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Recommandations étranges en vérité, menaces étranges aussi que faisait cette grande dame à la fois si douce et si impérieuse.

Jacques Faramont fut très troublé par l’apostrophe violente et douce à la fois de la mystérieuse personne. Pourquoi parlait-elle de dangers ? Pourquoi brandissait-elle un revolver ? N’était-elle pas un peu folle ?

— Madame, murmura le jeune homme, je ne pensais pas vous importuner si gravement, mais il suffit. Je comprends que j’ai été indiscret, je vous fais toutes mes excuses, vous avez ma parole d’honneur que je ne reviendrai pas chez vous.

— Merci, monsieur.

À l’instant, la dame aux cheveux blancs s’éloigna. Elle revint soudain avec violence sur ses pas :

— Il faut encore me jurer de ne rien dire de tout cela.

— J’allais vous adresser la même prière, madame.

À la réponse de Jacques Faramont, elle se remit à rire, de son rire de folle.

— Oh, moi, faisait-elle, je me tairai. Moi, il faut bien que je me taise, vous n’avez pas à être inquiet !

Dans la nuit, sans se retourner, la vieille dame était repartie.

Mais quelle était donc cette femme ?

Si Fantômas, sur qui elle venait de tirer, l’avait bien vue, si Juve, si Fandor, avaient pu l’apercevoir, si Dick Valgrand l’avait contemplée en face, ils eussent crié son nom avec quelle stupeur !

Cette femme, c’était une morte.

C’était lady Beltham !

Lorsque lady Beltham, deux mois auparavant, avait été trouver Juve et lui avait dit : « Sauvez-moi, car Fantômas veut me tuer, car il a assez de sa maîtresse, car il songe à se débarrasser de moi, car j’ai peur », lady Beltham s’était trompée.

Jamais Fantômas n’avait pensé à se détacher de celle qu’il aimait, de celle qui, au début de sa vie, l’avait arraché au couteau de la guillotine.

Les menaces qui épouvantaient alors lady Beltham n’émanaient nullement du tortionnaire. Elles venaient de Dick, de Dick Valgrand, qui se faisait passer pour un autre Fantômas, cela précisément pour approcher de lady Beltham, pour venger la mort de son père, la mort de sa mère aussi.

Juve, tout comme lady Beltham, et parce qu’il n’était renseigné que par lady Beltham, s’était trompé. Lui aussi, avait cru que c’était Fantômas qui menaçait la grande dame, et Juve croyait toujours que c’était lui qui avait tué lady Beltham, comme lady Beltham pensait que c’était Fantômas qui avait voulu l’asphyxier dans son appartement.

Des jours d’horreur avaient suivi.

Veillée par Juve, enfermée dans sa chambre, que le policier avait en quelque sorte blindée, lady Beltham, se croyant menacée par Fantômas, avait connu l’angoisse d’attendre la date fixée pour son trépas.

Cette date était arrivée.

Juve, stupide d’effroi, avait découvert le lendemain matin, la jolie femme étendue froide, inanimée, glacée, dans son grand lit.

Comme un fou, le policier avait couru jusqu’au Laboratoire municipal. Un médecin avait confirmé la mort de lady Beltham. Juve avait trouvé et prouvé qu’elle avait été empoisonnée par les émanations d’une conduite de gaz, rompue dans le sol, sous le plancher de son appartement situé au rez-de-chaussée d’un bel immeuble, avenue Niel, à Paris. Et l’inévitable, l’effroyable, s’était alors accompli. Lady Beltham était morte.

Cette morte, on l’avait mise en bière, on avait clos sur elle la planche qui ferme le cercueil des humains. On avait transporté son corps au cimetière, on l’avait enfouie dans un caveau, ainsi qu’elle le demandait dans son testament.

Lady Beltham était morte ?

Non.

La destinée de cette femme était vraiment une destinée d’horreur. Elle qui était riche et jolie, elle qui rencontrait partout où elle se présentait les succès les plus enthousiastes, les hommages les plus flatteurs, les adulations les plus folles, devait se réveiller dans l’épouvante d’une tombe.

Lady Beltham n’était pas morte.

L’asphyxie l’avait tout simplement plongée dans la léthargie, et le froid, l’humidité suintant du sépulcre, son horreur, la ranimaient petit à petit.

Lady Beltham, alors, avait ouvert les yeux. En vain. Elle ne voyait rien. Elle voulut bouger, et ne put faire un mouvement. Elle se sentait emprisonnée, enserrée dans une étreinte qu’il lui était d’abord impossible de définir. L’air manquait à sa poitrine haletante. Une odeur de camphre lui entêtait l’esprit. Sous elle, du sable crut-elle, du son plutôt, lui meurtrissait les reins. Où était-elle ?

Lady Beltham qui, en s’éveillant, n’avait point compris, devait bientôt se rendre compte de l’effroyable réalité des choses.

Elle était dans son cercueil, elle était morte, et morte assassinée par son amant, assassinée par Fantômas.

Enterrée vive, conservant toute sa lucidité, elle goûtait véritablement à la mort, elle mourait lentement, minute par minute.

Pourtant c’était une pensée qui la rongeait, qui la rongeait vive, qui la faisait crier de douleur :

— C’est Fantômas qui m’a tuée ! C’est l’homme que j’aimais, qui m’a assassinée !

Ah certes, elle l’avait aimé Fantômas, elle l’avait aimé au-delà de tout, plus que le devoir, plus que l’honneur !

Pour lui, la grande dame s’était abaissée jusqu’aux plus infâmes complicités, pour lui, elle s’était roulée jusqu’au crime, pour lui, ses mains s’étaient teintes de sang, c’était elle, en somme, qui avait déclenché le couteau du bourreau sur la tête de l’innocent Valgrand.

Lady Beltham, clouée dans sa bière, enfermée dans sa tombe, murmurait :

— Fantômas, ah que je te hais.

Mais que pouvait bien sa haine, hélas ?

Elle était plus morte qu’une morte, elle se savait au tombeau. La haine, cependant, accomplit des miracles. Elle a des flammes qui torturent, elle a des morsures qui raniment les énergies les plus défaillantes. Lady Beltham affolée, incapable de vouloir quoi que ce soit, se tordit dans sa bière, prise d’une véritable crise nerveuse.

Effroyable était sa situation. L’air contenu en son cercueil se raréfiait, elle allait être asphyxiée. Cette fois, véritablement, elle allait périr.

Et soudain, comme brisée des convulsions qui venaient de la secouer, elle demeurait pantelante, sa pensée, machinalement, instinctivement, lui souffla :

— Il y a de l’air encore puisqu’il est possible que tu respires. Il y a de l’air.

Elle imagina alors que la bière était mal clouée. C’était fou de penser à se sauver, et pourtant lady Beltham espéra.

— Il faut que je vive, murmura-t-elle, il faut que je vive pour me venger.

Dans son cercueil, elle médita, horrible chose, le moyen de sortir du sépulcre. Mais sort-on d’un sépulcre ? Même, si elle voulait briser sa bière, ne se trouverait-elle pas au fond de son caveau, d’un caveau que murait inexorablement le poids formidable de la pierre tombale ?

Vanité des vanités, Lady Beltham songea que jadis, elle avait elle-même pris soin de faire édifier au cimetière la pierre de grès qui devait assurer le repos de ses cendres, et qui maintenant la condamnait à mort. Et sa pensée, à ce moment, était un tourbillon.

Alors qu’elle désespérait, elle espérait. Au moment où elle comprenait qu’on ne sort pas du sépulcre, elle voulait en sortir.

Une crispation encore, effroyable, tordit ses membres ; dans la bière où elle étouffait, son corps s’arqua, se détendit. Elle se retourna sur elle-même, elle eut le visage enfoui dans le son que l’on avait mis au fond de son cercueil pour absorber la pestilence de ses chairs décomposées.

Sur ses genoux, sur ses bras, elle voulut se soulever, elle était mourante, puis, soudain, une force extrême semblait être à sa disposition, le couvercle de la bière craqua, une vis lâcha, une autre céda encore, ce fut une chose brusque, imprévue, qu’elle ne comprit même pas, dans l’état d’affolement où elle était réduite.