Aussi bien, en vérité, le cambrioleur avait lieu d’être effrayé.
Au moment même où sa masse d’acier avait heurté la serrure du tiroir, au moment où celle-ci s’était détachée, un phénomène extraordinaire s’était produit. L’homme n’avait pas eu le temps de détourner la tête qu’il avait eu l’impression horrifiante d’un violent éclair, embrasant le cabinet d’une lueur aveuglante, éblouissante, d’une lueur blanche, comme eût pu en produire une formidable étincelle électrique.
La lueur, cependant, n’avait duré que quelques dixièmes de seconde à peine. Dans le cabinet, désormais, la petite lampe électrique ne jetait plus qu’une demi-clarté, une clarté tremblotante qui permettait tout juste à l’inconnu, muet de stupéfaction, de voir les volutes bleues d’une épaisse fumée tourbillonnant au plafond.
Des minutes interminables passèrent. L’homme n’osait bouger, n’osait respirer. Bientôt il se calma un peu. La pendule sur la cheminée sonna douze coups lentement, tranquillement, d’un timbre argentin.
Or, on eût dit que ce petit bruit familier et paisible tirait le cambrioleur de la torpeur où la stupéfaction l’avait jeté.
— Que diable s’est-il passé ? murmura-t-il.
Il quitta l’encoignure où il s’était tapi, il avança au centre de la pièce, prit la lampe électrique, examina le bureau dans tous les sens.
— Je ne vois rien, murmura-t-il encore. Personne n’a pu venir. Qui diable a pu produire cet éclair ? Cet extraordinaire éclair ?
En se baissant, en regardant sous le bureau, il tressaillit :
— Ah fichtre, je comprends. Deux fils électriques ! Parbleu, il y avait un signal destiné, je suppose, à faire résonner un timbre quelque part, pour le cas où l’on tenterait de cambrioler le tiroir. Si je m’étais servi d’une fausse clé, j’étais pris. En fracturant la serrure, au contraire, j’ai dû déterminer un court-circuit et produire cet éclairage intensif.
L’explication était plausible, elle ne rassura cependant qu’à demi celui qui l’inventait.
Pour qu’un simple court-circuit eût produit une lueur aussi vive, il aurait fallu en vérité supposer un énorme courant électrique. Ce qui s’accommodait mal avec l’hypothèse d’une simple sonnerie.
L’homme ne pouvait, sans doute, s’attarder dans ses recherches.
— Faisons vite, dit-il encore. Ils peuvent rentrer d’un instant à l’autre et ceci m’obligerait à des choses dont je ne veux point.
Le beau calme de l’inconnu avait disparu. Ses mains tremblaient, cependant qu’il fouillait dans le tiroir-caisse de Juve. Il y avait là de nombreux papiers sur lesquels l’homme jeta un regard pressé.
— Pas intéressant, murmura-t-il, en rejetant l’une après l’autre les chemises de carton sur lesquelles l’écriture de Juve indiquait des titres impressionnants.
Puis, soudain, il tressaillit.
— Enfin ! dit-il.
L’homme venait de soulever, du fond du tiroir, une sorte de petit étui d’acier, mince, plat, dont il retira un vieux parchemin jauni, couvert d’une écriture fine, serrée, d’une écriture dont l’encre avait pâli, jauni, était presque effacée par endroits.
— Voilà ce que je cherchais, murmura l’homme.
Il eut un éclat de rire, puis, dédaignant désormais de remettre quoi que ce fût en ordre, il reprit sa course, se rhabilla, et, éteignant sa lampe électrique, se glissa dans l’ombre vers la porte de l’appartement, puis l’ouvrit et referma sans bruit.
Au bas de l’escalier, en passant devant la loge de la concierge, l’inconnu cria :
— Cordon, s’il vous plaît !
Mais au même moment, il réprimait mal un sursaut de frayeur. La porte de la loge était vitrée, en effet, et à travers cette vitre, un rayon de lumière venait d’être projeté, cependant que la concierge demandait :
— Qui va là ?
Il hésitait à répondre, lorsque d’une voix ensommeillée, la concierge ajoutait :
— Ah c’est vous, monsieur Juve ! Vous ne voulez pas votre courrier ? J’ai justement une lettre pour vous.
Il hésita une seconde, mais à ce moment la portière tirait le cordon. Sous la voûte proche de l’immeuble, la porte résonnait en s’ouvrant. L’homme n’en demanda pas davantage. Sans répondre à l’invitation qui lui était faite, il s’élança sous la voûte. Derrière lui, le lourd grillage de la porte cochère gronda en se fermant.
Or, il y avait à peine cinq minutes, il y avait moins peut-être que l’inconnu était sorti du 1 ter de la rue Tardieu, lorsque Juve et Fandor, sautant d’un taxi-auto qu’ils avaient arrêté à la gare, sonnaient à leur tour à cette porte. Juve était triste, Fandor très préoccupé.
Le policier songeait que les affaires de Ville-d’Avray, auxquelles il venait d’être mêlé, étaient des plus inquiétantes. Fandor oubliait les affaires, pour ne penser qu’à Hélène, et il se demandait si la jeune fille qu’il aimait n’avait pas couru, dans la mystérieuse maison, quelque grave danger, si elle était à l’heure actuelle saine et sauve.
Il était tard. Il importait avant tout que les deux hommes prissent du repos. Dans l’existence aventureuse qu’ils menaient, les jours se succédaient, perpétuellement dramatiques, et ils devaient savoir, par moments, tenir bon pour pouvoir lutter encore, faire taire leurs préoccupations morales, accorder quelques instants de tranquillité à leur corps harassé.
— Viens coucher chez moi, avait dit Juve.
Fandor n’avait pas refusé. Le wattman du taxi-auto payé, Juve fit passer Fandor sous la porte cochère de l’immeuble. Le journaliste et lui avançaient dans le noir jusqu’au pied de l’escalier. Juve en passant devant la loge de la concierge cria son nom, en locataire bien tranquille, et respectueux des règlements.
— Ne vous dérangez pas, criait-il, c’est moi Juve.
La voix de la portière, au même instant, s’informa :
— Ah c’est encore vous, monsieur Juve ? Eh bien vous voulez-t’y vot’ lettre ?
Juve était déjà à moitié du premier étage, il s’arrêta interrogeant :
— Vous avez une lettre pour moi ?
— Mais oui, bien sûr, vous n’avez pas entendu que je vous le disais tout à l’heure ?
— Quand m’avez-vous prévenu ? demanda-t-il.
— Dame, il y a cinq minutes, quand vous êtes sorti !
La voix de la concierge, de la complaisante femme qui s’arrachait au sommeil pour donner son courrier à Juve au milieu de la nuit, un locataire qui faisait son admiration, qu’elle considérait comme un véritable génie, trahissait quelque stupéfaction. Juve, de son côté, s’énervait.
Il frotta une allumette-bougie, et redescendit l’étage, marchant vers la porte de la loge que la concierge entrebâillait pour passer la lettre.
— Vous m’avez prévenu tout à l’heure ? répétait-il en insistant sur les mots. Il y a combien de temps ?
— Cinq minutes, peut-être.
— Je suis donc sorti il y a cinq minutes ?
La question émut définitivement la brave femme. Elle considéra Juve avec des yeux ronds que l’étonnement faisait clignoter.
— Mais pourtant je n’ai pas la berlue ! insista-t-elle. Est-ce que vous vous moquez de moi, monsieur Juve ? Il y a cinq minutes, c’est bien vous qui êtes sorti ? C’est bien vous puisque j’ai reconnu votre figure, quand j’ai allumé le projecteur.
Juve ne comprenait rien à ce qu’on lui disait. Pourtant, il ne perdit point son calme :
— En effet, répondit-il, c’est bien moi qui suis sorti tout à l’heure, mais je ne pensais pas que vous aviez eu le temps de me reconnaître. Mes compliments, madame, vous feriez une excellente policière.
Et comme la concierge se confondait en remerciements pour un compliment qui la touchait au cœur, venant de Juve, le policier recommença à monter, rejoignant son ami qui l’attendait au premier étage.
— Fandor, interrogeait Juve, tu as entendu ?
— Oui, répliquait Fandor, mais je ne comprends rien à cette histoire. Cette femme a rêvé ?
— Peut-être, répliqua Juve.
Et rien qu’à la façon dont Juve prononçait ces mots, Fandor se prenait à tressaillir. Quelques instants plus tard, cependant, les deux amis étaient à la porte de l’appartement de Juve. Le policier prit sa clé, l’introduisit dans la serrure, ouvrit. Mais comme tout naturellement Fandor allait passer devant lui, Juve l’empoigna par le bras :