HECTOR, montrant sa joue. – Oui. Mais ne m’embrasse pas encore tout de suite, veux-tu?
ANDROMAQUE. – Tu as gagné encore ce combat. Aie confiance.
HECTOR. – Je gagne chaque combat. Mais de chaque victoire l’enjeu s’envole.
SCÈNE DOUZIÈME
PRIAM, HECTOR, PÂRIS, HÉCUBE, HÉLÈNE, LES TROYENS, LE GABIER, OLIPIDÈS, IRIS, LES TROYENNES, ULYSSE, OIAX ET LEUR SUITE.
ULYSSE. – Priam et Hector, je pense?
PRIAM. – Eux-mêmes. Et derrière eux, Troie, et les faubourgs de Troie, et la campagne de Troie, et l’Hellespont, et ce pays comme un poing fermé qui est la Phrygie. Vous êtes Ulysse?
ULYSSE. – Je suis Ulysse.
PRIAM. – Et voilà Anchise. Et derrière lui, la Thrace, le Pont, et cette main ouverte qu’est la Tauride.
ULYSSE. – Beaucoup de monde pour une conversation diplomatique.
PRIAM. – Et voici Hélène.
ULYSSE. – Bonjour, reine.
HÉLÈNE. – J’ai rajeuni ici, Ulysse. Je ne suis plus que princesse.
PRIAM. – Nous vous écoutons.
OIAX. – Ulysse, parle à Priam. Moi je parle à Hector.
ULYSSE. – Priam, nous sommes venus pour reprendre Hélène.
OIAX. – Tu le comprends n’est-ce pas, Hector? Ça ne pouvait pas se passer comme ça!
ULYSSE. – La Grèce et Ménélas crient vengeance.
OIAX. – Si les maris trompés ne criaient pas vengeance, qu’est-ce qu’il leur resterait?
ULYSSE. – Qu’Hélène nous soit donc rendue dans l’heure même. Ou c’est la guerre.
OIAX. – Il y a les adieux à faire.
HECTOR. – Et c’est tout?
ULYSSE. – C’est tout.
OIAX. – Ce n’est pas long, tu vois, Hector?
HECTOR. – Ainsi, si nous vous rendons Hélène, vous nous assurez la paix.
OIAX. – Et la tranquillité.
HECTOR. – Si elle s’embarque dans l’heure, l’affaire est close.
OIAX. – Et liquidée.
HECTOR. – Je crois que nous allons pouvoir nous entendre, n’est-ce pas Hélène?
HÉLÈNE. – Oui, je le pense.
ULYSSE. – Vous ne voulez pas dire qu’Hélène va nous être rendue?
HECTOR. – Cela même. Elle est prête.
OIAX. – Pour les bagages, elle en aura toujours plus au retour qu’elle en avait au départ.
HECTOR. – Nous vous la rendons, et vous garantissez la paix. Plus de représailles, plus de vengeance?
OIAX. – Une femme perdue, une femme retrouvée, et c’est justement la même. Parfait! N’est-ce pas, Ulysse?
ULYSSE. – Pardon! Je ne garantis rien. Pour que nous renoncions à toutes représailles, il faudrait qu’il n’y eût pas prétexte à représailles. Il faudrait que Ménélas retrouvât Hélène dans l’état même où elle lui fut ravie.
HECTOR. – À quoi reconnaîtra-t-il un changement?
ULYSSE. – Un mari est subtil quand un scandale mondial l’a averti. Il faudrait que Pâris eût respecté Hélène. Et ce n’est pas le cas…
LA FOULE. – Ah! non. Ce n’est pas le cas.
DES VOIX. – Pas précisément!
HECTOR. – Et si c’était le cas?
ULYSSE. – Où voulez-vous en venir, Hector?
HECTOR. – Pâris n’a pas touché Hélène. Tous deux m’ont fait leurs confidences.
ULYSSE. – Quelle est cette histoire?
HECTOR. – La vraie histoire, n’est-ce pas Hélène?
HÉLÈNE. – Qu’a-t-elle d’extraordinaire?
UNE VOIX. – C’est épouvantable! Nous sommes déshonorés!
HECTOR. – Qu’avez-vous à sourire, Ulysse? Vous voyez sur Hélène le moindre indice d’une défaillance à son devoir?
ULYSSE. – Je ne le cherche pas. L’eau sur le canard marque mieux que la souillure sur la femme.
PÂRIS. – Tu parles à une reine.
ULYSSE. – Exceptons les reines naturellement… Ainsi, Pâris, vous avez enlevé cette reine, vous l’avez enlevée nue; vous-même, je pense, n’étiez pas dans l’eau avec cuissard et armure, et aucun goût d’elle, aucun désir d’elle ne vous a saisi?
PÂRIS. – Une reine nue est couverte par sa dignité.
HÉLÈNE. – Elle n’a qu’à ne pas s’en dévêtir.
ULYSSE. – Combien a duré le voyage? J’ai mis trois jours avec mes vaisseaux, et ils sont plus rapides que les vôtres.
DES VOIX. – Quelles sont ces intolérables insultes à la marine troyenne?
UNE VOIX. – Vos vents sont plus rapides! Pas vos vaisseaux!
ULYSSE. – Mettons trois jours, si vous voulez. Où était la reine, pendant ces trois jours?
PÂRIS. – Sur le pont, étendue.
ULYSSE. – Et Pâris. Dans la hune?
HÉLÈNE. – Étendu près de moi.
ULYSSE. – Il lisait, près de vous? Il pêchait la dorade?
HÉLÈNE. – Parfois il m’éventait.
ULYSSE. – Sans jamais vous toucher?…
HÉLÈNE. – Un jour, le deuxième, il m’a baisé la main.
ULYSSE. – La main! Je vois. Le déchaînement de la brute.
HÉLÈNE. – J’ai cru digne de ne pas m’en apercevoir.
ULYSSE. – Le roulis ne vous a pas poussés l’un vers l’autre?… Je pense que ce n’est pas insulter la marine troyenne de dire que ses bateaux roulent…
UNE VOIX. – Ils roulent beaucoup moins que les bateaux grecs ne tanguent.
OIAX. – Tanguer, nos bateaux grecs! S’ils ont l’air de tanguer c’est à cause de leur proue surélevée et de leur arrière qu’on évide!…
UNE VOIX. – Oh! oui! La face arrogante et le cul plat, c’est tout grec…
ULYSSE. – Et les trois nuits? Au-dessus de votre couple, les étoiles ont paru et disparu trois fois. Rien ne vous est demeuré, Hélène, de ces trois nuits?
HÉLÈNE. – Si… Si! J’oubliais! Une bien meilleure science des étoiles.
ULYSSE. – Pendant que vous dormiez, peut-être… il vous a prise…
HÉLÈNE. – Un moucheron m’éveille…
HECTOR. – Tous deux vous le jureront, si vous voulez, sur votre déesse Aphrodite.
ULYSSE. – Je leur en fais grâce. Je la connais, Aphrodite! Son serment favori, c’est le parjure… Curieuse histoire, et qui va détruire dans l’Archipel l’idée qu’il y avait des Troyens.