— Vous croyez ?
— J’en suis sûr. Écoutez-moi bien…
Et, perdant de vue complètement la situation où il se trouvait, causant avec Fantômas dans la prison de la Santé, M e Faramont entreprit de développer tous les arguments qu’il avait patiemment recueillis pour prouver l’authenticité du groupe en pâte tendre.
Or, plus M e Faramont s’emballait à discuter, plus Fantômas faisait preuve d’une érudition à la fois exacte et précise.
Si le vieil avocat connaissait fort bien la porcelaine, Fantômas ne la connaissait pas moins bien que lui. Il la connaissait peut-être mieux même, car il finit par déclarer :
— Maître Faramont, vous vous trompez, et, dès que je serai libre, je vous le prouverai de façon indiscutable. J’ai quelque part, dans mes cartons, le dessin du groupe que vous possédez. Vous pourrez comparer et vous verrez.
— Vous comptez donc toujours sortir ? demanda l’avocat.
Mais Fantômas ne lui laissa pas le temps d’achever sa phrase :
— Et qu’exposerez-vous, demandait-il, aux « Internationaux » de Bagatelle ? Quelques jours avant mon arrestation, je lisais, mon cher maître, que l’on comptait sur vous pour le prêt d’un tableau constituant, paraît-il, le clou de votre collection.
— C’est exact, c’est très exact. Oh, je vois que j’ai affaire à un connaisseur. Vous êtes assurément aussi connaisseur que moi, car il n’y a vraiment que les amateurs sérieux à suivre les manifestations de Bagatelle.
— En effet, répétait Fantômas en souriant, j’aime beaucoup les arts, mais vous ne m’avez pas répondu. Qu’exposerez-vous ?
— Un véritable chef-d’œuvre, mon cher ! Le Pêcheur à la ligne, de Rembrandt.
— Fichtre !
Et il écouta M e Faramont se répandre en paroles d’admiration :
— C’est un tableau merveilleux, disait l’avocat. Je l’ai eu par une chance inouïe, à un prix abordable, mais en ce moment, à coup sûr, il vaudrait pour le moins de cinq à six cent mille francs. Et encore la valeur marchande ne serait pas la valeur artistique. Il y a là-dedans une lumière, un modelé… Ah, c’est admirable, en tout point !
— J’irai voir cela, affirma Fantômas.
Mais, à ces simples mots, M e Faramont perdit tout à coup son enthousiasme :
— Vous irez voir mon tableau ? disait-il enfin. Mais voyons, vous ne parlez pas sérieusement… l’exposition de Bagatelle sera ouverte dans moins de quinze jours, par conséquent…
— Eh bien, je m’arrangerai pour être libre dans quinze jours.
— Vous n’êtes donc pas Fantômas ?
— Pardon, je suis Fantômas.
— Alors, vous ne pouvez pas espérer être libre ?
— Si.
— Vous n’êtes pas Fantômas ?
— Je vous prouverai le contraire.
— En tout cas, remarqua-t-il, je vous tiens pour un amateur très éclairé.
— Vous êtes trop gracieux. Je ne suis rien auprès de vous. Mais j’ai eu grand plaisir à causer d’art avec vous ; dès que je serai libre, mon cher maître, je vous demanderai d’aller visiter vos collections.
Or Fantômas avait beau parler avec une parfaite bonne grâce, couvrir d’éloges M e Faramont, celui-ci, en dépit du plaisir qu’éprouve toujours un collectionneur à faire admirer à un connaisseur les trésors de sa collection, se souciait fort peu évidemment d’inviter son énigmatique interlocuteur chez lui.
Il allait donc chercher une phrase équivoque, tâcher une fois encore de détourner la conversation et de forcer Fantômas à parler de son procès lorsqu’un coup discret fut frappé à la porte de la cellule. Un bruit de verrous retentit alors, un gardien apparut :
— Maître, disait le porte-clés, s’adressant au bâtonnier, voici l’heure de la promenade. Désirez-vous demeurer plus longtemps avec votre client ou dois-je le conduire au préau ?
L’intervention était opportune. M e Faramont se leva précipitamment.
— L’hygiène avant tout, déclara-t-il. Je ne voudrais pas vous priver d’une promenade.
— Mais j’aurai grand plaisir à demeurer encore quelques instants avec vous.
— Non, non, je reviendrai.
— Vous me le promettez ?
— Certes.
En vérité, les deux hommes se quittaient comme se fussent quittés deux amis.
Cependant, tandis que M e Faramont, absolument abasourdi par la façon dont l’avait reçu son extraordinaire client, s’éloignait le long des couloirs de la Santé, guidé par un porte-clés, un autre gardien poussait Fantômas vers les préaux où les prisonniers, maintenus en détention provisoire, pouvaient se promener par groupes de dix un quart d’heure chaque après-midi.
— Allons, dépêche-toi, ordonnait le gardien et ne fais pas l’imbécile comme hier. Tache de profiter du quart d’heure de liberté que tu as pour te dégourdir les jambes.
La veille, en effet, Fantômas avait refusé de sortir, prétextant qu’il était fatigué. Ce jour-là, au contraire, il ne devait faire aucune difficulté.
À peine Fantômas, en effet, était-il arrivé dans les préaux réservés à la promenade des prisonniers, qu’il commença sa promenade circulaire, marchant à grands pas et semblant très attentivement regarder les autres détenus qui, comme lui, marchaient silencieusement.
Or, Fantômas n’avait pas traversé dans toute sa largeur le préau que, soudain, un sourire s’esquissait sur ses lèvres. Il s’approcha sans affectation d’un homme qui portait le costume des détenus.
Très bas, sans que personne, même parmi ses voisins immédiats, eût pu entendre ses paroles, Fantômas interrogea cet homme.
— C’est toi, le Gréviste ?
— C’est moi, patron.
— Bien. As-tu fait ce que l’on t’a commandé ?
— Naturliche, patron. Mais je commençais à trouver le temps long.
— Pourquoi ?
— Vous m’étiez annoncé depuis quinze jours.
— Je n’ai pas pu venir plus tôt.
À ce moment, ils arrivaient tous deux à l’extrémité de la cour, et force leur était de passer tout près de l’un des, gardiens qui stationnait le long de la muraille, revolver au poing, surveillant la promenade des condamnés, prêt à réprimer la moindre tentative de révolte. Ils se turent, puis, ayant dépassé l’homme, Fantômas et son mystérieux interlocuteur recommencèrent à s’entretenir :
— Je n’ai pas pu venir plus tôt, continuait Fantômas, et précisément j’étais ennuyé en songeant que tu m’attendais. Mais me voici. Tu t’es fait arrêter sans peine ?
— Oui, patron. Sans peine aucune.
— Pour quel motif ?
— Injures aux flics.
— Très bien. Cela n’est pas trop grave. T’as ramassé combien ?
— Six mois.
— Très bien encore. Dans quel atelier es-tu ?
Mais celui que Fantômas avait appelé le Gréviste parce qu’il était ainsi surnommé dans le monde de la pègre en raison de l’ardeur avec laquelle il défendait toujours les grèves de tous les métiers possibles, et cela sans avoir jamais lui-même bien régulièrement travaillé, ne répondit point.
D’un imperceptible froncement de sourcil, il venait de renseigner Fantômas, l’invitant au silence. Il n’y avait pourtant près d’eux que d’autres condamnés, d’autres détenus du moins.
Fantômas cependant ne se trompait point à la recommandation qui lui était faite. Il demeura silencieux et, ce n’est qu’au bout de quelques minutes, qu’il reprit la parole.
— Il y avait un mouchard, le Gréviste ?
— Pis que cela, patron, un mouton [7].
— Montre-le-moi.
— Celui qui tourne là-bas, près de la fontaine.
— Bien, merci, je m’en méfierai.
Fantômas avait froncé les sourcils, il se reprit à sourire :
— Je te demandais à quel atelier tu étais ?
— Au cent treize.
— Je croyais que les détenus de ton espèce n’étaient pas occupés ?