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Min traversa la maison, passa dans le jardin… et trouva l’homme qu’elle cherchait.

Au pied d’un chêne, Rand gisait sur le dos. Le teint très pâle et les yeux fermés, il serrait dans sa main droite la poignée d’une épée dont le bout de la lame avait à demi fondu. La poitrine du jeune homme se soulevait beaucoup trop lentement et beaucoup trop irrégulièrement pour qu’on pût qualifier cela de « respiration ».

Après s’être empli les poumons d’air afin de se calmer, Min alla voir ce qu’elle pouvait faire pour Rand. Pour commencer, décida-t-elle, il fallait lui retirer de la main le moignon d’épée. S’il s’agitait, il risquait de se blesser ou d’éventrer sa sauveteuse. Ouvrant la main du jeune homme, Min fit la grimace quand elle constata que la poignée y était collée. Tirant d’un coup sec, elle sépara l’arme du guerrier, jetant au loin ce qui restait de l’épée au héron. Puis elle vit que le pauvre Rand avait un héron imprimé dans la main – comme une marque au fer rouge. Mais, à l’évidence, ce n’était pas la cause de son évanouissement.

Comment s’est-il fait ça ? Nynaeve mettra un de ses onguents sur la blessure, quand nous en aurons fini avec tout ça…

Un examen rapide apprit à Min que les coupures et les contusions n’étaient dans leur grande majorité pas nouvelles. Des croûtes avaient eu le temps de se former et les hématomes tournaient au jaune sur leur circonférence. Mais le plus préoccupant restait le trou que le jeune homme portait au côté gauche. Un coup qui avait sans peine traversé les vêtements puis la peau…

Ouvrant la veste du blessé, Min remonta au maximum sa chemise et ne put s’empêcher de lâcher un long sifflement. Rand avait une blessure sur le flanc, mais elle s’était cautérisée toute seule. Cela dit, le contact de sa peau rappelait la mort dix fois plutôt qu’une. À côté de cette glace, l’air semblait aussi doux qu’un vent du désert…

Min prit Rand par les épaules et le tira vers la maison.

— Grand crétin ! se défoula-t-elle. Tu n’aurais pas pu être petit et léger ? Mais messire se sentait mieux avec tout un fatras de membres et des épaules larges comme l’océan d’Aryth ! Rand, je devrais te laisser ici, rien que pour te faire enrager !

Elle gravit cependant les marches. Puis elle constata qu’il n’était pas facile de préserver l’intégrité physique d’un patient quand on devait le tirer dans un escalier. Multipliant les précautions, elle réussit à franchir le seuil et laissa Rand dans l’entrée. En se massant les reins, elle se plaignit amèrement du sort injuste qui lui était réservé. Ensuite, non sans vitupérer contre la Trame, elle entreprit de visiter la demeure. Elle trouva très vite une petite chambre – sans doute celle d’un serviteur – où le lit était fait devant une cheminée déjà garnie de bois. Travaillant avec méthode, Min ouvrit le lit. Ensuite, elle alluma le feu dans la cheminée et fit de même avec la lampe posée sur la table de chevet. Puis elle retourna chercher Rand.

Le tirer dans la pièce puis le hisser sur le lit ne fut pas un jeu d’enfant, mais elle y arriva quand même. Une fois le blessé sous les couvertures, elle prit le temps de souffler, puis glissa une main dans le lit… et soupira d’accablement. Les draps étaient glacés et ils le resteraient, inutile de compter sur la chaleur corporelle de Rand – proche du néant – pour y changer quelque chose. Eh bien, puisqu’il le fallait, Min allait le réchauffer. Se couchant près de lui, elle le prit dans ses bras et le serra contre elle. Il avait besoin de secours mais, si elle se mettait en quête de Nynaeve, il serait mort à son retour, ça ne faisait aucun doute.

Il a besoin d’une Aes Sedai… Moi, je peux simplement lui donner un peu de chaleur…

Un moment, elle étudia le visage de Rand, n’y voyant que les traits d’un tout jeune homme et aucune trace d’une quelconque personnalité antérieure.

— J’aime les hommes plus âgés que moi, dit-elle au blessé, même s’il ne l’entendait pas. Des hommes éduqués et intelligents. Sais-tu que je ne m’intéresse absolument pas aux fermes et aux moutons ? Et moins encore aux jeunes bergers ? (Du bout des doigts, elle caressa les cheveux soyeux de Rand.) Mais tu n’es plus un berger, pas vrai ? Ce temps-là est révolu. Par la Lumière ! pourquoi la Trame me lie-t-elle ainsi à toi ? Pourquoi n’ai-je pas eu droit à un destin sans péripéties ni danger ? Par exemple être sur un radeau, sans vivres, et en compagnie de dix Aiels affamés !

Entendant du bruit dans le couloir, Min leva les yeux au moment où la porte s’ouvrait. Elle découvrit Egwene, qui regardait le lit, les yeux ronds.

— Eh bien…, souffla-t-elle simplement.

Min sentit qu’elle s’empourprait.

Pourquoi ai-je l’impression d’avoir fait quelque chose de mal ? Quelle idiote !

— Rand est blessé et je lui tiens chaud. Egwene, il est froid comme le marbre.

Egwene n’avança pas davantage dans la chambre.

— Je me suis sentie attirée jusqu’ici, dit-elle. Comme s’il avait besoin de moi. Elayne a éprouvé la même chose. Je crois que c’est lié à… à ce qu’il est. Mais Nynaeve n’a rien senti du tout. (Elle prit une inspiration saccadée.) Nos deux amies s’occupent de réunir des chevaux. Nous avons retrouvé Bela. Pour les autres, les Seanchaniens ont laissé derrière eux la plupart de leurs montures. Nynaeve dit que nous devons partir le plus vite possible… Min, tu sais ce qu’il est, n’est-ce pas ?

— Je le sais, oui…

Min aurait au moins voulu retirer son bras de sous la tête de Rand, mais elle ne parvenait pas à bouger.

— Enfin, je crois le savoir… Mais quelle importance ? Il est blessé, et je ne peux rien pour lui, à part lui tenir chaud. Nynaeve sera sans doute capable de l’aider…

— Min, tu sais qu’il ne peut pas se marier. Il est dangereux pour chacune de nous, mon amie.

— Parle pour toi ! (Elle attira Rand contre elle.) Tu te souviens de ce qu’a dit Elayne ? Tu n’as pas voulu de lui, parce que tu préférais la Tour Blanche. Alors, en quoi ça te dérange, si je le veux pour moi ?

Egwene dévisagea un long moment Min. Sans regarder un instant Rand. Non, rien que sa rivale. Sentant qu’elle s’empourprait, elle voulut détourner les yeux, mais elle n’y parvint pas.

— Je vais chercher Nynaeve, finit-elle par dire.

Au prix d’un effort, elle réussit à s’en aller, la tête haute et le dos bien droit.

Min aurait voulu la rappeler, mais elle n’en trouva pas la force, et des larmes perlèrent à ses paupières.

C’est ainsi que ça doit être… Je le sais, parce que je l’ai vu en chacun d’eux… Mais je refuse de participer à tout ça.

— Et tout ça, c’est ta faute ! reprocha-t-elle au corps sans conscience de Rand. En fait, non, tu n’es pas coupable. Mais tu paieras quand même le prix, j’en ai peur. Nous sommes tous englués dans une toile d’araignée, comme des mouches… Que ferait Egwene si je lui disais qu’une autre femme viendra – une femme qu’elle ne connaît pas encore ? Et qu’en penserais-tu toi-même, mon doux seigneur ? Ou mon gentil berger ? Tu es plutôt agréable à regarder, mais… Par la lumière ! je ne sais même pas si c’est moi que tu choisiras ! Et j’ignore si j’en ai vraiment envie ! Ou tenteras-tu de toutes nous faire sauter sur tes genoux ? Ce n’est peut-être pas ta faute, Rand al’Thor, mais ça n’a rien de juste.

— Pas Rand al’Thor, dit une voix féminine musicale sur le seuil de la chambre. Lews Therin Telamon. Le Dragon Réincarné.

Min tourna la tête vers la plus belle femme qu’elle ait jamais vue. De longs cheveux noirs, une peau d’albâtre, des yeux plus sombres que la nuit… Vêtue d’une robe blanche qui aurait fait pâlir d’envie la neige, elle ne portait que des bijoux d’argent, jusqu’à la ceinture qui ceignait sa taille.