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— Vous avouerez, Juve… ?

— Écoute et tu vas comprendre… Depuis que ce tableau a été si audacieusement subtilisé à l’Exposition de Bagatelle, j’ai fait enquête sur enquête et je suis arrivé à retrouver à peu près la filière exacte du vol et de la copie. Comme tu le sais, c’est Érick Sunds qui est le principal acteur dans cette comédie ingénieuse, puisque c’est lui qui s’est chargé de reproduire le célèbre chef-d’œuvre. Érick Sunds est mort, et je suis persuadé désormais que, non seulement il a été l’auteur de la copie, mais encore qu’il est un des voleurs du tableau de Rembrandt.

— Un des voleurs, Juve ?

— Oui, Fandor, un des voleurs, je répète, car – et de ceci je suis certain, désormais – il y a dans cette affaire plus qu’un Érick Sunds, il y a Fantômas.

— Et comment avez-vous fait ?

— Donc, Fandor, sachant que Fantômas était mêlé à cette affaire, je me suis armé pour la lutte, j’ai pris de grandes précautions. Lorsque j’ai été avec toi, hier après-midi, à l’hôtel des Ventes, je t’affirmais que l’enchère allait monter, je me suis trompé, en partie, puisque la copie d’Érick Sunds a été achetée seulement quinze francs, mais ce qui est intéressant, c’est que l’acheteuse était la mère Toulouche. Il y avait, tu t’en doutes, plus qu’une coïncidence à ce fait que l’affreuse mégère, que nous avons si souvent eu l’occasion de rencontrer sur notre route lorsque nous poursuivions Fantômas et sa bande, était l’acheteuse du faux tableau.

— En effet, reconnut Fandor. Alors, Juve, vous avez été prendre le tableau chez elle ? Mais je ne vois pas l’intérêt…

— Tais-toi, bavard, et écoute-moi cinq minutes, tu vas comprendre. Donc, j’ai été en effet chez la Toulouche, je lui ai déclaré que je désirais acheter ce faux Pêcheur à la ligne. Après quelques hésitations, provenant sans nul doute de la crainte que je lui inspirais, et aussi du fait que déjà elle connaissait l’acheteur, ou du moins le véritable personnage à qui elle réservait ce tableau, elle a fini par m’accorder, au prix de cinquante francs, la croûte d’Érick Sunds. Bien. Je me suis absenté, soi-disant pour aller chercher une voiture à bras, et pendant ce temps, tu ne devines pas, Fandor, ce que j’ai fait ?

— Mais non. Comment voulez-vous que je sache, Juve ?

— Tu es idiot, mon petit. Je me suis caché, j’ai guetté, et j’ai vu, non pas ce que je voulais, mais enfin… J’ai encore un atout dans mon jeu…

— Expliquez-vous, mon vieux Juve, je vous en prie ! Vous êtes assommant avec vos discours qui ne riment à rien.

— Merci, tu es aimable ! Enfin bref, je continue : donc j’ai vu quelqu’un entrer chez la Toulouche et emporter dans une automobile le fameux tableau que je venais d’acheter.

— Et alors, Juve, vous avez jugé bon de chiper ce pauvre Pêcheur à la lignedans l’auto que le chauffeur avait abandonnée provisoirement en face d’un bistro ?

— Tu as deviné, Fandor.

— Mais tout cela, mon vieux Juve, c’est bête, et je ne comprends pas du tout pourquoi vous n’avez pas, plus simplement, acheté ou fait acheter à l’hôtel Drouot, la croûte d’Érick Sunds. Tout cela, avouez-le, c’est toujours votre perpétuelle manie de faire des mystères.

— Je n’ai pu voir Fantômas venir prendre le tableau chez la mère Toulouche. C’est une femme qui est venue le chercher, c’est une femme aux cheveux blancs, mais tant pis, si Fantômas n’est pas venu lui-même – ce dont je me doutais un peu d’ailleurs – je suis arrivé à un résultat : j’ai repris le Rembrandt et c’est déjà quelque chose.

— Vous avez repris le Rembrandt ? Vous devenez fou, Juve ?

— Non, mon petit, regarde.

Fandor écarquilla les yeux et il regarda le chevalet où se trouvait le faux Pêcheur à la ligned’Érick Sunds.

— C’est la copie, s’écria-t-il, mais…

Juve l’interrompit :

— D’accord, j’ai donc la copie. Désormais, Fandor, reste à découvrir le tableau authentique.

— Ma foi, c’est vrai, conclut le journaliste qui, ne sachant pas où devait en venir le policier, interrogea :

— Mais comment allez-vous parvenir à ce résultat ?

— Par la logique et la déduction, déclara Juve. Tu verras que la chose n’est pas très difficile. Écoute-moi bien, petit.

— Le temps d’allumer une cigarette et je suis tout oreille.

— Il est prouvé, n’est-ce pas, que la grossière copie que l’on a découverte aux lieu et place du vrai tableau, lors de l’inauguration de l’Exposition de Bagatelle, a été effectuée par ce malheureux Érick Sunds, si lâchement assassiné par Fantômas. Or, j’imagine qu’il a dû faire ce travail à Bagatelle même, dans la nuit qui précéda l’inauguration de l’exposition.

— C’est certain, déclara Fandor, cela a été démontré par les enquêtes, que c’est bien le véritable tableau de Rembrandt qui a été apporté la veille au soir par Sunds et le bâtonnier au palais de Bagatelle.

— Oui, précisa Juve, le vrai tableau a été mis en place devant témoins. On ne peut élever le moindre doute à ce sujet. Mais il y a quelque chose de plus extraordinaire.

— Quoi donc ?

— Ce fait qu’il est démontré aussi que le véritable tableau n’a pas pu sortir de l’exposition.

— C’est impossible, observa Fandor, puisqu’il a été remplacé par la copie.

— Je ne dis pas le contraire, continua Juve, je veux simplement affirmer que si le tableau est sorti de Bagatelle – je parle du vrai – il n’en est pas sorti en cachette, mais bien au vu et au su de tout le monde.

— Je ne comprends pas.

— Cela n’a pas d’importance. Le tableau, le vrai, est sorti dis-je, devant tout le monde de l’exposition de Bagatelle, et personne ne s’en est aperçu, parce que nul ne savait le fond des choses, sauf deux personnes : l’auteur de la copie, c’est-à-dire Sunds et l’individu malfaisant qui lui a commandé cette copie, c’est-à-dire Fantômas, j’imagine.

— Fantômas ? Pourquoi ?

— Parce que c’est Fantômas qui a imaginé de voler le tableau du bâtonnier, c’est lui qui en a chargé Sunds, et c’est pour cela qu’il a tué ce malheureux, afin de faire disparaître un témoin gênant.

— J’admets encore votre théorie, mais cela ne nous dit pas ce qu’est devenu le vrai tableau.

— Crois-tu ? s’écria Juve en riant. Nous n’aurons pourtant pas besoin de chercher bien longtemps. Le vrai tableau est ici.

Et, d’un geste solennel, Juve montrait la toile qui se trouvait à côté d’eux, sur le chevalet.

Fandor, un instant interloqué, ne répondit rien. Puis, brusquement, il éclata de rire :

— Eh bien, Juve, fit-il, je m’attendais à mieux que cela de votre part. Vous prétendez que c’est le vrai tableau qui est là ! Moi, sans être connaisseur, je vous affirme que c’est le faux.

Juve hocha la tête en souriant :

— Tu as raison, Fandor, et moi je n’ai pas tort, car, en réalité, les deux tableaux sont là.

— Où ?

— Ne cherche pas midi à quatorze heures, déclarait le policier, je te dis que les deux tableaux sont là, devant nous, sur le chevalet. Malheureusement, nous avons l’un et l’autre des yeux si médiocrement construits qu’ils ne nous permettent de voir qu’un seul tableau à la fois.

— Juve, Juve, ou vous vous moquez de moi, ou vous avez juré de me rendre fou, ou alors vous êtes fou, absolument louftingue ! Ce que vous racontez là est incompréhensible et ça ne tient pas debout.

— Merci, fit Juve d’un air fâché, j’aime à t’entendre parler de la sorte alors que c’est toi qui déraisonne, Fandor, et je m’en vais te le prouver.

Le journaliste ne répondit point. Il serra les dents, ferma les lèvres, désormais résolu à ne plus prononcer une seule parole jusqu’à ce que Juve ait fait la lumière dans son esprit.

Le policier, toutefois, semblait se faire un malin plaisir de vouloir taquiner Fandor jusqu’au bout. Il le prit par la main, l’amena auprès du tableau et lui fit considérer la peinture.