Выбрать главу

M. Varin, commissaire-priseur, chargé de la vente, vint rapidement s’installer à son bureau et, assisté de deux experts et de trois employés, il commença l’énumération des divers lots que l’on avait préparés.

Les enchères s’engagèrent, un peu molles, mais assez normales, cependant.

C’est ainsi que l’on vendait du linge, des meubles, quelques bibelots, des ustensiles de ménage.

Dans un coin de la salle, deux hommes causaient à voix basse.

Ils avaient l’air de modestes employés ou de gens venus de province, vu leurs accoutrements. Si quelqu’un, toutefois, s’était avisé de les regarder de près, et si on avait pu les voir au grand jour et non point dans cette salle fort obscure, on se serait peut-être rendu compte qu’ils avaient des apparences suspectes l’un et l’autre. Un habitué aurait certainement reconnu que ces deux hommes-là étaient grimés, qu’ils portaient des postiches, que leur visage était maquillé.

Les deux hommes ainsi dissimulés dans le fond de la pièce étaient Juve et Fandor.

Le policier avait entraîné là le journaliste, en lui disant :

— Tu vas voir qu’il se passera quelque chose et que nous ne sortirons pas de cette salle sans que notre enquête ait progressé.

Juve n’en avait pas dit plus, mais Fandor, habitué aux mystérieuses attitudes de son ami, n’avait pas insisté, attendant les événements. Ceux qu’escomptaient Juve, devenaient évidemment imminents.

Le commissaire-priseur venait en effet d’annoncer, après un petit silence :

— Mesdames et messieurs, nous allons mettre aux enchères un tableau représentant le Pêcheur à la ligne, attribué à Rembrandt.

C’était une façon élégante et délicate pour ce fonctionnaire, de désigner l’effroyable copie effectuée à grands coups de pinceau par Érick Sunds.

Le commentaire du commissaire-priseur détermina quelques murmures. On entendit fuser des éclats de rire.

Juve s’était penché vers Fandor et lui murmurait à l’oreille :

— Tu vas voir ce qui va se passer. Et si je ne me trompe pas, celui qui emportera ce tableau va le payer un bon prix. Cette pièce-là, c’est tout l’intérêt de la vente, et ça va se monter terriblement.

— Pourquoi ? À part l’intérêt de curiosité anecdotique que présente cette œuvre, elle n’a aucune qualité artistique que je sache ?

Mais Juve, mystérieusement, secouait la tête :

— Tu vas voir, j’ai mon idée.

Il s’arrêta, puis, reprit, comme si soudain il allait faire une confidence à Fandor :

— As-tu remarqué que…

Mais brusquement, Juve se tut. On faisait silence en effet dans la salle, l’enchère commençait.

Avec un ironique sourire, le commissaire-priseur annonça :

— La mise à prix est à trois francs.

— Trois francs, répéta l’aboyeur, dont la voix puissante se répercutait, sonore, dans l’atmosphère chaude de la pièce. Trois francs. Une fois, deux fois…

— Cinq francs, fit une voix.

Une autre :

— Sept francs.

Un petit temps d’arrêt. Les gens se regardaient dans la salle, semblaient se surveiller du coin de l’œil.

— Ça a l’air en effet de monter terriblement, votre tableau, dit Fandor.

Et, comme pour lui donner un démenti, un acheteur se manifestait :

— Douze francs, cria-t-il.

— Vous avez entendu ? Douze francs. Il y a preneur à douze francs !

Et Juve ne perdait pas confiance, il continuait à dire tout bas :

— Tu vas voir que ça va monter, tu vas voir la hausse !

— Treize francs, fit le journaliste qui, par manière de plaisanterie, y alla lui aussi de son enchère.

Mais, à sa grande surprise, Juve lui avait serré le bras nerveusement. Le policier grognait :

— Tais-toi donc, imbécile, tu vas faire tout manquer ! Si jamais le tableau te reste sur les bras, tout est perdu.

Interloqué, Fandor regrettait de s’être ainsi avancé, bien qu’il n’eût pas compris pourquoi Juve redoutait désormais de le voir garder ce tableau au prix de treize francs, alors que l’instant précédent, le policier supposait qu’il allait monter très haut.

Leurs appréhensions, toutefois, furent calmées par ce fait que, d’une voix cassée, éraillée, une femme qui, jusqu’alors, ne s’était pas encore manifestée, surenchérissait aussi :

— Je mets quinze francs, dit-elle.

— Quinze francs, répéta le commissaire-priseur, une fois… deux fois… Voyons, messieurs, mesdames, l’affaire en vaut la peine, c’est pour rien.

L’aboyeur répéta :

— Quinze francs, il y a un amateur à quinze francs !

Puis ce fut le silence. Alors, retentit un coup sec, le marteau du commissaire-priseur retomba sur la table, l’affaire était traitée. La copie du Rembrandt était adjugée. À quinze francs.

Qui donc s’était porté acquéreur ?

Il y eut un remous dans la foule, on se précipitait pour voir la personne qui cherchait à se frayer un passage, dans les rangs du public, pour donner son nom et son adresse, et régler en même temps son achat.

Cependant que Juve hochait la tête, d’un air mystérieux mais satisfait, Fandor étouffait une exclamation de surprise. Il connaissait la personne qui, désormais, était propriétaire du faux tableau exécuté par Érick Sunds : c’était la mère Toulouche.

Depuis quelques mois, la sordide mégère avait repris son ancien métier. Fandor savait qu’elle tenait un bric-à-brac, au haut de la rue Lepic, et qu’elle était mêlée à tout ce monde interlope et bizarre de rapins sans travail, de chineurs, aux fréquentes absences, de fabricants de faux objets d’art. Il regarda Juve d’un air interrogateur.

Le policier souriait :

— Ça va très bien, murmura-t-il, très bien… nous sommes sur la bonne piste !

La mère Toulouche, toutefois, avait donné une pièce de vingt francs pour régler son acquisition. On lui rendit la monnaie et, conduite par l’un des secrétaires du commissaire-priseur, elle passa dans une pièce voisine où on allait lui donner livraison de son acquisition.

Le gros intérêt de la vente avait disparu, et la salle se vida aux deux tiers, cependant que le commissaire, impassible, continuait à détailler les lots qui restaient à vendre.

Juve et Fandor étaient sortis. Ils se retrouvèrent rue Drouot. Juve entraîna son ami :

— Allons chez toi, rue Richer, fit-il. Il est bon de nous débarbouiller et d’enlever ces grossiers maquillages qui pouvaient passer inaperçus dans la pénombre de l’hôtel des Ventes, mais qui nous feraient remarquer dans la pleine lumière du jour.

Et lorsque les deux hommes furent installés dans le petit appartement de Fandor, ce dernier demanda à son ami :

— Enfin, Juve, m’expliquerez-vous pourquoi, après vous être attendu a voir ce tableau se vendre très cher, ce qui semblait vous plaire, vous avez eu l’air très content lorsque vous avez constaté qu’il était vendu fort bon marché ?

— Cela prouve que j’ai un excellent caractère, et que je suis toujours heureux des événements qui se produisent.

— Parfait, dit Fandor, mais encore ?

Juve redevint sérieux :

— Eh bien voilà, dit-il. J’estime que mes affaires vont très bien. Je suis sûr d’être sur une bonne piste. En réalité, j’avais peur de voir ce tableau filer dans les mains d’un amateur. Or, il reste dans le « milieu » d’où il ne doit pas sortir pour le moment. De deux choses l’une : ou ce tableau a été acheté par une bande noire de revendeurs, simplement pour en tirer ensuite un certain profit. Ou alors ce sont les complices de Fantômas, ceux qui, de près ou de loin, se sont mêlés des affaires des chineurs, qui ont gardé ce tableau. Je crois que cette dernière hypothèse est la bonne et, dès lors, nous allons mener notre enquête grand train.