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— Ces événements ne l’ont pas troublée ?

— Pourquoi ?… Sans compter qu’elle n’est pas femme à se troubler… Elle s’occupe de son ménage… Elle coud… Elle brode… Elle passe une heure ou deux dans les grands magasins, à la recherche d’une occasion…

— Nous sommes arrivés… Venez !

Et Maigret pilota son compagnon à travers la cour, jusqu’au corps de garde, où il questionna :

— Ils sont là ?

— Oui.

— Tranquilles ?

— Sauf celui que Dubois a amené ce matin et qui prétend qu’il s’adressera à la Ligue des droits de l’homme…

Maigret sourit à peine, ouvrit la porte de la cellule, fit passer James devant lui.

Il n’y avait qu’une couchette et c’était le vagabond qui s’y était installé, après avoir retiré ses espadrilles et son veston.

Basso, lui, au moment où la porte s’ouvrait, se promenait de long en large, les mains derrière le dos. Son regard alla aussitôt, interrogateur, à ses deux visiteurs, s’arrêta sur Maigret.

Quant à Victor Gaillard, il se leva avec mauvaise humeur, se rassit et grommela entre ses dents des choses inintelligibles.

— J’ai rencontré votre ami James, dit Maigret, et j’ai pensé que cela vous ferait plaisir de…

— Bonjour, James… fit Basso en lui serrant la main.

Mais il manquait quelque chose. On n’eût pu dire quoi.

Il y avait dans l’atmosphère une réticence, un froid indéfinissable, qui décida peut-être Maigret à brusquer les choses.

— Messieurs, commença-t-il, je vous demande de vous asseoir, car nous en avons pour quelques minutes… Toi, fais de la place sur la couchette… Et surtout essaie de rester un quart d’heure sans tousser… Cela ne prend pas ici !…

Le vagabond se contenta de ricaner, en homme qui attend son heure.

— Asseyez-vous, James… Et vous aussi, monsieur Basso… Parfait ! Maintenant, si vous le voulez bien, je vais essayer de résumer en quelques mots la situation… Vous m’écoutez attentivement, n’est-ce pas ?… Il y a quelque temps, un condamné à mort du nom de Lenoir portait, au moment de mourir, une accusation contre quelqu’un dont il se refusait à livrer le nom…

« Il s’agissait d’un vieux crime dont la banalité même a assuré l’impunité…

« En bref, voilà six ans, une voiture quittait une rue de Paris et se dirigeait vers le canal Saint-Martin… Là, le conducteur de l’auto descendait, chargeait sur son bras un cadavre qui se trouvait à l’intérieur et le poussait dans l’eau profonde…

« On n’en aurait jamais rien su si deux rôdeurs n’avaient assisté à la scène… Deux rôdeurs qui avaient nom Lenoir et Victor Gaillard…

« L’idée ne leur vient pas de s’adresser à la police… Ils préfèrent profiter de leur découverte et les voilà qui vont trouver l’assassin et qui lui soutirent régulièrement des sommes d’argent plus ou moins fortes…

« Seulement, ils sont encore jeunes dans le métier… Ils ne prennent pas toutes leurs précautions et, un beau matin, leur banquier a changé d’adresse…

« C’est tout ! La victime s’appelle Ulrich ! Il s’agit d’un brocanteur juif qui est seul à Paris et dont, par conséquent, personne ne s’inquiète !

Maigret alluma lentement sa pipe, sans regarder ses interlocuteurs. Dans la suite, il ne les regarda pas davantage, mais fixa obstinément ses chaussures.

— Six ans plus tard, Lenoir retrouve par hasard l’assassin en question, mais il n’a pas le temps de renouer avec lui des relations fructueuses, car un crime qu’il commet pour son compte lui vaut une condamnation à mort…

« Écoutez-moi bien, je vous en prie… Avant de mourir, comme je l’ai déjà dit, il prononce quelques mots qui me suffisent à circonscrire mes recherches dans un petit cercle bien déterminé. Mais aussi il écrit à son ancien camarade pour lui annoncer la nouvelle et celui-ci accourt à la guinguette à deux sous…

« Voilà, si vous voulez, le second acte… Ne m’interrompez pas, James !… Toi non plus, Victor…

« Et revenons au dimanche où Feinstein est mort… Ce jour-là, l’assassin d’Ulrich était à la guinguette à deux sous… C’était vous, Basso, ou moi, ou vous James, ou Feinstein, ou n’importe quel autre…

« Une seule personne qui puisse nous fixer avec certitude : Victor Gaillard ici présent…

Celui-ci ouvrit la bouche et Maigret cria littéralement :

— Silence !

Il ajouta ensuite sur un autre ton :

— Or Victor Gaillard, qui est un malin et une crapule par surcroît, n’a pas du tout envie de parler pour rien… Il réclame trente mille francs pour livrer le nom… Mettons qu’à vingt-cinq mille il marcherait… Silence, sacrebleu ! Laissez-moi finir…

« La police n’a pas l’habitude d’offrir de pareilles primes, et tout ce qu’elle peut faire pour Gaillard, c’est de le poursuivre sous l’inculpation de chantage…

« Revenons aux coupables possibles… J’ai dit tout à l’heure que toutes les personnes présentes le dimanche en question à la guinguette pouvaient être soupçonnées…

« Mais il y a des degrés… Par exemple, il est prouvé que Basso, jadis, a connu le sieur Ulrich… Il est prouvé que non seulement Feinstein le connaissait aussi, mais que la mort du brocanteur lui a permis de ne pas rembourser la forte somme qu’il lui devait…

« Feinstein est mort… L’enquête a démontré que c’était un personnage assez peu recommandable…

« Si c’est lui qui a tué Ulrich, l’action pénale s’éteint d’elle-même et le dossier de cette affaire en restera où il en est…

« Victor Gaillard pourrait nous fixer, mais je n’ai pas le droit d’accepter son chantage…

« Silence, sacrebleu !… Vous parlerez quand on vous questionnera…

C’était le vagabond qui s’agitait et qui ouvrait la bouche à chaque instant pour prendre la parole.

Maigret ne regardait toujours personne. Il avait parlé d’une voix monotone, comme on récite une leçon.

Et soudain il se dirigea vers la porte en grommelant :

— Je reviens dans un instant… Un coup de téléphone urgent à donner…

La porte s’ouvrit, se referma, et l’on entendit des pas qui s’éloignaient dans l’escalier.

XI

L’assassin d’Ulrich

— Allô oui !… D’ici une dizaine de minutes, monsieur le juge… Qui ?… Je ne sais pas encore… Je vous jure !… Est-ce que j’ai l’habitude de plaisanter ?…

Et il raccrocha, se promena de long en large dans son bureau, s’approcha de Jean.

— À propos, je serai absent pendant quelques jours, à partir de ce soir… Voici l’adresse à laquelle il faudra faire suivre mon courrier…

Il regarda plusieurs fois sa montre, se décida enfin à descendre vers la cellule où il avait laissé les trois hommes.

Quand il entra, la première chose qu’il vit, ce fut le visage haineux du vagabond, qui n’était plus à la même place mais qui arpentait la pièce à pas rageurs. Basso, lui, assis au bord de la couchette, se tenait la tête dans les mains.

Quant à James, il était appuyé au mur, les bras croisés, et il fixait Maigret avec un drôle de sourire.

— Excusez-moi de vous avoir fait attendre… Je…

— C’est fait ! dit James. Mais votre absence était inutile.

Et son sourire était plus ému à mesure que Maigret se montrait déconfit.

— Victor Gaillard ne gagnera ses trente mille francs ni en parlant ni en se taisant… C’est moi qui ai tué Ulrich…

Le commissaire ouvrit la porte, appela un inspecteur qui passait.

— Enfermez-moi cet homme n’importe où jusqu’à tout à l’heure…

Il désigna le vagabond, qui lança encore à Maigret :

— Vous vous souviendrez que c’est moi qui vous ai conduit chez Ulrich !… Sans cela… Et cela vaut bien…