— À votre aise, monsieur le président.
L’inconnu s’avança lentement vers la barre.
Or, au moment même où l’artiste s’approchait du bureau derrière lequel siégeait le président des référés, au moment où il s’avançait au milieu d’un silence impressionnant parmi les rangs serrés du public, un double cri, une double exclamation retentissait.
Debout près de la barre, Juve avait poussé un cri :
— Fantômas, c’est Fantômas !
À l’autre bout de la salle d’audience, la voix de Jérôme Fandor avait retenti :
— Juve, prenez garde, il a un poignard.
Ce qui suivit se passa en un éclair. À peine Juve avait-il crié : « Fantômas, c’est Fantômas » que le soi-disant artiste s’arrachait la barbe, la moustache et la perruque :
— Eh bien oui, hurlait-il, c’est moi, Juve, et si je suis là, c’est que je veux vous tuer !
Plus vif que la pensée, Fantômas s’élança, brandissant un long poignard :
— À nous deux, Juve !
— À nous deux, Fantômas !
Epouvantés, les assistants s’écartaient. Le bras de Fantômas s’abaissa, la lame du poignard décrivit un clair chemin dans l’air.
— Touché, hurla le bandit.
— Non, hurlait Juve.
— En voilà un méchant, déclarait au même moment une voix en colère, veux-tu bien finir, il ne te parlait pas.
Alors que Juve, pour éviter le coup de poignard que lui lançait Fantômas se laissait tomber à terre et cherchait à renverser le bandit en l’empoignant par les jambes, un personnage, qui n’était autre que Bouzille, avait tranquillement saisi Fantômas par le bras gauche et le tirait en arrière.
— Laisse donc Juve, disait-il, tu vas avoir des histoires.
Bouzille était en colère.
L’inénarrable chemineau qui ne semblait d’ailleurs pas apprécier la gravité de la minute, eut peur pourtant, tout d’un coup, effroyablement peur en apercevant le visage contracté de Fantômas qui se retournant, fou de rage, bondissait vers lui.
— Bouzille, disait le bandit, tu vas me payer cher cette intervention-là !
Le poignard de Fantômas se leva de nouveau. Il allait frapper le chemineau au cœur, Bouzille était perdu… Et tout cela se passait si vite, que nul n’avait le temps d’intervenir. M. Charles, debout derrière son bureau, s’égosillait en vain :
— Arrêtez-le ! Arrêtez-le !
L’huissier, pris de peur, s’était enfui. M e Faramont hurlait : « Au secours ». Seuls, dans l’espace vide, dans la demi-lune du prétoire, demeuraient Fantômas, Bouzille et Juve.
Juve, se relevant sur le plancher, vit Bouzille perdu, il comprit que celui qui venait de le sauver, en somme, allait immanquablement avoir la poitrine trouée.
Il n’y avait plus rien à faire. Sauver Bouzille, c’était impossible. Ce fut l’impossible que Juve tenta.
— À nous deux, Fantômas ! cria-t-il.
Et aussi vite que l’avait fait le bandit, Juve, sans prendre le temps de se relever, saisissait sur la table le célèbre tableau, cause de tout le débat, et l’empoignant par le cadre, au hasard, en assenait un coup formidable sur le crâne de Fantômas.
Le bandit n’avait point prévu cette agression. Son bras dévia, il toucha Bouzille, mais ne l’atteignit pas de son poignard. Le chemineau tomba à son tour, Fantômas se retourna. Juve était devant lui. Juve terrifié, Juve considérant le malheureux tableau à demi déchiré par le coup qu’il venait de porter.
— Juve, hurla encore Fantômas, Juve, nous nous retrouverons !
Fantômas, alors, fit mine de bondir sur le policier, mais tandis que Juve se ramassait sur lui-même, prêt à une dernière lutte, Fantômas sautait de côté, par méchanceté, sans but, il crevait au passage, avec son poignard, la toile célèbre qu’il lacérait, réduisait en morceaux irréparables, puis il bondit par-dessus le bureau du président.
D’un coup de poing, Fantômas assomma le malheureux magistrat. Nul n’était encore revenu de la surprise que Fantômas, déjà, avait eu le temps d’ouvrir la porte de la chambre de conseil, qu’il s’était enfui, qu’il avait disparu.
Bouzille, alors, se releva.
— Eh bien, déclarait tranquillement le chemineau, c’est tout de même gentil ce qu’il a fait là, Juve. Il a crevé un tableau de cinq cent mille francs pour me sauver la vie. Je vaux cher tout de même. Ça, c’est d’un frère. C’est pas comme cet idiot de président et cet imbécile d’huissier.
***
Une heure plus tard, comme l’émotion se calmait au Palais de Justice, comme on perdait définitivement l’espoir de retrouver Fantômas, à la souricière, on écrouait Bouzille.
Le pauvre diable avait été si joyeux d’être sauvé au prix d’un tableau de cinq cent mille francs qu’il en avait profité pour prononcer de sottes injures à l’adresse de la magistrature tout entière.
On était fort nerveux au Palais de Justice ce jour-là, Bouzille en supporta les conséquences. On le coffra purement et simplement. Mais cela ne le troublait guère, car l’hiver approchait.
25 – LES JUSTICIERS
— Vous pleurez ?
Cette interrogation était formulée par Hélène. La fille de Fantômas était en face de son père, debout devant le sinistre bandit, lequel était effondré dans une bergère tandis que de grosses larmes lui coulaient sur les joues.
Il pouvait être dix heures du soir. Le père tragique et la fille mystérieuse se retrouvaient face à face dans cet hôtel somptueux de l’avenue Malakoff où le bandit s’était installé avec l’argent qu’il avait volé si audacieusement au bâtonnier Henri Faramont.
C’était là le repaire actuel de Fantômas. Mais il semblait que le bandit prît encore moins de précautions qu’auparavant.
Il s’enhardissait de plus en plus et ne se gênait en aucune façon pour aller et venir, lui et sa bande, autour de cet hôtel.
Fantômas, en coup de force, avait obtenu que sa fille vînt loger, chez lui. Hélène, provisoirement, avait accepté cette hospitalité. Elle y avait été contrainte pour ainsi dire, lorsque, après s’être enfuie de chez Érick Sunds, elle s’était trouvée sans gîte et sans argent.
Hélène était donc avenue Malakoff et lorsqu’elle avait voulu enfin s’enfuir de chez son père, coup sur coup, étaient survenus la mort du Danois, et enfin le dernier crime de Fantômas, le plus audacieux, le plus téméraire, la lacération du tableau de Rembrandt au Palais de Justice.
Le regard dur, le sourcil froncé, Hélène regardait son père, sombrement.
Fantômas paraissait ravagé par la douleur et l’émotion. La jeune fille se rendait bien compte, encore qu’elle ne le vît que rarement en tête à tête, que le génial bandit était vraiment beau.
Hélène ne pouvait s’empêcher de l’observer avec admiration et épouvante à la fois. Il était, malgré tout, superbe à voir avec son visage énergique, sa robuste carrure, son expression intelligente et volontaire et Hélène se prenait à avoir une sorte d’admiration superstitieuse pour un tel homme.
Mais si, par moments, elle se laissait aller à ces sentiments, il lui suffisait de regarder les mains de Fantômas, blanches, soignées, délicates, distinguées, pour sentir aussitôt une insurmontable répulsion, une véritable horreur monter en elle. Hélène ne pouvait oublier en effet que ces mains-là avaient semé le deuil et la mort autour d’elles. Ces mains-là c’étaient les instruments du Crime. C’étaient elles qui, impitoyables, obéissant à la volonté farouche du monstre, faisaient partir les coups de feu ou serraient les cordes destinées à étrangler.
Non. Hélène avait beau invoquer la voix du sang, elle ne pouvait arriver à éprouver le moindre sentiment d’affection naturelle, pour cet homme qu’elle épargnait par devoir, uniquement.
Et Fantômas cependant, ce soir-là, faisait pitié. Lorsque le bandit ne songeait pas à sa propre sécurité ou à sa vengeance, il faisait un retour sur lui-même et, dés lors, son cœur saignait à la pensée de la mort de celle qu’il avait tant aimée, de lady Beltham.
Hélène, après un long silence, se rapprocha de lui ; il y avait des années que les mains de la jeune fille n’avaient touché celles de son père, que ses lèvres n’avaient effleuré son front.
Elle ne voulut pas faire ce geste de douceur, mais elle interrogea d’une voix moins rude qu’à l’ordinaire :