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— Hurin, tu nous attendras ici…, dit Rand. Quand ce sera fini… Eh bien, ici, tu ne risqueras rien.

Hurin dégaina son épée courte comme s’il pensait qu’une telle arme puisse être d’une quelconque utilité à un cavalier.

— Toutes mes excuses, seigneur Rand, mais n’y compte pas ! Je n’ai pas compris le dixième de ce que j’ai entendu, ni de ce que j’ai vu, mais je suis venu jusqu’ici, et j’ai bien l’intention d’aller jusqu’au bout du chemin.

Artur Aile-de-Faucon flanqua une grande claque sur l’épaule du renifleur.

— Parfois, la Roue nous envoie des renforts, mon ami… Qui sait, peut-être chevaucheras-tu parmi nous un jour ?

Hurin se redressa sur sa selle comme s’il venait d’être adoubé. Artur, lui, s’inclina à l’intention de Rand.

— Avec ta permission, seigneur Rand… Sonneur, veux-tu bien nous faire entendre la musique du Cor de Valère, la mieux choisie pour nous lancer dans la mêlée ? Et toi, porte-étendard, auras-tu la grâce de nous ouvrir la route ?

Mat souffla de nouveau dans le Cor, très longtemps et très fort – la brume tout entière en résonna –, puis Perrin talonna son cheval. L’épée au héron dégainée, Rand avança, flanqué de ses deux amis.

Il ne voyait rien, à part un rideau de brume blanche – et pourtant il continuait inexplicablement à suivre le déroulement des événements. À Falme, où quelqu’un utilisait le Pouvoir pour frapper les rues et le port, au sein de l’armée seanchanienne et au cœur de la légion agonisante de Fils de la Lumière. Tout cela flottant au-dessus ou au-dessous de lui, sans que rien ait changé d’un iota. À croire que le temps s’était figé depuis que Mat avait soufflé pour la première fois dans le Cor. Pourtant, des minutes s’étaient écoulées avant que les héros répondent à l’appel. Mais, quoi qu’il en soit, tout se remettait en mouvement.

Le cri sauvage que Mat tirait maintenant du Cor fit écho au roulement de tonnerre des sabots, alors qu’une centaine de chevaux se lançaient au galop. Rand chargea à la tête de ses forces, se demandant s’il savait où il allait. Autour de lui, la brume s’épaissit encore, occultant les uns après les autres les rangs de héros qui chevauchaient vers la bataille. Très vite, Rand ne vit plus que ses trois amis. Couché sur l’encolure de son cheval, Hurin l’encourageait à accélérer encore. Sans cesser de sonner du Cor, Mat parvenait à rire aux éclats. Ses yeux jaunes brillant, Perrin brandissait l’étendard comme s’il était né pour ça.

Puis Rand prit un peu d’avance et ne distingua même plus ses trois compagnons. Ainsi, il chevaucherait seul, en ce jour terrible ?

Pas vraiment, car, d’une certaine façon, il distinguait toujours les trois hommes. Mais de la manière impossible dont il voyait Falme et les Seanchaniens, sans savoir où ils étaient ni où il se trouvait lui-même. Serrant plus fort son épée, il sonda de nouveau le rideau blanc de brouillard. Si étrange que ce soit, il chargeait seul dans la brume et cela semblait normal – comme s’il avait dû en être ainsi depuis toujours.

Soudain, Ba’alzamon se dressa devant lui dans la brume, les bras en croix.

Rouquin se cabra, désarçonnant son cavalier. Alors qu’il volait dans les airs, Rand serra très fort son épée, afin que l’impact avec le sol ne le force pas à la lâcher. Mais l’atterrissage n’eut rien de brutal. En réalité, c’était comme se recevoir sur… absolument rien… Un instant en vol plané, celui d’après sur le sol, sans transition ni traumatisme.

Lorsque Rand se fut relevé, il constata que son cheval n’était plus en vue. Ba’alzamon, là et bien là, avançait vers lui, un bâton carbonisé entre les mains. Deux adversaires face à face dans le brouillard, et plus rien qui existât. Derrière le Père des Mensonges s’étendait une zone d’ombre. Non parce que le brouillard était noirci, mais parce que cette obscurité l’avait d’une façon ou d’une autre anéanti.

Comme précédemment, Rand voyait sur plusieurs niveaux. Quelque part, Artur Aile-de-Faucon et les autres héros affrontaient les Seanchaniens au cœur d’un brouillard à couper au couteau. Portant toujours l’étendard, Perrin jouait de la hache pour tenir ses ennemis à distance, mais sans vraiment chercher à les blesser. Mat sonnait toujours du Cor et Hurin avait sauté de selle pour se battre avec son épée courte et sa dague, comme on le lui avait appris.

Avec leur écrasante supériorité numérique, les Seanchaniens auraient dû réduire en bouillie une centaine de combattants. Pourtant, c’étaient eux qui se débandaient…

Rand avança à la rencontre de Ba’alzamon. À contrecœur, il accepta le vide, puisa dans la Source Authentique et s’emplit de Pouvoir. C’était le seul moyen. Peut-être n’avait-il aucune chance contre le Ténébreux mais, s’il en avait une, il fallait passer par le Pouvoir. Cette force qui déferlait dans ses membres, se communiquant à ses vêtements, son épée, tout ce qui l’entourait… Il aurait juré qu’il brillait plus fort que le soleil. Et cela le terrorisait, lui donnant envie de vomir.

— Écarte-toi de mon chemin ! Je ne suis pas ici pour toi !

— La fille ? ricana Ba’alzamon.

Des flammes rugirent dans sa bouche. Ses brûlures étaient guéries, laissant quelques rares cicatrices roses qui s’estompaient déjà. Ainsi, il avait l’air d’un fort bel homme dans la force de l’âge. Si on oubliait ses yeux et sa bouche.

— Mais laquelle, Lews Therin ? Cette fois, tu n’auras personne pour t’aider… Tu m’appartiendras ou tu mourras. Et, si tu meurs, tu seras également à moi.

— Menteur ! cria Rand.

Il abattit sa lame, mais le bâton de Ba’alzamon la dévia dans une gerbe d’étincelles.

— Père des Mensonges !

— Crétin fini ! Les imbéciles que tu as invoqués ne t’ont-ils pas dit qui tu étais ?

Le Ténébreux eut un éclat de rire enflammé – littéralement.

Même dans son cocon de vide, Rand eut un frisson glacé.

Auraient-ils pu mentir ? Je ne veux pas être le Dragon Réincarné !

Rand serra plus fort son épée et repartit à l’attaque. Écarter la Soie… Hélas, le bâton de Ba’alzamon parait chaque coup, toujours dans un jaillissement d’étincelles qui rappelait ce qu’on pouvait voir dans une forge.

— J’ai une mission à Falme, et elle n’a aucun rapport avec toi. Comme toujours !

Il faut que je détourne son attention jusqu’à ce que mes amis aient libéré Egwene.

Toujours contre toute logique, il suivait le déroulement de la bataille, qui se concentrait désormais directement devant la ville.

— Sinistre idiot ! Tu as soufflé dans le Cor de Valère, et te voilà lié à lui ! Crois-tu que la vermine de la Tour Blanche te lâchera, maintenant ? Ces femmes te mettront autour du cou des chaînes dont tu ne te débarrasseras jamais !

Rand fut tellement surpris qu’il s’en aperçut même dans le vide du cocon.

Il ne sait pas tout ! Il ignore qui a soufflé dans le Cor !

Certain que sa stupéfaction se lisait sur son visage, Rand redoubla ses efforts afin de détourner l’attention de Ba’alzamon. Le Baiser du Colibri à la Rose Jaune. La Lune sur l’Eau. L’Envol de l’Hirondelle.

Des éclairs naquirent du contact entre la lame et le bâton, scintillant jusque dans le cœur de la brume. Contre toute attente, Ba’alzamon recula, ses yeux plus embrasés que jamais.

Du coin de son œil mental, Rand vit les Seanchaniens battre en retraite dans les rues de Falme. Les damane se déchaînaient, éventrant la terre avec le Pouvoir de l’Unique, mais leurs maléfices ne pouvaient rien contre Artur Aile-de-Faucon et les autres héros du Cor de Valère.

— Veux-tu rester à jamais un cafard caché sous une pierre ? lança Ba’alzamon.