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C’est à peine s’il avait saigné. Une tache roussâtre sur son complet d’été. Il restait propre, tiré à quatre épingles comme d’habitude.

— Mado a une crise, dans la maison !… vint annoncer un jeune homme.

Mado, c’était Mme Feinstein, qu’on avait étendue sur le lit très haut des tenanciers. Tout le monde épiait Maigret. Il y eut un froid quand une voix, au bord de la rivière, lança :

— Coucou !… Où êtes-vous ?…

C’était Pierrot, le fils de Basso, qui abordait en périssoire et qui cherchait la bande.

— Allez vite !… Qu’on l’empêche d’approcher…

Marcel Basso se remettait. Il découvrait son visage, se redressait, confus de sa faiblesse d’un instant, semblait à nouveau chercher la personne à qui il devait s’adresser.

— J’appartiens à la Police judiciaire ! lui dit Maigret.

— Vous savez… ce n’est pas moi !…

— Voulez-vous me suivre un moment ?

Le commissaire s’adressa au médecin :

— Je compte sur vous pour empêcher qu’on touche au corps ! Et je vous demande à tous de nous laisser, M. Basso et moi.

Tout cela avait traîné comme une scène mal réglée dans l’atmosphère lourde, radieuse.

Des pêcheurs à la ligne passaient sur le chemin de halage, le panier à poissons sur le dos. Basso marchait à côté de Maigret.

— C’est quelque chose d’inouï !…

Il était sans vigueur, sans ressort. Dès qu’on avait contourné le hangar, on apercevait la rivière, la villa, sur l’autre rive, et Mme Basso qui rangeait les fauteuils d’osier abandonnés dans le jardin.

— Maman demande la clé de la cave ! cria le gamin, de sa périssoire.

Mais l’homme ne répondit rien. Son regard changeait, devenait celui d’une bête traquée.

— Dites-lui où est cette clé.

Il fit un grand effort pour clamer :

— Au crochet du garage !

— Comment ?

— Au crochet du garage !

Et l’on percevait vaguement l’écho :

— … rage !…

— Que s’est-il passé entre vous ? questionna Maigret en pénétrant dans le hangar au piano mécanique, où il n’y avait plus que des verres sur les tables.

— Je ne sais pas…

— À qui appartient le revolver ?

— Pas à moi !… Le mien est toujours dans ma voiture…

— Feinstein vous a attaqué ?

Un long silence. Un soupir.

— Je ne sais pas ! Je n’ai rien fait !… Surtout… surtout je jure que je ne l’ai pas tué…

— Vous aviez l’arme à la main quand…

— Oui… Je ne sais pas comment cela s’est fait…

— Vous prétendez que c’est un autre qui a tiré ?

— Non… je… vous ne pouvez pas vous figurer comme c’est terrible…

— Feinstein s’est suicidé ?

— Il a…

Il s’assit sur un banc, se prit une fois de plus la tête à deux mains. Et, comme un verre traînait sur la table, il le saisit, avala d’un trait son contenu, fit la grimace.

— Que va-t-il arriver ?… Vous m’arrêtez ?…

Et, regardant fixement Maigret, le front plissé :

— Mais… comment étiez-vous justement là ?… Vous ne pouviez pourtant pas savoir…

Il semblait s’efforcer de comprendre, de nouer ensemble des lambeaux d’idées. Il grimaçait.

— On dirait un piège qui…

La périssoire blanche revenait vers la berge après avoir touché l’autre rive.

— Papa !… La clé n’est pas au garage !… Maman demande…

Machinalement, Basso tâta ses poches. Du métal cliqueta. Il retira un trousseau de clés qu’il posa sur la table. Et ce fut Maigret qui traversa le chemin de halage, cria au gosse :

— Attention !… Attrape !…

— Merci, m’sieu !

Et la périssoire s’éloigna. Mme Basso, dans le jardin, dressait la table pour le dîner, avec la servante. Des canoës rentraient au Vieux-Garçon. Le débitant revenait en vélo de l’écluse où il était allé téléphoner.

— Vous êtes sûr que ce n’est pas vous qui avez tiré ?

L’autre haussa les épaules, soupira, ne répondit pas.

La périssoire abordait l’autre rive. On devinait la conversation entre la mère et le fils. Un ordre fut donné à la servante, qui entra dans la maison pour en sortir presque aussitôt.

Et Mme Basso, lui prenant les jumelles des mains, les braqua sur la guinguette à deux sous.

James était assis dans un coin, chez les débitants, et se versait de grands verres de cognac en caressant le chat qui s’était blotti sur ses genoux.

IV

Les rendez-vous rue Royale

Ce fut une semaine maussade, éreintante, toute remplie de tâches sans attrait, de petits déboires, de démarches délicates, dans un Paris torride dont un orage, chaque soir vers les six heures, transformait les rues en rivières.

Mme Maigret était toujours en vacances, écrivait : … le temps est magnifique et jamais les prunelles n’ont été si belles…

Maigret n’aimait pas rester à Paris sans sa femme. Il mangeait, sans appétit, dans le premier restaurant venu, et il lui arriva de coucher à l’hôtel pour ne pas rentrer chez lui.

L’histoire avait commencé par un chapeau haut de forme que Basso essayait dans le magasin ensoleillé du boulevard Saint-Michel. Un rendez-vous avenue Niel, dans une garçonnière. Une noce le soir, à la guinguette à deux sous. Une partie de bridge et le drame inattendu…

Quand les gendarmes étaient arrivés, là-bas, sur les lieux, Maigret, qui n’était pas en mission officielle, leur avait laissé prendre leurs responsabilités. Ils avaient arrêté le marchand de charbon. Le Parquet avait été avisé.

Une heure plus tard, Marcel Basso était assis dans la petite gare de Seineport, entre deux brigadiers. La foule du dimanche attendait le train. Le brigadier de droite lui avait offert une cigarette.

Les lampes étaient allumées. La nuit était presque complète. Et voilà qu’au moment où le train entrait en gare et où tout le monde se pressait au bord du quai, Basso bousculait ses gardiens, s’élançait à travers la foule, traversait la voie et fonçait vers un bois proche !

Les gendarmes n’en croyaient pas leurs yeux. Quelques instants auparavant il était si calme, comme avachi, entre eux deux !

Maigret apprit cette fuite en arrivant à Paris. Et ce fut une nuit désagréable pour tout le monde. Aux environs de Morsang et de Seineport, la gendarmerie battait les campagnes, barrait les routes, surveillait les gares et questionnait tous les chauffeurs d’autos. Le filet s’étendit sur presque tout le département et les promeneurs dominicaux s’étonnaient, en rentrant, des renforts de police garnissant les portes de Paris.

En face de la maison des Basso, quai d’Austerlitz, deux hommes de la Police judiciaire. Deux hommes aussi devant l’immeuble où les Feinstein avaient leur appartement privé, boulevard des Batignolles.

Le lundi matin, descente du Parquet à la guinguette à deux sous, et Maigret dut y assister, discuter longuement avec les magistrats.

Lundi soir : rien ! Quasi-certitude que Basso était parvenu à passer à travers le filet et à se réfugier à Paris ou dans une ville des environs, comme Melun, Corbeil, Fontainebleau.

Mardi matin, rapport du médecin légiste : coup de feu tiré à une distance d’environ trente centimètres. Impossible de déterminer si le coup a été tiré par Feinstein lui-même ou par Basso.

Mme Feinstein reconnaît l’arme comme lui appartenant. Elle ignorait que son mari l’eût en poche. D’habitude, le revolver se trouvait, chargé, dans la chambre de la jeune femme.

Interrogatoire, boulevard des Batignolles. L’appartement est banal, sans luxe, très « petites gens ». Propreté douteuse. Une seule bonne à tout faire.

Mme Feinstein pleure ! Elle pleure ! Elle pleure ! C’est à peu près sa seule réponse, avec des : « Si j’avais su !…»