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— De l’argent ?… Où a-t-il péché le complet qu’il avait sur le corps ?…

— Il ne peut quand même pas se promener à Paris en pantalon et en chemise de flanelle blanche !

C’est dans cette tenue, en effet, que Basso s’était enfui, en gare de Seineport. James n’oubliait rien.

— C’est la première fois que vous reprenez contact avec lui cette semaine ?

— Qu’il reprend contact avec moi !

— Et vous ne voulez rien dire ?

— Vous feriez comme moi, pas vrai ? J’ai bu cent fois chez lui ! Il ne m’a rien fait !

— Il voulait de l’argent ?

— Il y a une demi-heure qu’il nous guettait… Déjà hier j’avais cru l’apercevoir sur l’autre trottoir… Sans doute n’a-t-il pas osé…

— Et vous m’avez fait appeler au téléphone !

— Il paraissait fatigué !

— Il n’a rien dit ?

— C’est inouï comme un costume qui ne va pas peut changer un homme… soupira James sans répondre.

Maigret l’observait à la dérobée.

— Savez-vous qu’en bonne justice on pourrait vous inculper de complicité ?

— Il y a tant de choses qu’on peut faire en bonne justice ! Sans compter qu’elle n’est pas toujours si bonne que ça !

Il avait son air le plus loufoque.

— Et ces pernods, garçon ?

— Voilà ! Voilà !

— Vous venez à Morsang aussi ?… Parce que je vais vous dire… Si vous y venez, nous avons presque autant d’avantage à prendre un taxi… C’est cent francs… Le train coûte…

— Et votre femme ?

— Elle prend toujours un taxi, avec sa sœur et ses amies… À cinq, cela leur revient vingt francs et le train coûte…

— Ça va !

— Vous ne venez pas ?

— Je viens !… Combien, garçon ?…

— Pardon ! Chacun sa part, comme d’habitude !

C’était un principe. Maigret paya ses consommations, James les siennes. Il ajouta dix francs pour la fausse commission du garçon. Dans le taxi, il paraissait préoccupé, mais, vers Villejuif, il révéla l’objet de cette préoccupation :

— Je me demande chez qui l’on va faire le bridge, demain après-midi.

C’était l’heure de l’orage. Des fléchettes de pluie commençaient à frapper les vitres.

V

L’auto du docteur

On aurait pu s’attendre à trouver à Morsang une autre atmosphère que d’habitude. Le drame datait du dimanche précédent. De la petite bande, il y avait un mort et un assassin en fuite.

N’empêche que, quand James et Maigret arrivèrent, ceux qui étaient déjà là entouraient une voiture neuve. Ils avaient troqué leurs vêtements de ville contre les traditionnelles tenues de sport. Seul le docteur était en complet veston.

La voiture était à lui. Il la sortait pour la première fois. On le questionnait et il en exposait complaisamment les mérites.

— Il est vrai que la mienne consomme davantage, mais…

Presque tout le monde avait une auto. Celle du docteur était neuve.

— Écoutez les reprises…

Sa femme était si heureuse qu’elle restait assise dans la voiture en attendant la fin de ces conciliabules. Le docteur Mertens pouvait avoir trente ans. Il était maigre, chétif, et ses gestes étaient aussi délicats que ceux d’une fillette anémique.

— C’est ta nouvelle bagnole ? questionna James qui surgissait.

Il en fit le tour à grands pas, en grommelant des choses inintelligibles.

— Faudra que je l’essaie demain matin… Ça ne t’embête pas ?…

La présence de Maigret aurait pu être gênante. On s’en aperçut à peine ! Il est vrai qu’à l’auberge chacun était chez soi, chacun allait et venait à sa guise.

— Ta femme ne vient pas, James ?

— Elle va arriver avec Marcelle et Lili…

On sortait les canoës du garage. Quelqu’un réparait une canne à pêche avec du fil de soie. Jusqu’au dîner, on fut dispersé et, à table, il n’y eut guère de conversation générale. Quelques bribes de phrases.

— Mme Basso est chez elle ?

— Quelle semaine elle a dû passer !

— Qu’est-ce qu’on fait demain ?

Maigret était quand même de trop. On l’évitait sans l’éviter trop carrément. Quand James n’était pas avec lui, il restait seul à errer à la terrasse ou au bord de l’eau. Lorsque la nuit tomba, il en profita pour aller voir ses agents postés près de la villa des Basso.

Ils étaient deux à se relayer, à prendre tour à tour leurs repas dans un bistrot de Seineport, à deux kilomètres de là. Quand le commissaire se montra, celui qui n’était pas de garde retirait une ligne de fond.

— Rien à signaler ?

— Rien du tout ! Elle mène une vie tranquille. De temps en temps, elle se promène dans le jardin. Les fournisseurs viennent comme d’habitude : le boulanger à neuf heures, le boucher un peu plus tard et, vers onze heures, le légumier avec sa charrette.

Il y avait de la lumière au rez-de-chaussée. À travers les rideaux, on devinait la silhouette du gamin qui mangeait sa soupe, une serviette nouée autour du cou.

Les policiers étaient dans un petit bois longeant la rivière et celui qui péchait soupira :

— Vous savez ! c’est plein de lapins, par ici… Si on voulait…

En face, la guinguette à deux sous, où deux couples – sans doute des ouvriers de Corbeil – dansaient au son du piano mécanique.

Un dimanche matin comme tous les dimanches de Morsang avec des pêcheurs à la ligne le long des berges, d’autres pêcheurs immobiles dans des bachots peints en vert et amarrés à deux fiches, des canoës, un ou deux bateaux à voiles…

On sentait que tout cela était réglé avec soin, que rien n’était capable de changer le cours régulier de ces journées.

Le paysage était joli, le ciel pur, les gens paisibles, et peut-être à cause de tout cela c’en était écœurant comme une tarte trop sucrée.

Maigret trouva James en chandail rayé de bleu et de blanc, pantalon blanc et espadrilles, bonnet de marin américain sur la tête et buvant, en guise de petit déjeuner, un grand verre de fine à l’eau.

— T’as bien dormi ?

Un détail amusant : à Paris, il ne tutoyait pas Maigret, tandis qu’à Morsang il tutoyait tout le monde, y compris le commissaire, sans même s’en apercevoir.

— Qu’est-ce que tu fais ce matin ?

— Je crois que j’irai jusqu’à la guinguette.

— On s’y retrouvera tous… Il paraît qu’il y a rendez-vous là-bas pour l’apéritif… Tu veux un canot ?…

Maigret était seul en tenue de ville sombre. On lui donna un youyou verni où il eut de la peine à tenir en équilibre. Quand il arriva à la guinguette à deux sous, il était dix heures du matin et l’on ne voyait encore aucun client.

Ou plutôt il en trouva un, dans la cuisine, occupé à manger un quignon de pain avec du gros saucisson. La grand-mère lui disait justement :

— Faut soigner ça !… J’ai un de mes gars qui ne voulait pas y faire attention et qui y a passé… Et il était plus grand et plus fort que vous !…

À cet instant, le client était pris d’une quinte de toux et n’arrivait pas à avaler le pain qu’il avait en bouche. Tout en toussant, il apercevait Maigret sur le seuil, fronçait les sourcils.

— Une canette de bière ! commanda le commissaire.

— Vous n’aimez pas mieux vous installer à la terrasse ?

Mais non ! Il préférait la cuisine, avec sa table de bois tailladé, ses chaises de paille, la grande marmite qui chantait sur le fourneau.

— Mon fils est parti à Corbeil chercher des siphons qu’on a oublié de livrer… Vous ne voulez pas m’aider à ouvrir la trappe ?…

La trappe ouverte au milieu de la cuisine laissa voir la gueule humide de la cave. Et la vieille toute cassée descendit, tandis que le client ne quittait pas Maigret du regard.