Il avait compris, à l’absence de ses vêtements qu’il constata, qu’elle était partie pour ne plus revenir.
— Ouf, s’était dit le Danois, me voilà veuf désormais, et pour longtemps.
Puis, avec cette inconséquence qui est le propre et le charme des caractères artistes, il s’était immédiatement dit, après avoir dormi deux heures :
— Il va falloir que je la remplace.
Et il était parti, ayant fait une toilette sommaire, pour battre le quartier de Montmartre, avec l’intention bien arrêtée d’y trouver une maîtresse.
Érick Sunds n’avait pas de chance ce jour-la, il n’avait trouvé en tout et pour tout, qu’une ancienne marchande de quatre-saisons qui cherchait une place de femme de ménage dans un intérieur bourgeois.
Sunds lui avait dit :
— J’ai votre affaire, venez chez moi, la place est excellente, et aussi bourgeoise que possible, avec cette différence toutefois que la bourgeoise n’existe pas.
Cela avait duré environ quarante-huit heures. Puis la marchande de quatre-saisons avait donné son compte à Sunds, ou, pour mieux dire, le lui avait demandé. Elle n’était pas difficile, mais elle en avait assez de vivre dans cet effroyable capharnaüm. Elle avait dit à son maître ses vérités. Sunds ne s’était pas ému, il avait payé et dignement reconduit à la porte la femme de ménage. Il allait la lui fermer au nez, pour éviter les injures que décoche toujours la bonne qui s’en va, mais son attention fut soudain retenue par une assez curieuse apparition, qui surgissait au coin de la place.
Érick Sunds, sans plus s’occuper désormais de son ancienne femme de ménage, regarda venir vers lui un jeune ouvrier à la mine délurée, intelligente, qui traînait ses savates sur le trottoir, avec ce déhanchement particulier de tous les gaillards qui se sentent trop jolis garçons pour se donner du mal et travailler.
— Un modèle probablement, pensa Sunds. C’est curieux que je ne le connaisse pas, et cependant, il me semble que j’ai déjà vu cette bobine-là quelque part.
Sunds resta sur le seuil de sa porte. Le jeune homme vint à passer, se dandinant, avançant d’un pas nonchalant.
— Hé là, interrogea le Danois, qu’est-ce que tu cherches par ici ?
Le passant se retourna, considéra Sunds des pieds à la tête, d’un air assez méprisant, puis, d’une voix qu’il semblait s’efforcer de rendre grasse et faubourienne, il déclara :
— Je cherche du turbin, je suis fauché comme les blés. Rien bouffé depuis deux jours !
— Qu’est-ce que tu sais faire, petit ?
— Moi, fit le jeune homme, mais comme tous les autres, rien et tout.
— Rien et tout, c’est bien dans le genre de ce qu’il me faut. Dis voir, petit, poursuivait-il, des fois qu’on te donnerait la croûte et le pieu, resterais-tu par ici à faire des menus travaux ? Balayer le plancher, nettoyer le carreau, aller au marché, faire la cuisine, poser à l’occasion ?
Érick Sunds n’avait pas achevé, qu’un éclair de satisfaction brillait dans les yeux du jeune garçon. Il déclara, rougissant un peu :
— Je ne suis pas un dur, moi, et du moment que je trouve à coucher et à me nourrir, ça peut toujours marcher, quelque temps au moins.
Quelques instants après, Sunds et le jeune homme étaient attablés chez le marchand de vins. Le Danois payait la bienvenue à son nouvel ami, qui, provisoirement, allait lui servir de bonne à tout faire.
— Au fait, demanda-t-il, en remplissant pour la seconde fois les verres d’un gros vin rouge qu’on leur avait servi, au fait, comment t’appelles-tu ?
— Je m’appelle Daniel.
Tandis que le Danois buvait, le jeune Daniel regardait ce qui se passait dans la rue.
Un observateur peu perspicace aurait affirmé qu’il ne s’y passait rien et peut-être, si l’on avait consulté Sunds, aurait-il été de cet avis. Mais Daniel, semblait-il, avait remarqué quelque chose, quelqu’un. Ce quelqu’un c’était un vieillard à la grande barbe blanche, et qui s’acheminait à petits pas. Il portait sur les épaules une lourde besace, il s’appuyait sur un bâton.
Il semblait bien fatigué, le pauvre homme et, sans doute, le voyage qu’il avait effectué pour parvenir jusqu’au sommet de Montmartre lui avait été fort pénible ! C’était pour cela, évidemment, qu’il s’était assis, sur le bord du trottoir, à l’angle de la place du Tertre, presque en face de la maison où se trouvait l’atelier du Danois Érick Sunds.
Et là, semblant vouloir s’endormir désormais, il demeurait les yeux obstinément clos.
Dormait-il véritablement, cependant, et d’où venait-il, ce vieillard ?
Avant d’arriver à Montmartre, on l’avait vu monter la rue Rochechouart, et lorsqu’il avait pris cette rue au carrefour Lafayette, c’est qu’il venait de déboucher de la rue de Trévise dans laquelle il s’était engagé alors qu’il sortait d’une maison de la rue Richer.
Ce vieillard, en effet, qui désormais se reposait au sommet de Montmartre, n’était autre, fort bien grimé, ma foi, que le journaliste Jérôme Fandor.
6 – FANTÔMAS EN PRISON
Il était trois heures de l’après-midi, et, suivant l’invariable emploi du temps arrêté une fois pour toutes pour les prisonniers, Fantômas avait encore près de deux heures à rester seul dans sa cellule avant que les gardiens ne vinssent le chercher pour accomplir la promenade quotidienne dans le préau. Fantômas était seul et, assis sur le lit de camp qui garnissait le fond de son cachot, rêvait, mélancoliquement.
Quelles étaient au juste les réflexions du Génie du Crime ? À quoi pouvait-il penser ? Quels regrets, quels remords pouvaient hanter son esprit en cet instant, où, peut-être, plus que jamais, il se rendait compte de la formidable audace qu’if avait eue en se livrant à Juve ?
Les murs de la prison, épais, impénétrables, semblaient peser sur lui d’un poids écrasant. Par moments, il se prenait le front à deux mains et il soupirait alors profondément, emplissant sa poitrine d’air, comme s’il eût eu brusquement l’impression qu’il étouffait et qu’il allait mourir misérablement, là, dans ce cachot où sa volonté seule l’avait conduit. Puis, Fantômas paraissait réagir, il se levait, il marchait de long en large, il détirait ses bras dans un geste féroce, ses yeux lançaient des éclairs, un sourire menaçant glissait sur ses lèvres. Il était évident qu’il roulait de formidables pensées, qu’il méditait de terribles desseins.
La journée, pourtant, se traînait interminable. Elle était semblable à la journée qui l’avait précédée. Elle ressemblerait sans doute au lendemain qui devait la suivre.
Occupé à étudier le dossier formidable des affaires de Fantômas, Germain Fuselier ne convoquait pas encore le bandit. Celui-ci demeurait donc isolé, au secret, au fond de sa cellule, et le temps était plus long pour lui qu’il ne l’eût été pour n’importe qui. Il avait besoin d’action, car, par moments de violentes colères faisaient bouillonner le sang dans ses veines.
— Que fait Juve ? murmurait Fantômas. S’inquiète-t-il de lady Beltham ? Va-t-il me venger ? Va-t-il la venger ?
Cet homme, dont le nom seul évoquait les pires éclats, cet homme qui n’avait reculé devant aucune horreur, qui avait tout plié au gré de ses caprices, qui avait auréolé son nom d’une sanglante renommée, qui s’était haussé à une quasi-toute-puissance, apparaissait alors de courtes minutes, vaincu, déchu, incapable de se défendre.
Mais ces instants d’abattement ne duraient pas.
Qui l’eût observé attentivement eût deviné qu’il s’inquiétait surtout de sa fille disparue, de sa maîtresse assassinée et que son propre sort lui était indifférent.
Fantômas souffrait moralement, connaissait les angoisses nées de ses sentiments affectifs ; il n’avait pas l’air de mesurer l’étendue du danger où il se trouvait en ce moment.
Fantômas pris, Fantômas incarcéré dans l’une des cellules les mieux fermées de la Santé avait les mêmes préoccupations qu’il eût eues étant libre, et il n’en avait point d’autres.