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Il y avait là différents papiers officiels concernant d’anciennes missions à l’étranger, principalement en Roumanie : Le Guillou avait visiblement travaillé comme coopérant dans le cadre de la future adhésion, en collaboration avec les orphelinats de Bucarest.

Le tampon, toujours le même, était à l’effigie de « Hope and Faith », une ONG à caractère caritatif… Mc Cash alluma l’ordinateur sur le bureau.

Il ouvrit les icônes. Chercha. Le contenu des dossiers s’avérant aussi trépidant que les confessions d’un gravier, il inspecta la messagerie Internet. Là encore, c’était plein de courriels administratifs : le dernier datait du 24, soit la veille de sa mort, à l’attention du ministère de tutelle. Rien que de l’ordinaire. Mc Cash en profita pour chercher des informations concernant « Hope and Faith ».

D’après l’Internet, l’ONG était une organisation d’obédience catholique dont le but était d’accueillir les enfants réfugiés, orphelins ou victimes des conflits ethniques ayant eu lieu dans la région des Balkans et des anciens pays de l’Est. « Hope and Faith » travaillait aussi bien avec les gouvernements qu’avec les institutions internationales, type OTAN, tout en coopérant avec des organismes privés — fourniture de matériel médical, nourriture, vêtements, personnel de sécurité… Un scandale avait cependant perturbé le bon fonctionnement du tout, lorsqu’en 2001 des détournements de fonds avaient été révélés : plus d’un million de dollars s’était ainsi volatilisé pour le compte de sociétés-écrans, opacité probablement liée aux mafias de l’Est… Discréditée, « Hope and Faith » avait depuis réduit ses activités mais l’ONG continuait à vivoter au Monténégro, en Roumanie et en Ukraine…

Mc Cash éteignit l’ordinateur — le puzzle commençait à se reconstituer. N’observant aucun mouvement depuis le hall, il jeta un œil aux dossiers sur les étagères, en quête d’une cache, ou d’un coffre, sans résultat. Il s’agenouilla et, passant le faisceau de la lampe sous le bureau, vit qu’une enveloppe kraft était scotchée sous la tablette.

Il la découpa au canif et vida le contenu sur le buvard.

Il y avait de l’argent liquide, des dollars, qu’il effeuilla rapidement — dans les vingt mille. Il y avait aussi un billet d’avion, un aller simple pour Saint-Martin, dans les Antilles, en classe affaires. Le départ était prévu pour le 25 décembre, à vingt heures dix, aéroport Charles-de-Gaulle : soit quelques heures après son assassinat.

Chassé par les frissons, Mc Cash laissa le billet d’avion et l’enveloppe kraft dans un des tiroirs, puis il quitta le bureau sans un bruit. Dehors, la neige avait gelé et scintillait sous la lune revenue.

Il marcha dans ses pas, traces de loup dans le jardin d’enfants.

*

Saholy dormait à poings fermés, enserrant un bout de drap comme si elle allait lui tordre le cou : stigmate inconscient d’un tempérament angoissé ou japonaiserie michimesque ? De sa main valide, Mc Cash caressa sa poitrine pardessus le drap, doucement mais fermement, et resta là, extatique…

— On dirait un chat qui s’installe sur une couverture, dit-elle sans ouvrir les yeux.

Alléluia.

— Il est six heures et quart, dit-il.

— Merde.

Le borgne cessa ses caresses :

— Tu veux un café ?

— Il faut que je fasse mon sac.

— Il est où ?

— La boîte en fer, dans le frigo…

Saholy ouvrit les paupières mais à la sombre lueur qui filtrait de ses meurtrières, Mc Cash comprit que leur nuit d’amour ne ferait pas de vieux os.

Elle prit une douche. Mc Cash s’assit sur le lit, soudain las, écouta les bruits d’eau depuis la salle de bains.

Saholy avait téléphoné la veille à sa copine Dorothée, vite d’accord pour lui prêter son chalet dans le Jura — un village perdu au fond d’une vallée où, d’après elle, personne ne viendrait les chercher. L’assistante sociale avait alors joint les Plabennec et, dans la foulée, les avait convaincus de signer la décharge concernant la garde d’Alice : Saholy passerait la prendre chez eux le lendemain matin, dès huit heures. Mc Cash n’avait qu’une alliée mais elle était efficace.

La métisse réapparut bientôt, une serviette autour des seins.

— Alors ? fit-elle en piochant dans son tiroir à culottes. Comment ça s’est passé ?

Il raconta sa virée nocturne tandis qu’elle fourrait des affaires dans son sac de voyage. Ils prirent le café à la cuisine. Saholy non plus ne savait pas trop quoi en penser : la gamine que Mc Cash avait repêchée avait les cheveux noirs et les traits typés, ce qui pouvait coller avec la piste roumaine. Les enfants des rues ne valent pas cher sur le marché, ceux des pays de l’Est moins que les autres : Le Guillou avait pu garder des contacts à Bucarest, établir une filière à partir des orphelinats, ou des gosses perdus.

— Tu crois que Le Guillou servait d’intermédiaire ?

— Oui, dit-il.

— A qui ? Un pervers ? Un réseau de pédophiles ?

Il haussa les épaules :

— Peut-être…

— Tu n’as pas l’air convaincu.

— « Hope and Faith », l’ONG pour qui a travaillé Le Guillou dans les années quatre-vingt-dix, était visiblement noyautée par des groupes mafieux, dit-il. Là aussi, Le Guillou a pu avoir des contacts ; les armes de guerre qu’ils portaient, leur méthode, tout laisse croire que les tueurs sont des professionnels. L’accent du type était du genre slave. « Hope and Faith » sous-traitait avec des agences de sécurité : beaucoup de mercenaires et d’anciens soldats se recyclent dans ce type de business. Ils ont pu faire une pige pour un trafic de chair humaine, ou tout simplement faire leur job…

Le café avait goût de mazout.

— Si c’est Le Guillou qui a organisé la filière, reprit Saholy, pourquoi ses hommes se sont retournés contre lui ?

— Parce qu’il n’était pas le commanditaire, répondit l’ex-flic : juste un intermédiaire…

Évidemment.

Saholy commençait à ne pas du tout sentir cette affaire : si au début leur aventure avait quelque chose de plutôt cocasse, ça virait à l’orage et elle n’avait aucune envie d’être là quand il éclaterait. Grandes mains ou pas, ce type lui fichait la frousse.

Mc Cash fuma dans son café pendant qu’elle réunissait ses affaires.

Le Guillou s’apprêtait à fuir : le billet d’avion qu’il avait trouvé dans son bureau avait pour destination Saint-Martin, une île des Antilles connue pour sa zone franche, ses trafics de drogue et son blanchiment d’argent. Plus surprenant pour un coup vraisemblablement préparé de longue date, Le Guillou avait payé son billet plein pot, sur un vol régulier. Il l’avait donc pris au dernier moment. Ce petit voyage aux Antilles n’était par conséquent pas prévu. D’ailleurs, au foyer, personne n’était au courant de son départ. Le Guillou avait fui devant quelque chose — ou quelqu’un ? Il y avait à peine vingt mille dollars dans l’enveloppe kraft : pas de quoi s’acheter un autre avenir, même en toc…

Sauf si Le Guillou avait une deuxième planque.

Ou s’il attendait une grosse somme d’argent.

Ou s’il avait reçu une grosse somme d’argent et que quelqu’un n’avait pas eu envie de partager.