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— Mon Dieu, c’est elle et pourtant, non. C’est impossible, impossible, absolument !

22 – LA COPIE ET L’ORIGINAL

Un double coup de sonnette énergique et violent apprit à Juve l’arrivée de Fandor.

Le vieux domestique Jean alla ouvrir et, quelques instants après, le journaliste bondissait littéralement dans le cabinet de toilette où le policier achevait de se vêtir.

Il était à peine huit heures du matin, c’était le lendemain du jour où avait eu lieu la vente à l’hôtel Drouot des objets ayant appartenu au Danois Érick Sunds et au cours de laquelle le commissaire-priseur avait adjugé, à fort bon compte, d’ailleurs, la fameuse copie du tableau de Rembrandt que la mère Toulouche payait la modique somme de quinze francs.

Fandor arrivait chez Juve, ce matin-là, avec un visage chaviré qui détermina une question immédiate de la part de l’inspecteur de la Sûreté.

— Que se passe-t-il donc ? interrogea celui-ci. Mon pauvre Fandor, tu parais ravagé ?

Le journaliste se laissa tomber sur un fauteuil :

— Ouf, je ne tiens plus debout ! Il est vrai, ajoutait-il en se passant les mains sur le front, que j’ai couru toute la nuit. En vain, d’ailleurs. Je voulais à toute force retrouver Hélène qui se dérobe, qui me fuit sans que je puisse savoir pourquoi.

— Et l’as-tu rencontrée ?

— Non. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’elle en ce moment, j’ai des choses urgentes à vous dire et qui réclament toute votre attention. Au moment où j’allais, de guerre lasse, rentrer chez moi pour me reposer de cette nuit de démarches inutiles, figurez-vous, Juve, que j’ai rencontré Paquerett.

— Le commissaire de police de Clignancourt ?

— Lui-même ! Il m’a raconté des choses extraordinaires.

— Paquerett est un imaginatif, je t’en préviens d’avance.

— Imaginatif ou non, grommela Fandor, il y a les faits qui sont là. Ils vont vous faire bondir.

— Je t’écoute.

— Donc, commença Fandor, Paquerett a été saisi hier soir d’une plainte.

— Ce sont des choses, constata Juve, qui arrivent assez souvent aux commissaires de police.

— Si vous m’interrompez tout le temps, je n’en aurai jamais fini.

— Commence donc.

— Eh bien, dit Fandor, voilà : figurez-vous Juve, que, hier soir vers huit heures et demie environ, un mécanicien s’est présenté au commissariat, bouleversé. Il voulait à toute force parler au commissaire, celui-ci était précisément à son bureau. L’homme lui a déclaré : « Je suis propriétaire d’une automobile de grande remise [16] et, depuis ce matin, j’étais loué par une dame d’un certain âge. Nous avons fait diverses courses dans Paris, nous sommes retournés déjeuner chez elle en banlieue, puis revenus ensuite sur les boulevards, et enfin, vers sept heures du soir ma cliente m’a commandé d’aller rue Lepic, à Montmartre. Nous y chargeons un tableau d’assez grandes dimensions et la cliente, qui m’avait payé ma journée d’avance, me dit : « Allez porter cela chez moi, à Ville-d’Avray, où je vous retrouverai à dix heures ce soir. »

— C’est tout à fait intéressant ce que tu me racontes là. Ce mécanicien est sans doute venu dire que sa cliente lui avait refilé une pièce en plomb.

— Non. Au lieu de partir directement pour Ville-d’Avray, le mécanicien s’est arrêté à quelques mètres de la place du Tertre, chez un marchand de vin, pour y prendre l’apéritif. Il est resté cinq minutes à peine dans l’établissement ; lorsqu’il en est sorti, plus de voiture. L’automobile avait été volée.

— C’est bien fait, déclara Juve, il n’avait qu’à obéir aux ordres reçus.

— Le mécanicien affolé, désespéré comme bien vous le pensez, a fait du tapage dans le quartier, s’est renseigné auprès des voisins. Au bout d’une demi-heure, il a retrouvé sa voiture arrêtée dans une impasse à côté de la rue Lepic. Toutefois, le tableau qu’elle transportait n’y était plus. Le mécanicien est venu raconter cette histoire au commissaire, car il a eu peur d’avoir à encourir des responsabilités quelconques au sujet du tableau disparu.

— De plus en plus intéressant, déclara Juve dont la persistance d’ironie exaspérait Fandor.

— Ah sapristi, Juve, cria-t-il, soyez donc un peu sérieux ! Écoutez-moi bien maintenant, c’est ici que l’affaire se corse. Le commissaire entend donc la déclaration du mécanicien et il l’interroge d’abord sur la nature de ce tableau. « Qu’est-ce qu’il représentait ? » demanda-t-il. « Un pêcheur à la ligne », répond le mécanicien. Le commissaire sursaute. Il a entendu, comme tout le monde, parler de l’affaire de Bagatelle et il se demande naturellement si le tableau dérobé n’est pas celui qu’on recherche depuis si longtemps, si ce n’est pas le Rembrandt appartenant à M e Faramont. Il interroge minutieusement le chauffeur et lui demande l’adresse du bric-à-brac chez qui sa cliente a acheté ce tableau. « Rue Lepic, cent vingt-cinq », dit le chauffeur, et Paquerett en conclut, lui qui connaît son quartier, que le tableau provient du bric-à-brac de la mère Toulouche. Il est à ce moment dix heures du soir, le commissaire emmène le plaignant jusque chez la brocanteuse. On la réveille, elle commence par pousser des cris terrifiants, croit qu’on vient l’assassiner. Le commissaire lui montre son écharpe et la mère Toulouche, encore plus épouvantée, s’imagine qu’elle va être arrêtée. Elle jure qu’elle n’a rien fait, le commissaire affirme qu’il ne lui en veut pas. Enfin, après vingt minutes de quiproquos, on finit par se comprendre. Et la mère Toulouche déclare que le tableau dont le mécanicien avait constaté la disparition n’est autre que la copie du Pêcheur à la ligneque, dans l’après-midi même, elle avait acheté à l’hôtel des Ventes pour une somme modique, puis, revendu avant le dîner moyennant vingt-cinq louis, à la vieille dame venue chez elle dans l’automobile du plaignant. Voilà l’affaire.

— Et alors ?

Fandor leva les bras au ciel.

— Vraiment, vous êtes difficile, mon cher ami, fit-il, si vous trouvez que tout cela n’est pas extraordinaire ! Comment ? Ce tableau dont personne ne semblait vouloir à l’hôtel des Ventes, voici qu’on vient l’acheter le soir même à la brocanteuse un prix exorbitant, puis qu’on le fourre dans une voiture automobile, qu’on vole cette dernière, qu’on la restitue ensuite, mais avec le tableau en moins, et cela vous paraît très naturel ? Eh bien, non, pas à moi. Il y a quelque combinaison louche, quelque mystère que l’on pourrait élucider seulement si le voleur de l’automobile était connu. Or, non seulement le voleur est inconnu, mais encore je doute qu’on puisse l’arrêter jamais.

— On n’arrêtera pas en effet ce voleur. Je puis le garantir, Fandor, et, sur ce point, tu as raison. Quant à prétendre que le voleur est inconnu, certes, il l’est de beaucoup de gens, mais il est cependant quelqu’un, tout au moins, qui le connaît.

— Ah bah, auriez-vous donc, Juve, des renseignements précis à ce sujet ?

— J’en ai, très précis encore.

— Expliquez-vous ?

— T’expliquer les choses serait un peu long, j’aime mieux tout net te déclarer que le voleur m’est connu, pour cette bonne raison que le voleur, c’est moi.

Fandor, qui s’était levé, retomba de tout son poids sur le fauteuil qu’il venait de quitter.

— Vous en avez de bonnes, Juve !

— Je suis on ne peut plus sérieux.

— Allons, vous racontez des blagues ?

— Des blagues ? Décidément, Fandor, tu es comme saint Thomas, tu ne crois que ce que tu vois. Soit, je n’insiste plus, viens avec moi dans la pièce à côté et tu verras quelque chose qui te convaincra.

Les deux hommes passèrent dans le cabinet de travail de Juve et Fandor s’arrêta, poussa une exclamation de surprise.

— Ah, sapristi, eh bien, Juve, vous m’en bouchez un coin !

Fandor demeura abasourdi, immobile, les yeux arrondis. En face de lui, au beau milieu de la pièce, placé bien en vue sur un chevalet, se trouvait un tableau.

— Mon cher Fandor, déclara Juve, en regardant du coin de l’œil son ami, je vois que tu es littéralement ahuri en constatant la présence de ce tableau chez moi.