— Ah bon Dieu de bon Dieu, jurait l’artiste, mais alors, je comprends, je comprends tout ! Ce sont ces papiers que ramassait le vieux-jeune pendant que je cognais dessus, avec tant de plaisir. Eh bien, c’est du joli ! S’il y avait des papiers, Fantômas, ils étaient dans la potiche que tu vois brisée par terre, et s’ils sont quelque part maintenant, ils sont dans la poche de l’individu qui m’a si promptement roué de coups.
La déclaration que faisait Sunds était en tout point sincère.
Fantômas cependant, fronça les sourcils, prit un air plus terrible encore :
— Tu mens, jurait-il, je sais que tu mens ! Sunds, c’est toi qui as pris ces papiers.
— Mais non, ce n’est pas moi.
— Si, et le vieux dont tu parles n’existe que dans ton imagination. Tu me joues la comédie en ce moment. Peut-être m’as-tu entendu parler devant ton atelier avec Dick Valgrand, et as-tu décidé de me jouer la scène que tu me joues ? Oh, oh, Sunds, il faut avoir bien de l’audace pour tenter de me faire chanter, moi ! Rends-moi ces papiers immédiatement, ou apprête-toi à apprendre ce que j’ose dans ma colère.
Mais Sunds, sans se rendre compte peut-être de l’état d’énervement où était Fantômas, demeurait fort calme et fort souriant :
— Patron, ripostait-il, je me demande ce que tu as aujourd’hui. Une fois, deux fois, trois fois, je n’ai pas ces papiers. Si d’ailleurs quelqu’un doit se plaindre, c’est moi, Fantômas, et pas toi. Car enfin, d’après ce que tu me dis, je comprends que la correction que je viens de prendre, je l’ai prise à propos de ces maudits papiers, dont je ne soupçonnais pas l’existence. Que diable, pourquoi donc aussi t’étais-tu amusé à les cacher chez moi, sans me prévenir ?
La bonne foi de Sunds était évidente. Mais la colère aveuglait Fantômas :
— Ce n’est pas moi qui ai caché ces papiers, hurlait-il, c’est ma fille, c’est Daniel.
— Dis donc, Fantômas, au fait, est-ce que par hasard le vieux Mathusalem, qui est jeune, ne serait pas un policier ?
— Laissons cela ! dit Fantômas. Je saurai plus tard si tu dis la vérité et je serai toujours en mesure de te châtier si tu mens. Il y a autre chose, Sunds, réponds-moi franchement, où est le tableau ? Je le veux. Il est temps que l’affaire nous profite.
Or, à ces mots, Sunds éclata de rire. Il retrouvait toute sa bonne humeur pour déclarer à Fantômas :
— Vrai, patron, tu exagères aujourd’hui. D’abord, tu me réclames quelque chose que je n’ai pas, et ensuite, tu me demandes autre chose que je ne peux pas avoir.
— Quelque chose que tu ne peux pas avoir ? Sunds, le tableau qui était à Bagatelle, remplaçant le fameux Pêcheur à la ligne, n’a aucune valeur. C’est une croûte. Il est inadmissible que tu ne puisses pas te le faire donner.
— C’est pourtant vrai. Cette croûte, comme vous dites, patron, a une valeur anecdotique, présente un intérêt documentaire. En tout cas, elle est célèbre maintenant, je n’ai pas pu me la procurer. Mais elle sera mise en vente prochainement par l’administration de l’Exposition. Ce n’est que partie remise. Nous l’aurons pour une bouchée de pain.
— Nous devrions déjà l’avoir. Tu me trahis, imbécile ! Je suis sûr que tu me trahis !
Or, à cette accusation, Sunds à son tour, se mit en colère.
— Zut, dit l’artiste, moi j’en ai assez de toutes ces manigances. Je te dis la vérité, Fantômas, et tu ne me crois pas. J’ai essayé d’avoir cette toile, je n’ai pas pu, une fois, deux fois. Crois-moi ou ne me crois pas, je n’y peux rien.
Sunds allait et venait dans son atelier, furibond :
— Voilà ce que c’est, répétait-il, on se donne un mal du diable pour satisfaire le client. On court le risque d’attraper dix ans de travaux forcés au moins, et après ça, on vous accuse de trahir. C’est à devenir neurasthénique.
Il allait continuer à se lamenter, à se plaindre, plaisantant déjà, car, au fond, Sunds était incapable d’une longue colère, lorsque Fantômas l’arrêta au passage, l’empoignant par le bras.
Le bandit, avec sa force herculéenne, attirait près de lui l’artiste en dépit de sa résistance :
— Sunds, dit-il, prends garde, tu n’as point l’air de savoir qu’il ne faut jamais lutter avec moi. Cela finira mal.
Il y avait en ce moment tant de cruauté froide dans l’attitude de Fantômas, sa physionomie respirait si bien la haine, que Sunds eut peur.
— Lâche-moi ! ordonna-t-il, brutal à son tour. Oui, cela finira mal, car si tu le prends sur ce ton, Fantômas, je le prendrai de la même manière. Ce que je disais tout à l’heure est vrai. J’en ai assez de ces manigances. Aussi vrai que je m’appelle Sunds, si tu ne me laisses pas tranquille, je vais raconter à la justice toute la combine, tout notre truc du faux tableau.
Le malheureux n’acheva pas. À peine avait-il proféré cette menace qui, à elle seule, prouvait combien peu l’artiste connaissait mal l’audace de celui qui était devenu son complice, que Fantômas bondissait sur lui, l’empoignait par le cou, l’étranglait à moitié, le renversait sur le sol.
— Qui me résiste meurt ! hurlait Fantômas. Ah, vraiment, tu parles de tout raconter à la police. Eh bien, nous verrons si les muets peuvent trahir. Car tu vas être muet, Sunds, muet pour toujours. Pas de bavards dans les cimetières.
Fantômas était à genoux sur le malheureux peintre, ses doigts l’étranglaient à moitié. Un instant, sa main desserra son étreinte, mais Sunds n’avait pas eu le temps seulement d’appeler au secours, que Fantômas avait tiré de sa poche un long bandeau de soie, qu’il portait toujours.
Il lui fallut moins d’une seconde pour bâillonner Sunds.
— Oh, oh, railla le Maître de l’Effroi, je crois que tu commences à te taire. Mais tu te tairas bien davantage dans deux heures.
Fantômas riait. Lentement, méthodiquement, il attachait les poignets de Sunds, il lui liait les jambes aux chevilles :
— Eh bien, imbécile, demandait-il, comprends-tu que j’avais raison en te disant que tout cela finirait mal ?
Sunds, à cet instant, était au comble de l’effroi : Que faisait Fantômas, que préparait-il ? À quelle diabolique besogne se livrait-il ?
Fantômas avait tiré au milieu de l’atelier une grande échelle qu’il appuyait au vasistas s’ouvrant sur le toit de la bâtisse :
— Sunds, annonça le tortionnaire, je n’aime pas les morts rapides. J’ai toujours la clémence d’accorder à mes victimes quatre ou cinq heures pour voir la mort en face et se repentir. Je te prépare un petit trépas qui te laissera tout le temps de réfléchir à la sottise dont tu as fait preuve.
Fantômas était revenu près de Sunds. Comme s’il eût soulevé un fardeau léger, il empoignait le corps de l’artiste, le jetait sur ses épaules. Fantômas, alors, gravit la haute échelle. Il ne semblait pas sentir le poids de Sunds, il agissait avec une parfaite liberté de mouvement.
Parvenu au haut de l’échelle, Fantômas ouvrit le vasistas, il se glissa sur le toit.
Il était six heures du soir. L’obscurité commençait. La ruelle près de l’atelier était déserte.
— Tout est fort bien, murmura Fantômas.
Il jeta Sunds sur le toit, le tira par les pieds, sans s’occuper des terribles blessures qu’il faisait au visage du malheureux, écorché aux aspérités des ardoises.
Fantômas roula Sunds jusqu’à la gouttière. Il y coucha l’artiste, en équilibre, le corps pendant à moitié dans le vide.
— Écoute-moi bien, déclarait le bandit, se penchant à l’oreille de sa victime, voici ce que je vais faire. À ton pied, j’attache une corde, cette corde rejoint la porte d’entrée de ton atelier, quand on ouvrira la porte, on tirera sur la corde, tu seras précipité dans le vide. Ne crois pas, Sunds, que ce soit tout. Il se pourrait que tu en réchappes. Somme toute, tu ne vas tomber que de cinq ou six mètres. Or, mon camarade, j’ai décidé ta mort. Écoute. Regarde : tu vois ce fil de fer ? Il est terminé par un nœud coulant, je le passe autour de ton cou, il y fera l’office d’un couteau de guillotine. Mon cher, quand tu dégringoleras dans le vide, tu te sentiras brusquement arrêté par ce licol tranchant. Le fil de fer n’est pas assez long pour que tu atteignes le sol. Tu seras suspendu et pendu si brusquement que j’aime à croire que tu auras la tête tranchée. Voilà ce qui t’attend, Sunds. Penses-y et demandes-toi s’il n’eût pas mieux valu me servir fidèlement ?