Le Barbouillé
Ma foi, je m’y suis mépris: à cause qu’il est vêtu comme un médecin, j’ai cru qu’il lui fallait parler d’argent; mais puisqu’il n’en veut point, il n’y a rien plus aisé que de le contenter. Je m’en vais courir après lui.
Scène III
Angélique, Valère, Cathau
Angélique
Monsieur, je vous assure que vous m’obligez beaucoup de me tenir quelquefois compagnie: mon mari est si mal bâti, si débauché, si ivrogne, que ce m’est un supplice d’être avec lui, et je vous laisse à penser quelle satisfaction on peut avoir d’un rustre comme lui.
Valère
Mademoiselle, vous me faites trop d’honneur de me vouloir souffrir, et je vous promets de contribuer de tout mon pouvoir à votre divertissement; et que, puisque vous témoignez que ma compagnie ne vous est point désagréable, je vous ferai connaître combien j’ai de joie de la bonne nouvelle que vous m’apprenez, par mes empressements.
Cathau
Ah! changez de discours: voyez porte-guignon qui arrive.
Scène IV
Le Barbouillé, Valère, Angélique, Cathau
Valère
Mademoiselle, je suis au désespoir de vous apporter de si méchantes nouvelles; mais aussi bien les auriez-vous apprises de quelque autre: et puisque votre frère est fort malade…
Angélique
Monsieur, ne m’en dites pas davantage; je suis votre servante, et vous rends grâces de la peine que vous avez prise.
Le Barbouillé
Ma foi, sans aller chez le notaire, voilà le certificat de mon cocuage. Ha! ha! Madame la carogne, je vous trouve avec un homme, après toutes les défenses que je vous ai faites, et vous me voulez envoyer de Gemini en Capricorne!
Angélique
Hé bien! faut-il gronder pour cela? Ce Monsieur vient de m’apprendre que mon frère est bien malade: où est le sujet de querelles?
Cathau
Ah! le voilà venu: je m’étonnais bien si nous aurions longtemps du repos.
Le Barbouillé
Vous vous gâteriez, par ma foi, toutes deux, Mesdames les carognes; et toi, Cathau, tu corromps ma femme: depuis que tu la sers, elle ne vaut pas la moitié de ce qu’elle valait.
Cathau
Vraiment oui, vous nous la baillez bonne.
Angélique
Laisse là cet ivrogne; ne vois-tu pas qu’il est si soûl qu’il ne sait ce qu’il dit?
Scène V
Gorgibus, Villebrequin, Angélique, Cathau, Le Barbouillé
Gorgibus
Ne voilà pas encore mon maudit gendre qui querelle ma fille?
Villebrequin
Il faut savoir ce que c’est.
Gorgibus
Hé quoi? toujours se quereller! vous n’aurez point la paix dans votre ménage?
Le Barbouillé
Cette coquine-là m’appelle ivrogne. Tiens, je suis bien tenté de te bailler une quinte major, en présence de tes parents.
Gorgibus
Je dédonne au diable l’escarcelle, si vous l’aviez fait.
Angélique
Mais aussi c’est lui qui commence toujours à…
Cathau
Que maudite soit l’heure que vous avez choisi ce grigou!…
Villebrequin
Allons, taisez-vous, la paix!
Scène VI
Le Docteur, Villebrequin, Gorgibus, Cathau, Angélique, Le Barbouillé
Le Docteur
Qu’est ceci? quel désordre! quelle querelle! quel grabuge! quel vacarme! quel bruit! quel différend! quelle combustion! Qu’y a-t-il, Messieurs? Qu’y a-t-il? Qu’y a-t-il? Çà, çà, voyons un peu s’il n’y a pas moyen de vous mettre d’accord, que je sois votre pacificateur, que j’apporte l’union chez vous.
Gorgibus
C’est mon gendre et ma fille qui ont eu bruit ensemble.
Le Docteur
Et qu’est-ce que c’est? voyons, dites-moi un peu la cause de leur différend.
Gorgibus
Monsieur…
Le Docteur
Mais en peu de paroles.
Gorgibus
Oui-da. Mettez donc votre bonnet.
Le Docteur
Savez-vous d’où vient le mot bonnet?
Gorgibus
Nenni.
Le Docteur
Cela vient de bonum est, «bon est, voilà qui est bon», parce qu’il garantit des catarrhes et fluxions.
Gorgibus
Ma foi, je ne savais pas cela.
Le Docteur
Dites donc vite cette querelle.
Gorgibus
Voici ce qui est arrivé…
Le Docteur
Je ne crois pas que vous soyez homme à me tenir longtemps, puisque je vous en prie. J’ai quelques affaires pressantes qui m’appellent à la ville; mais pour remettre la paix dans votre famille, je veux bien m’arrêter un moment.
Gorgibus
J’aurai fait en un moment.
Le Docteur
Soyez donc bref.
Gorgibus
Voilà qui est fait incontinent.
Le Docteur
Il faut avouer, Monsieur Gorgibus, que c’est une belle qualité que de dire les choses en peu de paroles, et que les grands parleurs, au lieu de se faire écouter, se rendent le plus souvent si importuns qu’on ne les entend point: Virtutem primam esse puta compescere linguam. Oui, la plus belle qualité d’un honnête homme, c’est de parler peu.
Gorgibus
Vous saurez donc…
Le Docteur
Socrates recommandait trois choses fort soigneusement à ses disciples: la retenue dans les actions, la sobriété dans le manger, et de dire les choses en peu de paroles. Commencez donc, Monsieur Gorgibus.
Gorgibus
C’est ce que je veux faire.
Le Docteur
En peu de mots, sans façon, sans vous amuser à beaucoup de discours, tranchez-moi d’un apophtegme, vite, vite, Monsieur Gorgibus, dépêchons, évitez la prolixité.
Gorgibus
Laissez-moi donc parler.
Le Docteur
Monsieur Gorgibus, touchez là: vous parlez trop; il faut que quelque autre me dise la cause de leur querelle.