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— Juve se méfie donc de quelque chose ?

— Et vous ? Et vous mon cher ami ? Est-ce que vous ne croyez pas qu’avec Fantômas, tout est possible, et qu’il convient d’être toujours sur ses gardes ?

Jérôme Fandor allait répondre, lorsqu’il en fut empêché par la surprise.

Un petit homme extraordinaire, vêtu d’une longue redingote qui eût fait l’honneur et la joie d’un pasteur protestant, coiffé d’un extraordinaire chapeau haut de forme, venait d’allonger une bourrade dans les côtes du journaliste.

Fandor se retourna.

— Bouzille ! Ah, çà, que faites-vous ici ?

— Monsieur Fandor, je promène mes élégances.

— Peste, vous avez donc l’intention de lancer la mode, Bouzille ?

— Quelque chose comme cela, monsieur Fandor, et puis je suis témoin. C’est la première fois, constatait-il avec une certaine satisfaction que je viens dans un palais de Justice sans avoir la frousse, monsieur Fandor. Cette fois-ci, je suis témoin et rien que témoin. J’ai rien vu, par conséquent, on ne peut pas me faire d’ennuis.

Mais l’audience commençait.

Il y avait dans la salle, outre le Président et son greffier, une dizaine de personnages aux allures d’agents de police qui surveillaient l’entrée des arrivants. Il y avait surtout, devant la table en demi-cercle sur laquelle les plaideurs et référés viennent d’ordinaire s’appuyer pour parler, un tableau, un grand tableau que le public immédiatement reconnaissait : c’était le véritable Pêcheur à la lignede Rembrandt.

À droite de cette table enfin, debout, l’air grave, un homme à l’aspect énergique attendait, découvert. Ce n’était autre que Juve, le célèbre policier.

— Affaire de la Compagnie d’assurances L’Épargne, appelait l’huissier. Monsieur Juve, maître Faramont intervenants, Monsieur Bouzille, témoin, avancez à la barre, je vous prie.

Un vif mouvement de curiosité se dessina : tout le monde était debout.

— Je vous écoute monsieur, commença le Président.

Il se tournait vers un avocat, représentant évidemment la partie demanderesse.

— Pour qui vous présentez-vous, maître ?

— Pour le groupe des intéressés, monsieur le Juge. J’ai un peu fonction de ministère public. Je demande une mesure sauvegardant les intérêts de tous.

— Veuillez me rappeler les faits de la cause.

— Monsieur le Président, ils sont fort simples. Un tableau a été volé à l’exposition de Bagatelle, ou plus exactement, a disparu. Ce tableau appartenait à maître Faramont, ici présent, qui m’assiste. C’est le tableau, monsieur le Président, que vous avez sous les yeux. Ce tableau a disparu parce qu’il a été recouvert d’un autre tableau peint sur lui, ce qui fait que l’on a pu croire qu’il y avait eu substitution de toile. La Compagnie d’assurances L’Épargneayant assuré le tableau, l’a payé à maître Faramont. Or, il se trouve que le policier Juve, également présent, a découvert la ruse employée par l’escroc, qui, évidemment, ayant peint un tableau sans valeur sur un tableau de prix, pensait pouvoir acheter ce tableau sans valeur fort bon marché et restaurer ensuite le tableau de prix. Le policier Juve demande à se dessaisir du tableau de prix. Maître Faramont, d’autre part, remboursé par la Compagnie d’assurances, ne veut plus de son tableau, dont il affirme qu’il est désormais la propriété de ladite Compagnie. D’autre part, la Compagnie ne veut plus du tableau qu’elle affirme avoir remboursé à Maître Faramont parce que le tableau avait disparu ; du moment que le tableau est retrouvé, du moment qu’en fait il n’a jamais cessé de figurer à l’exposition de Bagatelle, elle prétend que son remboursement découle d’une erreur et, qu’en conséquence, elle est fondée à obliger M e Faramont à reprendre son tableau et à lui restituer les fonds qu’elle lui a précédemment versés. Cette cause, monsieur le Président est actuellement pendante au principal, devant le Tribunal de la Seine.

— Alors, maître ?

— Alors, monsieur le Président, j’ai l’honneur de demander que vous vouliez bien ordonner qu’il soit nommé un séquestre par mesures conservatoires, peu importe à M e Faramont ou à la Société L’Épargne, le nom de ce séquestre, ni M e Faramont, ni la Société n’ont l’intention de faire d’opposition à votre choix ; mais l’un et l’autre de ces intéressés tiennent à la nomination d’un séquestre pour voir sûreté de leurs gages.

L’avocat toussait, puis, ayant ainsi expliqué de façon très compliquée quelque chose qui était très simple, à savoir que nul n’étant d’accord pour décider à qui appartenait le tableau en définitive, il y avait lieu de charger quelqu’un de le conserver en attendant que le procès soit jugé, il reprit avec une grande autorité :

— J’attire en outre votre attention, monsieur le Président, sur ce point tout spécial. Il y a lieu dès à présent, de chercher à connaître, par témoignages, s’il s’agit bien là du tableau exposé à Bagatelle. Si votre ordonnance de référé, monsieur le Président, peut décider de la question, ce sera un grand point d’acquis pour le procès au principal.

— En effet, approuva le Président.

Une hésitation cependant semblait demeurer dans la pensée du magistrat :

— Je crois, commençait-il, qu’il convient d’abord de décider qui sera séquestre. Nous verrons ensuite à identifier le tableau. Voyons, maître Faramont, voulez-vous accepter ce séquestre ?

Si le magistrat venait d’hésiter, M e Faramont, lui, n’hésita pas. Tandis qu’un rire discret courait dans la salle bondée de public, l’éminent bâtonnier se hâta de répondre :

— Je prie très respectueusement monsieur le président de bien vouloir ne pas me nommer comme séquestre. La charge est honorable, certes, mais périlleuse aussi. Monsieur le Juge voudra se rendre compte que j’ai déjà été assez suffisamment éprouvé par les aventures occasionnées par ce tableau. J’ai été volé de cinq cent mille francs, j’ai eu d’incessantes angoisses et, par conséquent…

Un léger signe de tête du magistrat fit comprendre à M e Faramont qu’il était inutile d’insister :

— M e Faramont déclinant l’offre d’être séquestre pour des motifs personnels, le représentant de la société L’Épargnevoudra bien, je pense, accepter cet office ?

— La Société que je représente, déclara le jeune avocat appuyé à la barre, croit devoir décliner l’offre qui lui est faite, monsieur le Président. Ce tableau est d’un prix élevé, il a suscité déjà de multiples convoitises, sa possession semble périlleuse, la société L’Épargnecroit avoir fait tout son devoir vis-à-vis de M e Faramont et refuse de s’associer à d’autres risques que ceux consentis par l’assurance dont il vous a été parlé. Je refuse donc, en conséquence, monsieur le président, d’être nommé séquestre, à moins que vous n’en décidiez autrement par autorité de justice.

Cette fois, l’embarras du président siégeant apparut manifeste. Ni M e Faramont, ni la société L’Épargnene voulaient accepter le tableau. À qui pouvait-il le confier ? Il n’est pas d’usage de nommer de force des séquestres, la chose eût été d’autant plus désagréable en l’espèce que les incidents déjà survenus semblaient bien établir qu’il n’était point sans danger de détenir le Pêcheur à la ligne.

M. Charles interrogea, considérant l’avocat qui, le premier, avait parlé :

— Maître, puisque vous représentez tous les intéressés, voulez-vous me permettre de vous nommer séquestre ?

— Je remercie monsieur le président de l’honneur qu’il veut bien me faire en pensant à moi pour une mission si délicate, mais je la décline en raison de mon incompétence. Je ne connais rien aux tableaux, et, de la meilleure foi du monde, je risquerais de ne pas être pour celui-ci le bon et sage dépositaire dont parle le code.