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Juve courut à l’appareil, eut une brève conversation.

Lorsqu’il revint trouver Fandor, il avait l’air navré.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda le journaliste.

— Il y a, grogna Juve, que cet imbécile de commissaire a bavardé, qu’il a téléphoné à M e Faramont et c’est ce dernier qui vient de m’appeler pour me féliciter d’avoir retrouvé son tableau et me demande aussi de le lui rendre au plus vite.

— Eh bien, cela se comprend.

Juve allait répondre, mais la sonnerie du téléphone tintait à nouveau. Le policier alla répondre en maugréant, et lorsqu’il revint, il avait l’air encore plus furieux.

— De mieux en mieux ! grommela-t-il. Ce commissaire est décidément une fichue bête, il va crier la chose à tous les coins de Paris, voilà qu’on l’a apprise à M. de Keyrolles et que cet excellent homme, qui a assuré et payé le tableau, me téléphone pour me le réclamer.

— Dame, c’est assez juste, somme toute. Le tableau lui appartient, puisqu’il en a payé la valeur.

— Sans doute, sans doute… Je n’en sais fichtre rien, moi. C’est affaire aux tribunaux de le décider.

Juve s’étranglait à moitié en buvant.

Après avoir toussé, craché, mouché, il dit à Fandor :

— Cette histoire-là, personne ne devait la connaître. Grâce au bavardage de Paquerett, tout le monde la sait.

— Tout le monde la sait ? s’écria Fandor qui, très joyeux malgré tout, se versait une rasade.

— Juve, s’écria-t-il.

— Quoi, Fandor ?

— Juve, poursuivit le journaliste en éclatant de rire, il ne manque plus que Fantômas, et je ne serais pas étonné de le voir arriver chez vous pour vous réclamer le tableau.

Le policier donna un violent coup de poing sur la table.

— Plaisante si tu veux, Fandor, dit-il, mais j’y pensais précisément, et d’ailleurs, après tout, avec ce gaillard-là, nous en avons vu bien d’autres.

23 – LA MORTE

Qui donc cependant, alors que Fantômas, après avoir quitté le bric-à-brac de la mère Toulouche, était à Ville-d’Avray pour y reprendre le fameux tableau acheté par la grande dame en automobile, avait osé tirer sur le Maître de l’Effroi ?

Quelle était tout d’abord cette mystérieuse femme aux cheveux blancs, à l’attitude toujours grave, toujours sombre et triste, qui paraissait sous le coup d’un effroyable chagrin, d’une douleur immense et tragique ?

Tandis que, sous les coups de feu tirés dans la nuit, Fantômas s’enfuyait du jardin de la villa abandonnée, la mystérieuse dame était debout, sur le perron de son petit hôtel, tremblante, livide, prête à défaillir, et pourtant, semblant prête à la lutte, fouillant l’ombre de ses regards, prêtant l’oreille et murmurant tout bas d’une voix chargée de haine :

— Je le tuerai. Je le tuerai.

Cette femme extraordinaire demeurait sur ce perron de longues minutes, elle ne paraissait pas avoir conscience du temps, elle paraissait oublier tout ce qui l’entourait, comme prise par la hantise d’une idée fixe, comme entraînée par ses propres réflexions, comme courbée sous la rafale de sentiments.

Et puis, brusquement, elle tressaillit.

Cette femme qui, pendant de longues minutes avait paru incapable d’action, sur le point de s’évanouir, se redressait. Le masque de son visage devenait à nouveau volontaire, impérieux. À nouveau, dans ses yeux, la volonté mettait une colère, un éclat brutal.

— Est-ce lui encore ? se demandait-elle.

Elle avait une main fine et délicate, la main soignée d’une grande dame, elle leva son revolver, et rapide, habile, fit sauter les cartouches tirées qu’elle remplaça par d’autres cartouches.

— Si c’est lui, murmurait-elle, je le tuerai.

Elle attendit longtemps. Les bruits qui venaient de la faire tressaillir se répétèrent dans l’ombre, c’étaient des bruits de pas.

Bientôt, des chuchotements les accompagnèrent. La femme mystérieuse descendit alors dans le jardin. Elle se mêla à la nuit, et, frissonnante, farouche, l’arme au poing, s’avança dans les massifs.

Or, elle avait à peine fait quelques pas, qu’une inexprimable expression de douceur passait sur son visage.

Il semblait que cette femme qui, un instant avant parlait de tuer, eût été soudainement émue, attendrie.

— Pauvres enfants, murmurait-elle.

Elle s’était arrêtée, elle reprit sa marche, hâtant le pas.

— Monsieur Jacques, appelait-elle bientôt.

À quelques pas d’elle, un couple passait, enlacé. Jacques Faramont et Brigitte, qui de nouveau s’étaient rendus dans le jardin de la villa mystérieuse pour, en échappant à toute surveillance, tenir des propos d’amour.

Les deux jeunes gens n’avaient même pas entendu le bruit des détonations qui venaient de retentir quelques minutes avant, ils allaient, perdus dans un rêve, et tout ce qui les entourait leur était à ce point étranger, que cet appel même ne les fit pas se retourner tout d’abord.

— Monsieur Jacques, appela encore la mystérieuse femme aux cheveux blancs.

Cette fois, le fils du bâtonnier tressaillit.

— Qui va là ?

Devant lui, la silhouette de la grande dame se dessina soudain.

— Monsieur, dit-elle, je vous avais prié de ne pas revenir chez moi et vous me l’aviez promis.

À la minute, la petite Brigitte perdait la tête :

— C’est la dame d’à côté, souffla-t-elle. Ah, Jésus-Marie, ça va faire encore des histoires. Venez-vous-en, Jacques. Partons. Faut lui demander pardon et ne plus revenir.

Mais Jacques Faramont avait mis le chapeau à la main, et saluant fort aimablement.

— Madame, répondit-il, il faut que je vous demande, en effet, mille fois pardon, pour la nouvelle indélicatesse dont je viens de me rendre coupable. Il est exact, en effet, que je vous avais promis de ne point revenir ici, mais votre jardin est si calme, si tranquille, si attirant, que je me suis laissé entraîner…

Il allait continuer à parler, reprenant un peu d’assurance au fur et à mesure qu’il s’écoutait, lorsqu’il fut brusquement interrompu par un éclat de rire de la vieille dame :

— Vous trouvez que mon jardin est calme ? En vérité, monsieur, vous vous trompez étrangement.

— Monsieur Jacques, il faudrait partir, répétait Brigitte, cette dame n’est pas contente et elle a raison, ça va faire des histoires.

Brigitte préoccupée avant tout de ne pas perdre sa place, et par conséquent de ne pas s’exposer à des « histoires » comme elle le disait, n’avait qu’une préoccupation : s’enfuir.

Plus poli, Jacques Faramont tenait à s’excuser encore. Le fils du bâtonnier d’ailleurs, se souvenait à cet instant, des interrogations dont l’avait un jour accablé Fandor relativement à la femme mystérieuse qu’il avait un instant devant lui. Qui était-elle, cette personne ? Avait-elle été mêlée d’une façon ou d’une autre à l’extraordinaire attentat qui avait, sans nul doute, failli coûter la vie à son propre père ? D’où venait-elle ? D’où revenait-elle plutôt, puisqu’elle se trouvait à nouveau dans cette maison, après s’en être absentée au lendemain du crime avorté ?

— Madame, recommença le jeune homme, je vais vous demander la permission de me retirer, sans chercher à comprendre pourquoi il vous apparaît si bizarre que votre jardin passe à mes yeux pour parfaitement tranquille. Toutefois, je ne voudrais pas m’en aller, avant d’obtenir de vous que vous me pardonniez. Vous nous serez indulgente, n’est-ce pas ?

La dame de la villa vide souriait toujours. À la demande du jeune avocat, cependant, elle retrouva son sérieux. Le rire, mêlé de sanglots s’arrêta net, comme brisé.

Toutefois, Jacques Faramont sentait que la mystérieuse personne, à cet instant, le regardait fixement. Elle paraissait agir en somnambule, c’était en hallucinée qu’elle s’avançait vers lui, les mains frémissantes et jointes dans un geste de prière :

— Monsieur, disait-elle lentement, si vous êtes un homme d’honneur, et je veux le croire, il faut que j’obtienne de vous un serment. Ce n’est pas pour moi que je le demande, c’est pour vous. C’est à cause de vous qu’il est nécessaire, il faut vous en aller d’ici, mais il faut me jurer que vous n’y reviendrez jamais.