Angélique
Tiens, si tu ne m’ouvres, je m’en vais me tuer devant la porte; mes parents, qui sans doute viendront ici auparavant de se coucher, pour savoir si nous sommes bien ensemble, me trouveront morte, et tu seras pendu.
Le Barbouillé
Ah, ah, ah, ah, la bonne bête! et qui y perdra le plus de nous deux? Va, va, tu n’es pas si sotte que de faire ce coup-là.
Angélique
Tu ne le crois donc pas? Tiens, tiens, voilà mon couteau tout prêt: si tu ne m’ouvres, je m’en vais tout à cette heure m’en donner dans le coeur.
Le Barbouillé
Prends garde, voilà qui est bien pointu.
Angélique
Tu ne veux donc pas m’ouvrir?
Le Barbouillé
Je t’ai déjà dit vingt fois que je n’ouvrirai point; tue-toi, crève, va-t’en au diable, je ne m’en soucie pas.
Angélique, faisant semblant de se frapper
Adieu donc!… Ay! je suis morte.
Le Barbouillé
Serait bien assez sotte pour avoir fait ce coup-là? Il faut que je descende avec la chandelle pour aller voir.
Angélique
Il faut que je t’attrape. Si je peux entrer dans la maison subtilement, cependant que tu me chercheras, chacun aura bien son tour.
Le Barbouillé
Hé bien! ne savais pas bien qu’elle n’était pas si sotte? Elle est morte, et si elle court comme le cheval de Pacolet. Ma foi, elle m’avait fait peur tout de bon. Elle a bien fait de gagner au pied; car si je l’eusse trouvée en vie, après m’avoir fait cette frayeur-là, je lui aurais apostrophé cinq ou six clystères de coups de pied dans le cul, pour lui apprendre à faire la bête. Je m’en vais me coucher cependant. Oh! oh! je pense que le vent a fermé la porte. Hé! Cathau, Cathau, ouvre-moi.
Angélique
Cathau, Cathau! Hé bien! qu’a-t-elle fait, Cathau? Et d’où venez-vous, Monsieur l’ivrogne? Ah! vraiment, va, mes parents, qui vont venir dans un moment, sauront tes vérités. Sac à vin infâme, tu ne bouges du cabaret, et tu laisses une pauvre femme avec des petits enfants, sans savoir s’ils ont besoin de quelque chose, à croquer le marmot tout le long du jour.
Le Barbouillé
Ouvre vite, diablesse que tu es, ou je te casserai la tête.
Scène XII
Gorgibus, Villebrequin, Angélique, Le Barbouillé
Gorgibus
Qu’est ceci? toujours de la dispute, de la querelle et de la dissension!
Villebrequin
Hé quoi? vous ne serez jamais d’accord?
Angélique
Mais voyez un peu, le voilà qui est soûl, et revient, à l’heure qu’il est, faire un vacarme horrible; il me menace.
Gorgibus
Mais aussi ce n’est pas là l’heure de revenir. Ne devriez-vous pas, comme un bon père de famille, vous retirer de bonne heure, et bien vivre avec votre femme?
Le Barbouillé
Je me donne au diable, si j’ai sorti de la maison, et demandez plutôt à ces Messieurs qui sont là-bas dans le parterre; c’est elle qui ne fait que de revenir. Ah! que l’innocence est opprimée!
Villebrequin
Çà, çà; allons, accordez-vous; demandez-lui pardon.
Le Barbouillé
Moi, pardon! j’aimerais mieux que le diable l’eût emportée. Je suis dans une colère que je ne me sens pas.
Gorgibus
Allons, ma fille, embrassez votre mari, et soyez bons amis.
Scène XIII et dernière.
Le Docteur, à la fenêtre, en bonnet de nuit et en camisole: Le Barbouillé, Villebrequin, Gorgibus, Angélique
Le Docteur
Hé quoi? toujours du bruit, du désordre, de la dissension, des querelles, des débats, des différends, des combustions, des altercations éternelles. Qu’est-ce? qu’y a-t-il donc? On ne saurait avoir du repos.
Villebrequin
Ce n’est rien, Monsieur le Docteur; tout le monde est d’accord.
Le Docteur
À propos d’accord, voulez-vous que je vous lise un chapitre d’Aristote, où il prouve que toutes les parties de l’univers ne subsistent que par l’accord qui est entre elles?
Villebrequin
Cela est-il bien long?
Le Docteur
Non, cela n’est pas long: cela contient environ soixante ou quatre-vingts pages.
Villebrequin
Adieu, bonsoir! nous vous remercions.
Gorgibus
Il n’en est pas de besoin.
Le Docteur
Vous ne le voulez pas?
Gorgibus
Non.
Le Docteur
Adieu donc! puisqu’ainsi est; bonsoir! latine, bona nox.
Villebrequin
Allons-nous-en souper ensemble, nous autres.