Or, comme le quart venait de sonner à la grande horloge placée au centre des bâtiments pénitentiaires, Fantômas brusquement se redressa ; il prêta l’oreille une seconde, il écouta avec attention le bruit de pas qui résonnait le long du couloir et paraissait se diriger vers son cachot.
À peine avait-il prêté l’oreille qu’il sourit et murmura :
— Allons, voici une visite pour moi. C’est mon excellent défenseur qui vient me voir.
La porte du cachot s’ouvrit, et peu de temps après, en effet, M e Faramont en personne, l’illustre bâtonnier, était introduit auprès de son client.
— Maître, déclarait le gardien, puisque vous avez obtenu une permission de communiquer en cellule, et non pas au parloir, je vous rappelle les usages. Quand vous désirerez quitter votre client, vous n’aurez qu’à frapper trois coups à la porte. On viendra immédiatement vous ouvrir et vous reconduire.
— Parfait, mon ami.
M e Faramont remerciait le gardien d’un geste, et se tournait, un sourire cordial éclairant son visage, vers le terrible assassin qu’il devait défendre.
M e Faramont avait déjà vu Fantômas.
Déjà il s’était rendu à la Santé pour lui annoncer qu’il faisait droit à sa demande, et qu’il acceptait d’assumer sa défense aux Assises. Toutefois il n’avait pas encore entretenu le Génie du Crime de sa cause et c’est pourquoi il était venu ce jour-là, causer avec lui, à la Santé, afin d’étudier le système le plus favorable à adopter pour tâcher d’apitoyer le jury lors des assises.
M e Faramont jeta donc sur Fantômas un coup d’œil inquiet. Le digne avocat n’était pas, en effet, sans une certaine émotion à la pensée qu’il se trouvait seul face à face avec le redoutable bandit.
Trente ans de sa vie il avait plaidé au Civil et il était tout ému à l’idée qu’il aurait à prendre la parole dans la grande salle des Assises.
— Mon cher client, commença M e Faramont, en se frottant les mains par contenance, je suis très heureux de vous voir, j’ai vraiment beaucoup de choses à vous dire.
— Mon cher maître, répondit Fantômas, croyez bien que j’éprouve aussi un vif plaisir à me trouver en face de vous. Comme le disait une vieille chanson que j’ai entendue jadis au Crocodile :
On ne s’amuse guère en prison.
Mais les visites sont agréables.
Fantômas quitta le ton badin pour s’empresser auprès de l’avocat.
— Mais asseyez-vous, dit-il en désignant l’escabeau de bois qui se trouvait le long du mur attaché à la muraille par une chaîne. Asseyez-vous donc, mon cher maître, et donnez-moi votre serviette là. Je regrette de ne pouvoir mieux vous installer, mais à la guerre comme à la guerre, n’est-ce pas ? Vous aviez beaucoup de choses à me communiquer, disiez-vous ?
M e Faramont était à ce moment complètement ahuri. Il ne comprenait rien à l’aisance dont l’assassin faisait preuve et son calme le stupéfiait réellement.
— Oui, oui, répondait l’avocat, dominant avec peine son trouble, j’ai beaucoup de choses à vous dire, mais tâchons de procéder par ordre. Ah, voici qui est intéressant, j’ai pu, hier matin, me faire communiquer par M. Fuselier quelques pièces émanant du Parquet. Il en résulte mon cher client…
— Oh maître, faisait-il sur un ton de reproche, vous allez me parler de mon affaire ?
— Dame, sans doute.
— C’est bien ennuyeux, cher maître.
— Ah !
— Oui, c’est bien ennuyeux, reprenait Fantômas toujours souriant, mais enfin s’il le faut, disons-en quelques mots.
— Quelques mots, protesta encore M e Faramont, mais vous n’y songez pas ! Il faut absolument que nous travaillions toute la journée et très dur. Quelques mots ! Mais sapristi vous ne vous doutez donc pas du nombre de crimes qui vous sont reprochés ?
— Si, si, affirma Fantômas toujours souriant, je ne m’illusionne pas là-dessus, mais ce sont des affaires si monotones. Et puis, je sais si bien ce que j’ai à répondre. Et puis, c’est si inutile, tout ce que nous allons dire.
— Sapristi si vous m’avez pris pour avocat, Fantômas, c’est j’imagine que vous me chargez du soin de votre défense. Or, comment voulez-vous que je vous défende si je ne sais pas exactement… ?
— Vous vous trompez, il n’est nullement question de me défendre.
— Pourquoi ?
— Mais assurément, mon cher maître, il ne s’agit pas de me défendre. Voyons, dois-je apprendre à un grand logicien comme vous qu’il serait puéril, de ma part, de vouloir me défendre ?
Et comme M e Faramont demeurait muet, Fantômas achevait :
— Il faut être raisonnable mon Dieu, or voici des choses raisonnables. Je me suis livré tout seul, maître Faramont, volontairement, librement, parce que cela me plaisait. Donc, et je vous prie de remarquer ce mot d’une grande importance, donc si je me suis livré, je dois supporter les conséquences de la décision que j’ai prise en me livrant. Si je ne supportais pas ces conséquences ou plutôt si je prétendais ne pas les supporter, j’agirais comme un imbécile. Par conséquent…
— Mais de ce train-là, clama encore M e Faramont, personne n’arrivera à vous sauver, c’est un verdict certain de culpabilité, c’est la peine de mort qui vous attend.
L’avocat s’était levé, il suait à grosses gouttes ; il pensa s’évanouir de stupéfaction en entendant Fantômas lui répondre avec un parfait sang-froid :
— Oh tranquillisez-vous, mon cher maître, je ne laisserai pas les choses aller jusque-là.
— Vous dites ?
— Je dis, reprenait Fantômas, que je n’attendrai point d’être condamné à mort, je prétends d’ailleurs que j’agis toujours logiquement. Je me suis livré tout seul, vous disais-je tout à l’heure, eh bien, mon cher maître, je m’acquitterai tout seul.
— Vous vous acquitterez ?
— Ou je signerai ma grâce.
— Vous signerez votre grâce ?
— Enfin, je m’arrangerai pour partir de cette prison et ce sera là, vous le reconnaîtrez, l’essentiel.
Fantômas parlait avec un grand calme, il semblait sûr de ce qu’il annonçait.
M e Faramont, comprenant de moins en moins l’énigmatique attitude de son client, finit par lui demander :
— Vous semblez bien certain de votre salut et pourtant vous dites des énormités. Avez-vous donc un moyen indiscutable d’obtenir votre liberté ?
— Peut-être.
— Vous prétendez prouver votre innocence ?
— Je prétends sortir d’ici. Je partirai d’ailleurs quand il me plaira.
— Voyons, voyons, il n’y aurait pour moi qu’une façon de comprendre ce que vous affirmez, peut-être n’êtes-vous pas Fantômas. Vous êtes un homme quelconque, cherchant à dissimuler son identité ? Hein, c’est cela ? Vous invoquez une erreur de personne. C’est parce que vous n’êtes pas Fantômas, que vous prétendez sortir d’ici quand bon vous plaira ?
Mais Fantômas éclata de rire.
— Non, mon cher maître, répondit-il, c’est au contraire parce que je suis Fantômas, que j’agis comme je vous le dis ! Laissons cela. Nous ne serons morts, maître Faramont, ni vous, ni moi, il faut l’espérer, avant quelque temps, donc nous saurons comment tout cela finira. Il sera temps alors de nous en occuper. D’ailleurs, j’ai bien des choses à vous dire, maître Faramont. Et tout d’abord, j’ai une petite question à vous poser. Le groupe en pâte tendre que vous exposiez récemment aux Arts Décoratifs, était-il véritable, ou bien était-ce simplement une copie ? J’ai noté de curieuses différences entre les dessins de l’artiste et son œuvre.
— Vraiment ? Vous connaissez cet objet et vous savez quelle polémique il a occasionnée ?
— J’avoue que je ne crois pas à l’authenticité.
M e Faramont leva les bras au ciel :
— Allons dons, mais elle ne fait pas de doute tant elle est certaine, absolue, irréfutable.