— Mon cher ami, lui murmura-t-il, j’ai une confidence et une requête à vous adresser. Cette histoire qui est arrivée à mon père est des plus ennuyeuses, non seulement pour mon pauvre papa, mais encore pour moi.
— Pour vous ? fit Fandor étonné. Comment cela se fait-il ?
— Eh bien voilà, j’ai peur que toutes vos enquêtes et tous vos interrogatoires ne m’obligent à avouer une chose qui, je vous le confesse, me serait fort désagréable. Je vous le dis en secret, je suis l’amant de la bonne.
— De quelle bonne ?
— Brigitte, la servante de mon oncle et de ma tante.
— Vous vous mettez bien, mon cher ! C’est qu’elle est très gentille en effet, avec son petit bonnet à l’anglaise et son tablier brodé.
— Je vous en prie, supplia Jacques Faramont, ne vous moquez pas de moi ! Je ne vous aurais d’ailleurs pas fait cet aveu si je ne croyais pas que cette révélation pût être utile à l’enquête. Mais je dois vous dire qu’il s’est passé ici quelque chose d’extraordinaire, il y a huit jours environ.
— Racontez, dit Fandor.
Jacques Faramont fit alors au journaliste le récit de la fameuse soirée vécue en tête à tête avec Brigitte dans la maison mystérieuse et de l’apparition dans la demeure abandonnée.
Il terminait son récit lorsque Juve réapparut au fond du jardin.
Jacques Faramont s’éclipsa.
— Gardez-moi le secret autant que possible, recommanda-t-il, et si vous croyez qu’il faut que Brigitte parle, permettez-lui de dire qu’elle était avec un autre amoureux.
Fandor hocha la tête. L’affaire, à ses yeux, commençait à se compliquer. Il se rapprocha de Juve. Le policier semblait tout dépité.
— Je viens, dit-il, de visiter la maison de la cave au grenier, elle est assez mal meublée, vraisemblablement inhabitée et cependant, si quelqu’un s’y trouvait hier soir, il lui aurait été facile de s’en aller par une porte de derrière. Les agents ont eu beau cerner la maison toute la nuit, comme ils ne sont arrivés que deux heures après l’aventure, les intéressés ont eu tout le temps de se sauver.
Juve, savez-vous qu’une femme habitait là ?
— Non, fit le policier. Une jeune femme peut-être ? Non, je ne crois pas. Une femme vieille, au contraire. Parce qu’il y a une femme jeune, même deux femmes jeunes, qui sont mêlées à cette affaire. Si j’ignore la personnalité de l’une d’elles, par contre, je connais l’autre.
— Bravo, de votre part, Juve, le contraire m’aurait étonné, et quelle est-elle ?
Juve ne répondit pas à la question de Fandor, mais, parlant à bâtons rompus, semblait-il, il demanda :
— Dis-moi, Fandor, sais-tu si ta sympathique amie Hélène porte habituellement une bague d’un métal quelconque, mais dans laquelle seraient encastrés un ou plusieurs de ces éclats de diamant que l’on appelle des roses ?
— Ma foi, je ne crois pas, mais tout est possible et cependant je n’ai aucun souvenir qu’Hélène ait un bijou pareil. Vous savez combien, Juve, elle est peu coquette.
Mais brusquement le journaliste pâlit :
— Pourquoi me parlez-vous d’Hélène en ce moment ? demanda-t-il. Croyez-vous donc qu’elle puisse être mêlée à cette affaire ?
— Je ne le crois pas, Fandor, j’en suis certain.
Et, sans attendre de réponse, Juve prit son ami par le bras, l’amena près du gros arbre derrière lequel une femme, avait-il constaté, s’était dissimulée.
Il montra à Fandor une empreinte de bottine très nettement marquée dans le sol mou de la terre entourant l’arbre :
— Penche-toi, recommandait-il, et regarde bien la trace laissée par ce talon.
Fandor regarda :
— Je vois bien, reconnut-il, que c’est un talon de femme un peu plus large, un peu plus plat que les talons Louis XV que portent habituellement les dames, mais de là à conclure que cette trace est celle d’Hélène ?
— Lorsqu’on est policier, fit Juve, il faut tout prévoir… Souviens-toi que le petit Poucet, pour retrouver son chemin, semait la route de cailloux blancs. Moi, pour suivre les gens qui m’intéressent, je les marque et je les marque au talon.
— Que voulez-vous dire ?
— Voici, fit Juve. Dans la série de nos aventures, il est intéressant pour moi, Fandor, de reconnaître à la trace plusieurs personnes, parmi lesquelles ton amie Hélène. Donc j’ai usé pour cela d’un stratagème : je sais qu’Hélène use ses bottines de telle sorte qu’un certain clou, un peu à droite à l’arrière du talon, ressort toujours de préférence aux autres. Ce clou s’est enfoncé dans la terre molle comme le reste du talon. Regarde maintenant, tu en verras l’empreinte, et c’est ce qui permet d’affirmer qu’Hélène était bien là hier soir.
— Hélène ne peut pas être coupable ni complice de cet attentat.
— Assurément non. Je dirai même que sa présence va faciliter notre enquête. Elle nous dira ce qui s’est passé. D’ores et déjà, je puis t’affirmer que si le bâtonnier est encore en vie à l’heure actuelle, et en possession des trente-deux mille francs que l’on convoitait, c’est à Hélène qu’il en est redevable.
Fandor était de plus en plus abasourdi :
— Expliquez-vous, Juve, demanda-t-il.
— Ce que je dis est pourtant clair, déclara le policier. C’est Hélène qui a sauvé le bâtonnier et a mis en fuite ses agresseurs.
— Mais comment cela ?
— Oh c’est bien simple ! En jetant aux yeux des assaillants du poivre en poudre. Malheureusement, le pauvre bâtonnier en a reçu sa part. On ne peut pas toujours épargner ses amis.
Fandor ne répondit rien. Il regarda Juve avec des yeux ronds.
Le policier tira de sa poche un petit sac de papier rose qu’il montra au journaliste.
— Voilà, fit-il, dans quoi a été enfermé le poivre en poudre qui a permis de mettre en fuite les agresseurs. Hélène, sûrement, avait prémédité cette défense, et je comprends maintenant que la lettre où elle me déclarait : « prenez garde, Juve » devait me permettre de prévoir cette agression. Tout de même, elle aurait pu être un peu plus explicite.
— Comment savez-vous que c’est elle qui a porté ce sac de poivre ?
— Je n’en suis pas très sûr, fit le policier, mais je le suppose. Cependant, Hélène habite le quartier de Montmartre. Or ce sac provient de chez une épicière de la rue des Abbesses. Regarde plutôt.
Fandor baissa la tête :
— Vous avez raison, Juve, vous devez avoir raison, mais cela me dépasse.
— En tout cas, poursuivit le policier, si ce petit brillant que j’ai trouvé, non pas près de l’arbre, mais dans l’allée même, à l’endroit de l’agression, ne provient pas d’une bague ayant appartenu à Hélène, cet objet nous facilitera singulièrement la recherche de l’identité de l’autre femme, qui, elle, devait être dans le camp de l’ennemi.
Juve s’arrêta soudain pour aller au-devant du bâtonnier qui venait, appuyé au bras de son fils.
M e Faramont serra chaleureusement les mains de Juve, cependant que Jacques interrogeait Fandor tout bas :
— Vous n’avez encore rien dit ? demandait-il.
— Non, fit Fandor sur le même ton. Malheureusement, je crois qu’il le faudra tout à l’heure.
— Je vous en supplie, ne le faites pas devant mon père.
M e Faramont, un peu remis de son émotion, racontait à Juve tout ce qu’il savait relativement à son agression.
— Je crois bien avoir vu, dit-il, surgir en face de moi un homme de petite taille qui devait être très brun, un homme que je ne connais pas d’ailleurs. Je pourrais peut-être le reconnaître si on me le montrait et encore je n’en suis pas très sûr, car ma vision n’a duré qu’un instant. Au même moment, j’étais renversé en arrière, aveuglé par le poivre, alors vous comprenez…
— Évidemment, fit Juve.
— Je dois vous dire, mon cher Juve, que ma femme a sur cette affaire une idée très arrêtée et que, dans une certaine mesure, je partage.
— Quelle est cette idée ?
— Ma femme dit qu’il ne peut s’agir que d’un attentat de Fantômas.