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— Tiens ! Déjà ?…

Puis il regarda Victor des pieds à la tête, étonné, se demandant apparemment ce qu’il faisait là.

— Qui est-ce ?

Si Maigret avait mis de l’espoir dans cette rencontre, il dut déchanter. Victor regarda à peine l’Anglais, continua à s’intéresser à la ronde de l’auto de course. Le docteur avait déjà ouvert les portières de sa voiture pour s’assurer qu’elle n’avait pas souffert.

— Il y a longtemps que vous êtes ici ? grommela le commissaire à l’adresse de James.

— Je ne sais plus… Peut-être assez longtemps, oui…

Il était d’un flegme incroyable. Impossible de se douter qu’il venait d’enlever une femme et un gamin au nez de la police et qu’à cause de lui toute la gendarmerie de Seine-et-Oise était encore sur pied de guerre.

— N’aie pas peur ! dit-il au docteur. Il n’y a que le pneu… Le reste est intact… Une bonne machine… Peut-être un peu trop dure à démarrer…

— C’est Basso qui, hier, vous a demandé d’aller chercher sa femme et son fils ?

— Vous savez bien que je ne peux pas répondre à des questions pareilles, mon vieux Maigret.

— Et vous ne pouvez pas non plus me dire où vous les avez déposés…

— Avouez qu’à ma place vous…

— Il y a en tout cas quelque chose de très fort, quelque chose qu’un professionnel n’aurait pas trouvé !

James le regarda avec un étonnement plein de modestie.

— Quoi ?

— L’autodrome ! Mme Basso est en sûreté… Mais il vaut mieux que la police ne retrouve pas la voiture tout de suite… Les routes sont gardées… Alors vous pensez à l’autodrome !… Et vous tournez, vous tournez…

— Je vous jure qu’il y a longtemps que j’avais envie de…

Mais le commissaire ne s’inquiétait plus de lui, se précipitait vers le docteur, qui voulait poser la roue de rechange.

— Pardon ! L’auto reste jusqu’à nouvel ordre à la disposition de la Justice.

— Quoi ?… Mon auto ?… Qu’est-ce que j’ai fait, moi ?…

Il eut beau protester, la voiture fut enfermée dans un box dont Maigret emporta la clé. Le gendarme attendait des instructions. James fumait une cigarette. Le vagabond regardait toujours rouler les bolides.

— Emmenez celui-là ! dit Maigret en le désignant. Qu’on le boucle à la permanence de la Police judiciaire.

— Et moi ? demanda James.

— Vous n’avez toujours rien à me dire ?

— Rien de spécial. Mettez-vous à ma place !

Alors Maigret, bourru, lui tourna le dos.

Le lundi, il se mit à pleuvoir et Maigret en fut ravi, car la grisaille s’harmonisait mieux avec son humeur et avec les besognes de la journée.

D’abord les rapports sur les événements de la veille, rapports qui devaient justifier le déploiement de forces commandé par le commissaire.

À onze heures, deux experts de l’Identité judiciaire vinrent le prendre à son bureau, et, en taxi, les trois hommes se rendirent à l’autodrome, où Maigret n’eut guère qu’à regarder travailler ses compagnons.

On savait que le docteur n’avait fait que soixante kilomètres avec la voiture qui sortait de l’usine. Le compteur, maintenant, marquait deux cent dix kilomètres. Et l’on évaluait à cinquante kilomètres environ le parcours accompli par James sur l’autodrome.

Restait à son actif une centaine de kilomètres sur la route. De Morsang à Montlhéry, il y en a à peine quarante par la voie directe.

Dès lors, sur une carte routière, il restait à circonscrire le champ d’action de la voiture.

Le travail des experts fut minutieux. Les pneus furent grattés avec soin, les poussières et les débris recueillis, examinés à la loupe, certains mis de côté pour analyse ultérieure.

— Goudron frais ! annonçait l’un.

Et l’autre, sur une carte spéciale fournie par les Ponts et Chaussées, cherchait, dans le périmètre donné, les endroits où la route était en chargement.

Il y en avait quatre ou cinq, dans des directions différentes. Le premier expert poursuivait :

— Débris calcaires…

La carte d’état-major venait alors appuyer les deux autres cartes. Maigret faisait les cent pas en fumant d’un air maussade.

— Pas de calcaire vers Fontainebleau, mais par contre entre La Ferté-Alais et Arpajon…

— Je trouve des grains de blé entre les dessins des pneus…

Les observations s’accumulaient. Les cartes étaient surchargées de traits de crayon bleu et rouge.

À deux heures, on téléphona au maire de La Ferté-Alais pour lui demander si, dans la ville, une entreprise quelconque employait en ce moment du ciment Portland de telle sorte qu’il pût y en avoir sur la route. La réponse n’arriva qu’à trois heures.

— Les Moulins de l’Essonne font des transformations à l’aide de ciment Portland. Il y en a sur la route départementale de La Ferté à Arpajon.

C’était un point de gagné. La voiture avait passé par là et les experts emportèrent encore un certain nombre d’objets pour les étudier plus minutieusement au laboratoire.

Maigret, la carte à la main, pointa toutes les agglomérations situées dans le périmètre d’action de la voiture, avisa les gendarmeries et les municipalités.

À quatre heures, il quitta son bureau avec l’idée d’interroger le vagabond, qu’il n’avait pas vu depuis la veille et qui se trouvait dans le cachot provisoire installé au pied de l’escalier de la PJ. Une idée lui vint comme il descendait cet escalier. Il rentra dans son bureau pour téléphoner au comptable de la maison Basso.

— Allô ! Police ! Voulez-vous me dire quelle est votre banque ? La Banque du Nord, boulevard Haussmann ? Merci…

Il se fit conduire à la banque, se présenta au directeur. Et, cinq minutes plus tard, Maigret avait un élément d’enquête de plus. Le matin même, vers dix heures, James s’était présenté au guichet, avait touché un chèque de trois cent mille francs tiré par Marcel Basso.

Ce chèque était daté de quatre jours auparavant.

— Patron ! C’est le type qui est en bas qui insiste pour vous voir. Il paraît qu’il a quelque chose d’important à vous dire.

Maigret descendit lourdement l’escalier, pénétra dans le cachot où Victor était assis sur un banc, les coudes sur la table, la tête entre les mains.

— Je t’écoute !

Le prisonnier se leva vivement, prit un air malin et, se balançant d’une jambe à l’autre, commença :

— Vous n’avez rien trouvé, pas vrai ?

— Va toujours !

— Vous voyez que vous n’avez rien trouvé !… Je ne suis pas plus bête qu’un autre… Alors, cette nuit, j’ai réfléchi…

— Tu es décidé à parler ?

— Attendez ! Faut qu’on s’entende… Je ne sais pas si c’est vrai que Lenoir a mangé le morceau, mais, en tout cas, s’il l’a fait, il ne vous en a pas dit assez… Sans moi, vous ne trouverez jamais rien, c’est un fait !… Vous êtes embêté !… Vous le serez toujours plus !… Alors, moi, je vous dis ceci : un secret comme celui-là vaut de l’argent… Beaucoup d’argent !… Supposez que j’aille trouver l’assassin et que je lui dise que je vais tout avouer à la police… Est-ce que vous croyez qu’il ne cracherait pas tout ce que je voudrais ?…

Et Victor avait cet air ravi des humbles, habitués à courber la tête, qui se sentent soudain forts. Toute sa vie il avait eu maille à partir avec la police. Et voilà qu’il avait l’impression de tenir le bon bout ! Il accompagnait son discours de poses étudiées, d’œillades entendues.

— Alors voilà !… Quelle raison ai-je de parler, de faire du tort à un bonhomme qui ne m’a rien fait ?… Vous voulez me mettre en prison pour vagabondage ?… Vous oubliez mon poumon !… On m’enverra à l’infirmerie, puis dans un sana !…

Maigret le regardait fixement, sans rien dire.