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La voix d’Hélène, plus catégorique, plus froide encore que d’ordinaire, retentit dans le silence tragique :

— Mon père, la maison est cernée, disait-elle, la police approche.

On entendait, en effet, des rumeurs qui se précisaient, de plus en plus violentes, des bruits de pas, de branches cassées. Visiblement, les hommes de la Sûreté cherchaient la maison et s’en rapprochaient peu à peu. Quelques ordres brefs, à mi-voix, au lointain. Lady Beltham se mourait. Elle eut un grand soupir, dans lequel elle parut exhaler son âme. Et d’une voix presque imperceptible :

— Fantômas, au nom de notre amour, pardonnez-moi comme je vous pardonne.

— Mon père, cria Hélène, mais un peu plus fort cette fois, ils viennent de faire les trois sommations. Ils vont tirer.

— Qu’ils tirent donc, hurla Fantômas, au comble du désespoir.

Et le bandit, dans un sanglot, ajouta :

— Lady Beltham est morte.

Désormais, Fantômas, en proie à une douleur insensée, s’écroulait sur le plancher du vestibule, serrant dans ses bras le cadavre de lady Beltham couvert de sang.

L’aube se levait. Une vingtaine d’agents de la Sûreté s’étaient dissimulés dans les magasins, entourant la demeure mystérieuse et tragique.

M. Havard avait donné des instructions. On avait fait les trois sommations pour intimer à ceux qui se trouvaient dans la maison l’ordre d’en sortir, les mains hautes, et de se livrer aux autorités. Personne n’avait obtempéré. M. Havard consulta Juve. Bien que sa décision fût déjà prise, il dit au policier :

— Mes hommes ont des balles en quantité suffisante, je vais leur ordonner de faire un feu de salve.

Juve hocha la tête affirmativement :

— C’est votre devoir, monsieur Havard, dit-il, je ne puis m’y opposer.

Le chef de la Sûreté donna un coup de sifflet, ce qui signifiait pour ses subordonnés : « Attention, préparez-vous. »

Mais soudain, Fandor, qui était demeuré à côté de Juve jusqu’alors, bondit devant le policier.

D’un bras qui tremblait d’émotion, il désigna le perron de la maison.

Sur ce perron s’avançait une femme seule, dont la vue fit pâlir les deux hommes :

— C’est la fille de Fantômas, c’est Hélène, c’est la Guêpe, murmuraient les agents.

La Guêpe, le surnom que l’on avait donné jadis à la jeune fille leur revenait à l’esprit.

Et il s’imposait, en effet, car la silhouette d’Hélène se détachait de l’ombre et l’on voyait la finesse extrême de sa taille se découper, une vraie taille de guêpe.

La délicieuse jeune fille qu’était Hélène présentait, cependant un aspect épouvantable. Des pieds à la tête, elle était couverte de sang, elle avait du sang sur le visage, sur sa robe, sur ses mains, et Juve, machinalement, déclara :

— La Guêpe Rouge.

Fandor, néanmoins, avançait seul dans la direction de la maison.

M. Havard, qui allait donner l’ordre de tirer, n’osa le faire :

— Revenez, Fandor ! cria-t-il.

Mais Fandor s’était interposé entre les agents et Hélène.

Et il s’avançait vers elle, lentement, tandis que la jeune fille le voyait venir et demeurait immobile sur le perron. Hélène avait un revolver à la main, elle aperçut Fandor, ses yeux se fixèrent dans les siens, ils exprimèrent un infini désespoir.

Fandor continuait d’avancer, il était au pied du perron, à deux mètres à peine de celle qu’il aimait.

Alors, les lèvres pâles d’Hélène s’agitèrent. La jeune fille le mit en garde :

— N’approchez pas, Fandor, n’approchez pas.

Fandor ne répondit pas un mot, ne fit pas un geste, mais il gravit la première marche, et Hélène lui semblait plus belle qu’elle ne l’avait jamais été, tragique aussi, avec ses pupilles dilatées desquelles sortait un éclair sombre, avec ses bras à demi nus, dont la peau blanche ressortait sous les traces rouges.

Hélène trembla. Elle se rendit compte que la résolution de Fandor était irrévocable, et, le fixant de son regard fou d’amour et d’épouvante, elle répéta :

— De grâce, au nom de notre amour, n’approchez pas.

Fandor monta la seconde marche.

Hélène, dans un cri de désespoir, hurla alors :

— Arrêtez ou je tire.

Fandor continuait d’avancer.

Alors, spectacle inoubliable et terrible à la fois : Hélène dirigea son arme sur la poitrine de celui qu’elle aimait plus que tout au monde, de son fiancé, qui s’approchait d’elle à la toucher. La fille de Fantômas fit feu sur Jérôme Fandor.

FIN

[1] - Voir Fantômas(Fantômas N° 1)

[2] - Voir L’assassin de lady Beltham(Fantômas N° 18)

[3] Voiture de tramway sans impériale, ouverte sur les côtés. Ce type de voiture était, paraît-il, très apprécié du public.

[4] - Le mot chineur, qui a pris aujourd’hui le sens innocent d’amateur de brocantes, désignait à l’origine un filou, un escroc. Faire la chine, écrivait Littré dans son dictionnaire, consiste à augmenter frauduleusement la valeur apparente des objets

[5] - Voir La main coupée(Fantômas N° 10)

[6] - Voir Fantômas(Fantômas N° 1)

[7] - Espion placé par la police près d’un prisonnier dont il doit chercher à acquérir la confiance, afin d’en obtenir des révélations. (Dictionnaire de Vidocq).

[8] - Un règlement du 10 mai 1839 répartissait les sommes gagnées par les prisonniers en trois parts égales : le denier de poche, remis en espèces et qui pouvait être utilisé librement, la masse, somme consignée et remise aux prisonniers à leur libération. Le dernier tiers était retenu par l’administration pénale en compensation du coût de l’incarcération.

[9] - Voir La fille de Fantômas(Fantômas N° 8)

[10] - Voir Le magistrat cambrioleur(Fantômas N° 12).

[11] - Pour palier les besoins en personnels nécessaire pour entretenir, remonter et régler les horloges publiques, la ville de Paris eut l’idée d’utiliser à grande échelle la technique de l’air comprimé, qui faisait déjà fonctionner l’horloge de Notre-Dame depuis 1867. Une convention, valable pour 50 ans, fut passée le 14 septembre 1881 entre la ville de Paris et la Société générale des horloges et forces pneumatiquesde Victor Popp, pour installer dans tous Paris, avant 1889, un réseau d’air comprimé destiné à actionner des horloges publiques municipales. Les particuliers pouvaient également bénéficier de ce service, pour 5 centimes par jour, à la condition évidemment qu’ils se fassent raccorder au réseau d’air comprimé.

[12] - Ce jeu, très ancien, pouvait avoir une multitude de règles, mais qui reposaient toutes sur le même principe : chacun déposait une pièce de monnaie sur un bouchon posé sur le sol, puis, à tour de rôle, on tâchait de le faire tomber avec un palet. Celui qui y parvenait ramassait la mise.

[13] - En août 1912, époque à laquelle parut La guêpe rouge, la Turquie était en guerre avec l’Italie. Le conflit s’acheva par le traité de Lausanne signé le 18 octobre 1912. Avant même la signature du traité, la Ligue Balkanique composée de la Grèce, de la Bulgarie, de la Serbie et du Monténégro, déclarait à son tour la guerre à l’Empire ottoman.

[14] - Voir Juve contre Fantômas(Fantômas N° 2).

[15] - Voir L’assassin de lady Beltham(Fantômas N° 18).

[16] - Voitures qu'à Paris la compagnie des voitures ou des loueurs particuliers louent à l'année, au mois, ou à la journée, sans tarif fixe, à prix débattu. (Littré).

[17] - Ce nom vient des nombreuses boutiques qui faisaient du Palais de Justice un véritable bazar avant la Révolution française. Près de la galerie Marchande, on trouve également une galerie Mercière.