La menace était vaine d’ailleurs pour la bonne raison qu’elle arrivait après un geste. Fandor, d’un coup de poing que n’eût pas désavoué un boxeur, en effet, avait atteint Sunds en plein visage.
— Et allez donc !
Comme une loque, Sunds s’écroula sur le sol de son atelier, évanoui.
Alors, Fandor se frotta les mains :
— C’est du bon travail que je viens de faire là. Et dire que…
Il jeta les yeux autour de lui.
— Hélène, où est Hélène ?
Affolée, n’étant pas inquiète pour Fandor qui, de toute évidence, devait facilement avoir raison de Sunds, Hélène s’était enfuie.
— Il faut que je la rattrape, murmura le journaliste, il faut que je la supplie.
Fandor sans s’inquiéter davantage de Sunds auquel il venait d’ailleurs d’administrer une correction suffisante, sortit de l’atelier en courant.
20 – LA FIN D’ERICK SUNDS
Fandor n’avait point quitté l’atelier de Sunds depuis une demi-heure et l’artiste était encore évanoui, étendu immobile sur le sol, que deux hommes s’arrêtaient à la porte de l’atelier.
Deux hommes qui n’étaient autres que Fantômas et Dick.
Fantômas riait. Dick, très grave, paraissait préoccupé. Il rompit le silence :
— Fantômas, disait-il, vous m’avez promis tout à l’heure, d’épargner Sarah si je vous faisais retrouver les papiers de votre fille. Pour vous faire retrouver ces papiers, je vous ai conduit ici. J’imagine que vous tiendrez votre promesse.
— Dick, vous devriez savoir ce que vaut ma parole. Mais les papiers d’Hélène sont-ils vraiment ici ? Je m’étonne que vous m’ayez conduit en un pareil endroit. Vous m’avez affirmé que ces papiers se trouvaient entre les mains de ma fille. Croyez-vous donc que ma fille les ait cachés dans cet atelier ?
— J’en suis sûr. Ils sont dans une grande potiche, je l’ai su par un espionnage habile.
Fantômas changea d’attitude :
— Vraiment ? Vous en êtes certain, Dick ? Dans ce cas je reconnais que vous avez tenu votre promesse, et c’est pourquoi je tiendrai la mienne.
Il s’arrêta de marcher, regarda fixement l’homme qui était le fils de Valgrand, l’homme dont il avait fait le malheur.
— Je tiendrai ma promesse, répéta-t-il gravement, et je la tiendrai immédiatement. Vous voulez que Sarah Gordon ait la vie sauve, Dick ?
— Certes, répondait l’acteur en blêmissant, ne vous l’ai-je pas dit ?
— Eh bien, si vous voulez sauver Sarah Gordon, il faut immédiatement que vous vous rendiez à la Chapelle, au cabaret du père Korn. Le premier sergent de ville, le premier passant venu vous l’indiquera. Il donne rue de la Charbonnière. Entrez-y, Dick Valgrand. Faites en sorte d’écouter ce qui se dira. Au bout d’un certain temps, vous entendrez un homme parler de la dame d’Enghien. Abordez-le. Ce sera l’un de mes lieutenants. Vous lui montrerez, tenez, cette simple pièce de monnaie, percée de trois trous. Vous lui direz que Fantômas lui ordonne de rester tranquille. Dépêchez-vous. Faites diligence ! Si vous ne rencontrez pas cet homme dans moins de deux heures votre maîtresse sera morte.
— Sarah court un danger en ce moment ?
— Un danger de mort.
— Vous avez donné des ordres, Fantômas ?
— Je n’ai pas à vous répondre. Vous avez tenu votre promesse. Je tiens la mienne. Nous sommes quittes. Allons, dépêchez-vous, courez… Souvenez-vous, Dick, que dès à présent, j’estime que je ne vous dois plus rien, je me souviens seulement que vous êtes en lutte contre moi, et ceux qui luttent contre moi, je les tue.
Fantômas avait tiré de sa poche un revolver, il le braqua sur Dick :
— Je vous dois une leçon encore. Songez que j’étais armé, quoique vous ayez pu croire le contraire, j’ai toujours deux revolvers sur moi. Mais vous le voyez, j’ai tenu ma parole. Vous m’avez conduit vers les papiers de ma fille, je vous donne la vie de Sarah Gordon, et je ne vous tue pas immédiatement, nous sommes quittes vous dis-je, partez !
— Soit, nous sommes quittes en effet, Fantômas, et nous pouvons recommencer à être ennemis. Si nous nous retrouvons face à face, ne me ménagez point, car pour Dieu, je ne vous ménagerai pas. Adieu Fantômas !
— Au revoir, Dick Valgrand.
À peine Valgrand éloigné, le bandit éclatait de rire :
— Quel imbécile que ce jeune homme, murmurait-il. Le voilà qui se rend au cabaret du père Korn, persuadé qu’il va sauver Sarah. La belle histoire. De deux choses l’une. Ou il ne trouvera personne là-bas, ou le hasard voudra qu’il y rencontre le Barbu. Si le Barbu est au cabaret, si Dick lui présente la pièce percée que je lui ai confiée, l’affaire est claire, Dick Valgrand est un homme mort. Et maintenant, au travail.
Brusquement, Fantômas ouvrit la porte. Brusquement il entra dans l’atelier.
— Sunds, appela-t-il, c’est moi.
Fantômas avait-il donc des relations avec l’extraordinaire fabricant de vieux neuf ?
Le bandit s’étonna de ne pas obtenir de réponse :
— Tu n’es point là, Sunds ?
Dans un coin de l’atelier, Fantômas venait d’apercevoir le corps de l’artiste, étendu de tout son long.
Il se précipita vers l’homme écroulé, le releva, le porta sur le divan.
— Sunds, demanda-t-il, m’entends-tu ?
Mais Sunds restait évanoui.
Alors Fantômas avisa un flacon de rhum traînant sur une table, il entrouvrit de force les lèvres du blessé, y versa quelques gouttes de la puissante liqueur.
— Bon Dieu, que m’est-il arrivé ? demandait Sunds, ouvrant enfin les yeux.
— Je n’en sais rien, mais tu sembles mal en point, camarade.
Or, à ce moment, la mémoire revint au malheureux Danois :
— Tiens, c’est toi Fantômas ? Ma foi, tu aurais bien fait d’arriver cinq minutes plus tôt.
— Pourquoi ?
— J’ai reçu une tripotée numéro un. Ça je peux m’en vanter.
— De qui ?
— De Mathusalem.
— C’est Mathusalem qui t’a mis en cet état ? interrogea Fantômas. Qui est-ce Mathusalem ? Il vit encore ?
— Mathusalem ? C’est un vieux qui est un jeune. Voilà. C’est exactement la même chose que Daniel qui est une femme. Vrai, Fantômas, depuis quelque temps, je ne sais plus comment je vis. Je ne sais pas ce qui se manigance autour de moi, mais tout se complique bigrement.
Le pauvre Sunds se frottait toujours les membres. Levant les yeux, il finit cependant par remarquer le visage sombre et l’air irrité de Fantômas.
— Au fait, demanda-t-il, qu’est-ce que tu viens faire chez moi, toi ? Il était convenu entre nous, depuis l’affaire de Bagatelle, que tu ne remettrais pas les pieds dans mon atelier. Je ne comprends pas ta présence ici.
— Tu vas comprendre, déclara sardoniquement Fantômas. Es-tu en état de me répondre ?
— Assurément, je suis aussi en état de me frictionner avec de l’essence de térébenthine. Bon Dieu, cet animal de vieux m’a littéralement coupé la peau. Demain je serai noir et bleu. Drôle de drapeau.
Sunds était gai. Fantômas, brutalement le rappela à l’ordre :
— Tais-toi, ordonna-t-il, tu riras plus tard, si tu en as le temps.
— Ah ça, qu’est-ce qui te prend, Fantômas ? Tu n’as pas l’air de bonne humeur ?
— Où sont les papiers de ma fille ?
— Les papiers de ta fille ? Quels papiers ? Je ne connais même pas ta fille.
— Si, tu connaissais Daniel ?
— Daniel ? Allons bon. Voilà que Daniel était ta fille.
Mais Fantômas n’était pas en disposition d’esprit pour entrer dans des explications. Il répéta brutalement :
— Parle… Où sont les papiers de ma fille ?
— Je n’en sais fichtre rien !
— Et moi, Sunds, je te dis que tu dois le savoir. Ils sont cachés chez toi, ici.
— Ici ? fit Sunds d’un air incrédule.
— Ici, oui, dans une potiche.
Or, Fantômas n’avait point dit ces mots : « dans une potiche », que Sunds se redressait.