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Elle venait de défoncer sa bière.

La bière s’ouvrait.

Quelques secondes, lady Beltham demeura encore immobile au fond de son cercueil.

Puis, elle se jeta hors de la boîte sinistre. Elle roula sur le sol et, respirant à pleins poumons, un rire de folle sur les lèvres, les bras étendus, elle demeura encore quelques instants, n’osant comprendre qu’elle avait déjà fait ce premier pas vers la vie, qu’elle était sortie de son cercueil.

Lady Beltham, plus folle que raisonnable, bientôt se redressait. Elle était toujours dans le noir, à genoux, elle sentait, de ses doigts tremblants, la maçonnerie grossière, humide, suintante, du caveau.

Au-dessus d’elle, son bras étendu, elle cria à la nuit :

— Je ne peux pas sortir de là, on enterre les morts bien trop profondément, je vais périr. Oh, j’aurais tant voulu me venger.

L’abattement qui l’avait reprise, durait peu, cependant.

Elle se redressa tout à fait. Son cercueil, qu’elle repoussait du pied, lui servait d’échelle. Elle le dressa contre la muraille du sépulcre, elle se hissa sur lui. Glacée, frissonnante, elle s’était enveloppée de son suaire. Dans l’ombre du tombeau, c’eût été une vision fantastique, que celle de cette femme enterrée vive, dressée sur son cercueil et voulant remonter du fond de la tombe jusqu’à la vie.

Lady Beltham, debout sur la bière, les mains saignantes, les genoux écorchés, une effroyable douleur mettant un vertige dans sa tête, longtemps palpa, sous ses doigts, la surface unie de la pierre tombale.

Elle sentait bien qu’il lui serait impossible de soulever cette pierre, mais, pourtant, elle frémissait en pensant que si jamais elle était capable de l’arracher du sépulcre, elle pourrait sortir de la mort, et retourner parmi les vivants.

Or, en poussant la pierre tombale, en se meurtrissant les doigts à vouloir la soulever, lady Beltham se rendait compte soudain, avec une joie affolée, qu’elle la faisait légèrement glisser, qu’elle la déplaçait.

La pierre n’était pas encore fixée.

Enterrée la veille au soir, très tard, par crainte de manifestations, la pauvre femme avait été abandonnée dans sa tombe, sans que les fossoyeurs eussent eu le temps de sceller son sépulcre.

Cela devait la sauver.

La pierre tombale qui fermait la fosse était en effet encore en équilibre sur des rotins de bois. Elle put, lentement, péniblement, la déplacer, la faire rouler.

Au terme d’une heure d’efforts, dans la nuit, dans la paix du cimetière, dans l’immensité tranquille du champ de repos où la lune répandait une clarté blafarde, où les croix tendaient leurs bras dénudés, lady Beltham sortit de sa tombe, et pantelante, épuisée, au pied même de cette tombe, la tête sur la pierre funéraire, elle s’écroula.

La malheureuse resta là jusqu’au petit matin.

C’était la fraîcheur de l’aube, l’humidité de la rosée glaciale et pure qui la tirait de son assoupissement.

Le suaire dont elle s’était enveloppée était trempé, elle le rejeta. La robe dont elle était vêtue lors de son ensevelissement était maculée de sable, qu’importait, elle s’y enroula étroitement et, consciente cette fois, prise d’un grand désir de vengeance, elle referma sa propre tombe, y enfouit le grand suaire, puis elle prit la fuite par la porte qui venait de s’ouvrir.

Lady Beltham alla se cacher dans la maison déserte de Ville-d’Avray. C’est là, dans cette retraite qu’elle s’était ménagée depuis longtemps pour le jour où il lui faudrait disparaître, le jour où Fantômas l’abandonnerait – car elle avait vécu dans la crainte de cet abandon – que lady Beltham s’était terrée.

Chose effroyable, ce n’était plus une jolie femme, qui se dissimulait dans la villa déserte. Lady Beltham avait eu l’épouvante, en se contemplant devant un miroir, de s’apercevoir des irréparables outrages que la terreur, l’angoisse, la mort frôlée, avaient affligés à sa beauté dédaigneuse.

Son teint nacré avait jauni, ses yeux purs s’étaient ridés, sa nuque gracile ployait sous le poids trop lourd de sa tête, ses cheveux mêmes, ses cheveux fins et souples, qui faisaient jadis une auréole triomphale à sa beauté, avaient blanchi.

Dans le sépulcre, la jeune et jolie femme était devenue vieille, vieille de cent ans, c’était une ruine désormais.

***

Lady Beltham, depuis lors, n’avait vécu que pour se venger.

Elle n’avait rien compris aux incidents tragiques qui s’étaient passés dans sa villa, et qui avaient failli coûter la vie au bâtonnier Faramont. Elle avait soupçonné que Fantômas était pour quelque chose dans cet attentat, et ce n’était point vrai.

Elle avait cru depuis, que Fantômas avait voulu, ayant appris qu’elle vivait, la revoir, et ce n’était point vrai encore.

C’était Dick Valgrand, une première fois, qui s’était rendu chez elle.

La veille, enfin, lady Beltham, en achetant le tableau, n’avait eu d’autre but que d’attirer auprès d’elle Fantômas, Fantômas qu’elle accusait toujours d’avoir voulu la tuer.

Cette fois-là, c’était bien sur Fantômas qu’elle venait de faire feu, c’était bien le bandit que ses balles avaient frôlé.

Mais Fantômas n’avait pas été atteint, il n’avait même pas été blessé, et lady Beltham, frémissante sous le vent du soir, immobile sur son balcon, songeait :

— Il reviendra. Je le connais trop pour croire qu’il puisse avoir peur, il doit s’imaginer que le tableau est ici. Il viendra pour le reprendre. Et alors je me dresserai, à l’improviste, devant lui, et alors, je me vengerai, ah, je me vengerai !

24 – UN RÉFÉRÉ MOUVEMENTÉ

— Eh bien, mon cher maître ?

— Eh bien, mon talentueux contradicteur ?

— Je crois qu’il y aura foule aujourd’hui, aux référés.

— Cela m’a l’air probable.

— Jamais monsieur Charles, le distingué président du siège, n’a vu une assistance aussi élégante.

— Cela se conçoit un peu, vous savez. On annonce que Juve en personne va comparaître ; de plus, on prétend que le tableau, le fameux tableau va être représenté.

— En tout cas, il y a déjà beaucoup de monde.

— J’allais vous le dire.

Dans la grande salle des Pas Perdus, au palais de Justice, les avocats devisaient.

L’attention, ce jour-là, se concentrait sur les groupes qui stationnaient un peu à gauche de la grande horloge, à l’entrée de la salle des référés, groupes qui discutaient avec âpreté et où les initiés reconnaissaient des figures connues, des personnalités éminentes du monde parisien, des représentants de ce que l’on est convenu d’appeler « le Tout-Paris ».

Il y avait là M. de Keyrolles, directeur de la Compagnie d’assurances L’Épargne, qui s’entretenait avec M. Havard, il y avait M e Faramont, flanqué de son fils qui parlait à un jeune homme à physionomie extraordinairement intelligente dont le nom était sur toutes les lèvres : Jérôme Fandor. Il y avait enfin des artistes, des experts, des représentants du monde des arts, du monde des lettres et encore des députés, des conseillers municipaux.

Quel était donc le référé qui allait se plaider ?

M. Germain Fuselier, l’éminent magistrat instructeur, célèbre désormais dans tout Paris pour avoir été chargé des affaires de Fantômas, traversait justement la salle des Pas Perdus, venant de la galerie Marchande [17]. Un vif mouvement de curiosité se dessina. Vingt avocats l’entourèrent à la minute :

— Eh bien, cher monsieur, quoi de nouveau ? Sans violer le secret professionnel, peut-on vous demander… ?

Fendant les groupes, Jérôme Fandor vint saluer le magistrat :

— Vous avez vu Juve ? demanda-t-il.

— Je le quitte à l’instant, répondait Germain Fuselier, opposant un mutisme souriant à tous les bavards. Juve arrive.

— Il ne vous a rien dit ?

— Non.

Mais en même temps, il passait son bras sous celui du journaliste et l’entraînait à l’écart.

— Juve est inquiet, murmurait Fuselier. C’est pourquoi il attend la dernière minute pour venir. Il a le tableau sous le bras. Je suis chargé de vous demander de sa part, mon cher Fandor, de rester, tout le temps de l’audience, à côté des portes de la chambre. Vous guetterez tous ceux qui entreront.