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Le jeune homme rougit jusqu’aux oreilles.

— Ce n’est pas pour toi, dit-il, mais c’est pour moi. C’est personnel.

Le bâtonnier sourit.

— As-tu donc déjà des clients ?

— Mais pourquoi pas ? fit Jacques. Je suis inscrit à l’assistance judiciaire.

— Ce ne sont pas les clients de l’assistance judiciaire qui vous envoient des lettres qui sentent aussi bon. Enfin, petit, cela te regarde, je ne suis pas un père sévère.

Jacques changea volontiers le sujet de la conversation, car la lettre qu’il avait découverte mêlée au volumineux courrier de son père, bien qu’elle lui fût destinée, provenait en effet de sa petite amie, Brigitte.

Elle lui demandait un rendez-vous et Jacques, tout en continuant à dépouiller le courrier paternel, cherchait un moyen de s’éclipser le soir même pour aller la retrouver, lorsque, brusquement, de ses doigts tomba une nouvelle lettre qu’il tenait.

— Ah par exemple, dit-il, voilà quelque chose, papa, qui n’est pas ordinaire !

L’avocat, qui précisément venait de se lever de son bureau pour aller à sa bibliothèque chercher dans un livre un renseignement de jurisprudence, ne s’étonna pas outre mesure de la surprise manifestée par son fils. Il savait par expérience que les avocats, et surtout le bâtonnier, reçoivent des lettres de toute nature.

Le bâtonnier prêta l’oreille, son fils venait d’annoncer :

— La lettre porte le cachet de la prison de la Santé.

Puis le jeune homme lut à haute voix :

Monsieur le bâtonnier.

Le roi des criminels doit être défendu par le roi des avocats. Hiérarchiquement, vous êtes leur chef suprême eu égard à votre qualité de bâtonnier, et c’est pourquoi j’ai estimé qu’il était correct de ma part de vous accorder l’honneur de m’assister à l’instruction de mon procès et de me défendre, s’il y a lieu, devant la cour d’Assises. Je vous recevrai volontiers quand il vous plaira de me rendre visite, à ma cellule de la Santé, où je viens d’être transféré.

L’avocat interrompit son fils.

— C’est une mauvaise plaisanterie, fit-il, et quel est l’impertinent qui se permet de m’adresser une semblable lettre ?

— Père, père, cette lettre porte la signature de Fantômas.

***

Quelques heures après, le soir même de l’arrivée de cette lettre bizarre, M e Faramont était assis dans son salon entre sa femme et son fils. On avait fini de dîner. Jacques n’était pas sorti, contrairement à ses intentions premières et avait envoyé un télégramme à Brigitte pour lui demander de remettre le rendez-vous au surlendemain.

L’heure était grave, en effet, et le jeune homme n’avait pas osé quitter la maison de ses parents. Pendant tout le dîner on avait parlé de choses vagues, insignifiantes, mais sitôt les domestiques éloignés, la conversation s’engagea entre les deux époux et leur fils sur le sujet qui leur tenait à cœur depuis le matin.

— Mon cher ami, risqua M me Faramont d’un ton un peu hésitant, si vous voulez que je vous donne un conseil, c’est de ne pas vous charger de cette cause.

M e Faramont hocha la tête.

— C’est en effet mon intention, je ne veux pas défendre Fantômas et, au surplus, il y a beaucoup d’autres avocats plus qualifiés que moi pour présenter la défense de ce monstre abominable.

Le bâtonnier ajouta en souriant :

— Je n’ai rien dit cet après-midi au Palais de la proposition que m’a faite ce bandit, mais j’ai appris que tous les avocats d’Assises passent leur temps depuis l’arrestation de Fantômas, soit dans les couloirs de l’instruction, soit au greffe de la Santé et font leurs offres de service à ce sinistre individu.

Le bâtonnier se retourna vers son fils :

— Et c’est même là, mon cher enfant, un exemple dont tu feras bien de t’inspirer pour ne pas le suivre. Rien n’est dégradant, incorrect même de la part d’un avocat, comme de solliciter des causes, même des causes importantes.

Jacques approuvait son père. Il objecta cependant :

— Le procès de Fantômas sera une cause célèbre et l’avocat qui sera chargé de sa défense passera du coup à la postérité.

— C’est exact, évidemment.

— Vraiment ?

— Fantômas, reprit le bâtonnier, est le plus grand criminel qui soit connu de nos jours et il ne semble pas qu’il puisse mériter la moindre pitié. Toutefois, le rôle de l’avocat chargé de sa défense sera beau entre tous. Il y aura vraiment des trésors d’éloquence à dépenser au sujet de cet assassin, mais de cet assassin génial et malgré tout, il faut l’avouer, véritablement supérieur comme intelligence et habileté.

— Papa, s’écria Jacques, pourquoi ne plaiderais-tu pas pour Fantômas, après tout ?

— Mais pour plusieurs raisons, mon enfant ! D’abord, je ne suis pas un avocat d’Assises mais bien un avocat d’affaires. Je ne tiens guère, en outre, à avoir un semblable client. Enfin, il ne manquera pas de collègues pour remplir ce devoir, et j’insiste sur le mot, car ce sera un « devoir » non un plaisir, que de plaider pour Fantômas.

M me Faramont intervint :

— J’en suis à me demander si vous ne devriez pas accepter. En somme, il vous a choisi. Et puis, si réellement ce procès est sensationnel…

— C’est vrai, reconnut le bâtonnier, il m’a choisi, mais il m’a plutôt choisi en qualité de bâtonnier qu’en qualité d’avocat.

— Eh bien, fit Jacques, n’est-ce pas là une preuve de délicatesse de sa part ? Je sais bien que sa lettre était un peu cavalière et que Fantômas semblait prétendre te faire un grand honneur en te désignant pour son défenseur, mais enfin, cela n’empêche qu’il n’a pas manqué de perspicacité.

M me Faramont revint à la charge :

— Il est d’ailleurs difficile de refuser ces choses-là. Oh, bien entendu, je comprends que vous n’alliez pas le solliciter, mais puisqu’il vient à vous, il faudrait peut-être accepter ? Et puis, poursuivait la brave femme, Fantômas est si puissant, si terrible… Peut-être vous voudrait-il du mal si vous refusiez de prendre sa cause en main ?

— Ce n’est pas là une considération qui pourrait me décider. Mais, si j’accepte cette cause, ce sera uniquement parce que je me considérerai comme ayant été désigné d’office. Fantômas, en somme, n’a pas de préférence et, au lieu de s’en rapporter au bâtonnier sur le choix de son défenseur, il demande à ce dernier d’être son avocat. Évidemment, il y a là une question de conscience qui me fait réfléchir.

— Henri, s’écria solennellement M me Faramont, vous venez de trouver l’argument juste, il va falloir défendre Fantômas !

***

— Allez, rappliquez, mam’zelle, il ne faut pas vous effrayer si c’est haut. Quand on est monté sur le toit de Paris, on n’a plus qu’à descendre. C’est égal, qu’est-ce qu’elles prennent, mes vieilles guibolles !

Soufflant, suant et geignant sans interruption depuis qu’il avait commencé l’ascension des escaliers qui mènent au Sacré-Cœur, Bouzille s’arrêtait en cours de route, à quelque distance du sommet de la butte.

Il était environ six heures du soir et la jeune femme qui l’accompagnait, en le voyant si essoufflé, ne pouvait s’empêcher de sourire :

— Mon pauvre Bouzille, murmura-t-elle, je suis vraiment désolée de t’imposer une promenade pareille.

Mais le vieux chemineau était aussitôt consolé par cette bonne parole. Un large sourire illumina sa face sur laquelle ruisselaient de grosses gouttes de sueur.

— Mam’zelle Hélène, fit-il, vous savez bien que pour vous j’irais jusqu’au bout du monde et que je grimperais par une corde lisse jusqu’au sommet de la tour Eiffel.

Il ajouta cependant :

— Et j’aime à croire que ce serait moins dur que de monter à Montmartre.

Après avoir soufflé un instant, les deux compagnons, cependant, achevèrent leur ascension.

La fille de Fantômas, ainsi qu’elle l’avait promis quelques jours auparavant à Bouzille, était venue lui rendre visite et le chemineau l’avait renseignée sur le sort de la voiture automobile confiée à ses soins :