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Pendant que cela se passait, qu’était devenu Fandor ?
Fandor, au sortir de l’atelier de Sunds, s’était précipité comme un fou dans les rues de Montmartre, cherchant à retrouver Hélène.
Ses recherches, malheureusement, étaient demeurées vaines et Fandor devait se résigner à comprendre que si la jeune fille l’avait reconnu, comme il était probable, au moment où il s’était précipité sur Sunds, elle n’en avait pas moins voulu s’enfuir, ne pas se montrer, ne pas se faire reconnaître.
« Peut-être, Hélène s’imagine-t-elle que je ne l’ai pas identifiée », pensait Fandor.
De guerre lasse, ayant battu les environs de l’atelier, Fandor s’était décidé à aller trouver Juve.
« Il faut que je le mette au courant, pensait le journaliste, il faut surtout que je lui rende ces fameux papiers, si miraculeusement retrouvés. Par exemple, je me demande comment Juve m’expliquera qu’ils étaient au fond d’une potiche, dans l’atelier de Sunds. Du diable si nous aurions pensé à cela. »
Rue Tardieu, Fandor eut la chance de trouver le policier à domicile.
Juve était à plat ventre par terre, et fumait avec conviction une pipe énorme. Il était d’une humeur massacrante :
— Qui va là ? demandait-il sans se retourner, comme Fandor ouvrait la porte de son cabinet de travail. Si c’est vous, Jean, allez au diable !
— Ça n’est pas Jean, c’est moi.
— Eh bien, vas-y quand même.
Fandor ne se démonta pas pour si peu.
— Mon vieux Juve, ce qui me plaît en vous, c’est que vous avez l’humeur agréable aujourd’hui. Enfin cela ne fait rien. Il paraît que je dois être mal reçu partout : en haut de la Butte, j’ai reçu une tripotée formidable, en bas de la Butte, je me fais envoyer au diable. Je vais tâcher de descendre sur les boulevards, peut-être qu’on ne m’y engueulera pas.
Juve, cependant, demeurait étendu. Sans même tourner la tête, il interrogea :
— Pourquoi as-tu reçu une tripotée au haut de Montmartre ? Et avec qui te l’es-tu flanquée ?
— Avec Sunds.
— Avec Sunds ? Qu’est-ce que tu fichais chez Sunds ? Il a eu raison de te fiche à la porte, cet homme, si tu venais l’embêter comme tu viens m’embêter.
— Juve, ce qu’il y a précisément d’injuste dans l’histoire, c’est que je suis aussi mal reçu par vous que par Sunds, or, je fais chez vous le contraire de ce que j’ai fait chez Sunds.
— Qu’y faisais-tu, animal ?
— Juve, j’ai pris chez Sunds, quelque chose… et ce quelque chose, je vous l’apporte.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Cela.
Fandor, d’un geste rapide, jeta les papiers d’Hélène à Juve.
Sur ce, il fit à son vieil ami, le récit de ses aventures.
— Et voilà, qu’est-ce que nous allons faire ?
Juve n’hésita pas.
— Ce que nous allons faire ? Aller trouver Sunds, parbleu ! Il y a gros à parier que c’est cet individu qui s’est glissé chez moi, en prenant ma tête pour voler les papiers d’Hélène, puisque en somme, c’est chez lui que tu viens de retrouver ces papiers. Sunds, c’est sûrement un complice de Fantômas.
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Juve et Fandor se hâtèrent de remonter la Butte Montmartre. Vers sept heures et demie ils arrivaient à l’atelier du peintre.
— Attention, recommanda Juve, j’ai tout lieu de croire que le bonhomme doit être sur ses gardes. S’il s’est battu avec toi, Fandor, tu admettras bien que, tout déguisé que tu étais, il a dû supposer que tu jouais un rôle louche. Donc, quand il va nous apercevoir, il va tâcher de se défiler le plus vite possible. Tu vois ce qu’il y a à faire, Fandor ?
— Oui, nous entrons dans le jardinet sans faire de bruit, nous nous glissons jusqu’à la porte. Cette porte, nous l’ouvrons rapidement, et, non moins rapidement nous nous précipitons sur le nommé Sunds que nous accablons de questions.
Juve et Fandor se glissèrent, comme ils venaient d’en convenir, dans le jardinet qui précédait l’atelier de Sunds.
— Doucement, recommandait Juve.
Au même instant, Fandor posa son bras sur l’épaule du policier.
— Entendez-vous ?
— Non, quoi ?
— On aurait dit un gémissement.
— Tu es fou.
Le policier, pourtant, prêtait l’oreille. Fandor ne s’était pas trompé. Quelqu’un gémissait, un cri étouffé s’entendait à peu de distance.
Alors Juve prit son parti :
— Vite, dit-il, et le revolver au poing.
Ils se précipitèrent au même instant vers la porte de l’atelier, l’ouvrirent brusquement.
Mais, en ouvrant cette porte, Juve réalisait, à son insu, les horribles prévisions de Fantômas :
La corde tirait hors de la gouttière le malheureux Sunds, Juve et Fandor n’avaient pas le temps de se reconnaître qu’un corps leur tombait sur la tête, cependant qu’à quelques pas d’eux une sorte de boule ronde, sanglante, roulait.
C’était la tête de Sunds, la tête que le fil de fer avait tranchée net, comme l’avait prédit Fantômas.
21 – LES AMATEURS DE FAUX REMBRANDT
La vente devait commencer à deux heures précises, mais une bonne demi-heure auparavant, la foule s’écrasait déjà dans la salle D de l’hôtel Drouot, qui avait été réservée à l’éparpillement sensationnel des objets d’art ou autres, ayant appartenu à l’infortuné Danois Sunds. On avait annoncé la liquidation de ses biens, à grand renfort de réclame dans les journaux, dans l’espoir de faire une vente qui rapporterait pas mal d’argent.
C’était là l’intérêt des créanciers assez nombreux que le Danois laissait après sa mort tragique.
Il y avait eu un autre but à cette publicité, but que seuls quelques initiés pouvaient connaître. La police, en effet, était toujours sur les dents et confuse aussi de n’avoir pas fait la lumière sur le mystérieux assassinat du marchand d’antiquités, que l’on ne pouvait, malgré tout, attribuer à un accident.
Fantômas, avait conclu Juve.
Mais c’est à peine si désormais, dans les bureaux de la Sûreté, comme dans les couloirs du Palais de justice, on osait prononcer ce nom redoutable.
Or, si l’on avait annoncé à grand tapage la vente des objets ayant appartenu à Sunds, et si on avait décidé d’opérer cette vente dans les salons de l’hôtel Drouot, c’était afin d’y attirer parmi la foule interlope et variée qui fréquente habituellement l’hôtel des Ventes, des gens qui, peut-être, de près ou de loin, auraient été mêlés aux mystérieuses affaires dont on recherchait la solution.
Il y avait autre chose également qui devait corser l’intérêt de cette vente. C’était la présence de la copie du tableau désormais presque aussi fameuse que le tableau lui-même : le Pêcheur à la lignede Rembrandt.
Les instructions ouvertes avaient établi que l’auteur de cette affreuse peinture, qui avait été substituée à l’original, n’était autre que Érick Sunds. La découverte de sa supercherie remontait au lendemain de sa mort.
Lorsque Juve, avec les agents de la Sûreté, perquisitionnaient dans l’atelier du défunt, ils y avaient découvert en effet, une boîte de couleurs contenant une palette, sur laquelle étaient étalés quelques couleurs, quelques mélanges encore tout frais. Or, ces diverses teintes que le peintre avait composées étaient, pour la plupart, exactement identiques à celles de la copie qui avait remplacé la toile authentique à l’exposition de Bagatelle.
Puis on avait enfin, au cours de l’enquête à Bagatelle, constaté que quelqu’un avait dû passer la nuit enfermé dans le palais, la veille de l’inauguration, et, par une enquête fort bien menée d’ailleurs, on avait conclu que Sunds était le voleur et le copiste du superbe Rembrandt.
Il avait donc été décidé, sur les instances de Juve, et encore que cela ne fût pas très régulier, que l’on mettrait en vente, avec les objets ayant appartenu à Sunds, la copie du tableau de Rembrandt.
Lorsque les portes s’ouvrirent, la salle D se remplit en un clin d’œil.
On s’y écrasait consciencieusement. Des gens étaient debout, pressés les uns contre les autres. Toutefois, le monde élégant, les gens chics, n’étaient pas venus là. Par snobisme ou curiosité, certains auraient été désireux d’assister à cette vente d’un genre assez inattendu, mais ils avaient eu peur. N’insinuait-on pas, depuis quelques jours dans le public, qu’il se pourrait bien qu’il se passât de vilaines choses à l’hôtel Drouot, ce jour-là ?