perdre la raison, mais pour eux c’était déjà fait depuis longtemps !

Alors que le jeune homme se redressait, les jambes un peu tremblantes, ses compagnons revinrent dans la salle. Tous arboraient des coupures et des ecchymoses. La veste de cuir d’Ingtar était tachée de sang, dans la main de Mat la lame de la dague était aussi rouge que le rubis qui ornait son pommeau et Perrin, blanc comme un linge, serrait entre ses mains une hache au croissant écarlate.

— Tu les as eus ? demanda Ingtar en regardant les cadavres. Dans ce cas, nous en avons terminé, si personne d’autre n’a donné l’alerte. Nos adversaires n’ont pas appelé au secours une seule fois.

— Je vais voir si les sentinelles ont entendu quelque chose, dit Hurin.

Il se dirigea vers une fenêtre.

— Rand, soupira Mat, ces gens sont fous. Je sais, ce n’est pas la première fois que je dis ça, mais là c’est vrai… Les serviteurs…

Rand retint son souffle, se demandant s’ils s’étaient tous suicidés.

— Tous ceux qui nous ont vus se sont jetés à genoux, la tête entre les mains… Prosternés comme des imbéciles, ils n’ont jamais tenté d’aider les soldats, ni essayé d’en appeler d’autres. Ils doivent toujours être à plat ventre, à mon avis…

— Mais ils finiront par se relever…, souffla Ingtar. Nous devons y aller !

— Filez, dit Rand. Egwene…

— Espèce de crétin ! explosa l’officier. Nous avons ce que nous sommes venus chercher : le Cor de Valère. L’espoir d’être tous sauvés ! Que représente une femme, même si tu l’aimes, comparée à un tel enjeu ?

— Pour moi, le Ténébreux peut récupérer le Cor, pour ce que ça me concerne ! Si j’abandonne Egwene, rapporter le Cor à je ne sais qui ne me consolera pas. Après un tel acte, le Cor ne me sauverait pas davantage que le Créateur en personne. Je serais damné à jamais.

— Tu ne parles pas au figuré, n’est-ce pas ? demanda Ingtar, impassible.

— De l’agitation dehors ! annonça Hurin. Un type vient d’arriver en beuglant, et ils s’agitent tous comme des poissons dans un seau. Et, maintenant, voilà que l’officier entre dans la maison !

— On file ! cria Ingtar.

Il voulut s’emparer du Cor, mais Mat était déjà parti au pas de course. Rand hésita jusqu’à ce que l’officier le prenne par le poignet et le tire dans le couloir. Mat et Perrin fonçaient déjà sur les talons de Hurin.

— Tu ne sauveras pas cette fille en crevant ici ! cria Ingtar.

Perrin tourna la tête et eut un regard peiné pour son ami.

Rand courut. Une part de lui le maudit mille fois, mais une petite voix souffla dans sa tête : Tu reviendras, et tu la sauveras.

Alors qu’il atteignait bon dernier le bas de l’escalier en colimaçon, Rand entendit une voix d’homme, dans la maison, exiger que quelqu’un se relève et parle enfin.

Une servante en robe transparente se prosternait au pied des marches et une femme aux cheveux gris en tablier blanc faisait de même devant la porte de la cuisine. Dans l’exacte position décrite par Mat, toutes deux ne relevèrent même pas la tête pour voir passer les intrus. Cependant, elles respiraient, la preuve qu’elles ne s’étaient pas transpercé le cœur.

Les cinq fuyards traversèrent le jardin puis entreprirent d’escalader le mur. Ingtar lâcha un juron quand Mat lança le Cor devant lui, puis, une fois de l’autre côté, il tenta en vain de le récupérer.

— Il est intact ! lança Mat en remontant la ruelle à toute allure.

Derrière les cinq hommes, une femme cria et un gong retentit, venant de la maison.

Je reviendrai pour Egwene… D’une façon ou d’une autre…

En attendant, Rand suivit ses compagnons.

46

Sortir des Ténèbres

Alors qu’elles approchaient de la maison des damane, Nynaeve et ses compagnes entendirent des cris qui semblaient monter de la maison d’en face. Un attroupement s’était formé dans la rue et les passants, accélérant le pas, jetaient des coups d’œil soupçonneux à Nynaeve, visible de loin avec sa robe ornée d’éclairs, et à la femme qu’elle tenait en laisse.

Changeant nerveusement son baluchon d’épaule, Elayne regarda avec inquiétude la bâtisse surmontée de l’étendard au faucon doré.

— Que se passe-t-il ? s’inquiéta-t-elle.

— Rien qui nous concerne…, répondit Nynaeve.

— Enfin, tu l’espères, intervint Min, et moi aussi.

Elle accéléra le pas, prit de l’avance sur les autres et entra dans la grande maison qui abritait les damane.

Nynaeve enroula plusieurs fois la laisse autour de son poignet.

— N’oublie pas, Seta : tu veux traverser tous ces événements sans te faire remarquer. C’est exactement ce que nous désirons aussi…

— Je sais, et je ne vous attirerai pas d’ennuis, souffla la sul’dam.

Pour ne pas être reconnue, elle rentrait la tête dans ses épaules, le menton touchant presque sa poitrine.

Alors que les trois femmes s’engageaient sur les quelques marches du porche, une sul’dam et sa damane sortirent de la maison. Après leur avoir jeté un bref coup d’œil, pour s’assurer que la porteuse du collier n’était pas Egwene, Nynaeve n’accorda plus un regard à l’étrange duo lorsqu’elle le croisa. Elle utilisa l’a’dam pour forcer Seta à se tenir très près d’elle. Ainsi, au cas où elle sentirait la présence d’une femme capable de canaliser, la damane penserait qu’il s’agissait de Seta, qu’elle prendrait pour une de ses collègues.