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De toutes les façons, Le Guillou n’était qu’un rat parmi les hyènes.

— Qu’est-ce que tu vas faire pendant ce temps-là ? demanda Saholy, en jetant son sac de voyage dans l’entrée. Balancer les tueurs un à un dans le Meu, remonter la filière roumaine et mettre le feu aux pays de l’Est pour leur apprendre à ne pas vendre leurs orphelins sur le Super Marché ?

— Contente-toi de mettre Alice au vert, dit-il.

Son portable sonna alors depuis la poche de sa veste, quelque part dans le salon. Il l’attrapa de justesse. C’était Bulteau.

Le vieux copain flic n’avait rien perdu de son efficacité : le numéro de téléphone qu’il lui avait fourni la veille était le portable privé d’Alain Blanckaert, un jeune capitaine d’industrie qui, après avoir fait fortune dans le commerce du bois, développait ses activités dans les travaux publics — il y avait un portrait de lui dans le dernier Valeurs actuelles. Pour information, le siège social de sa société était basé en Seine-Saint-Denis et son domicile à Paris, dans le 15e arrondissement.

L’œil du borgne vira au trouble — a priori aucun rapport avec des mercenaires d’Europe de l’Est…

— Il a téléphoné ce matin ? On a pu le localiser ?

— Oh ! Tu crois quand même pas que j’allais lui demander les fadettes ! rigola Bulteau à l’autre bout des ondes. Je te rappelle que pour surveiller les appels, il faut une commission rogatoire : mon contact a déjà été bien conciliant en me fournissant ces renseignements, de manière illégale je te le rappelle, tu seras aimable de t’en contenter, et surtout de la boucler quant à sa provenance : je ne te couvre pas sur cette affaire, vu ?

— Ouais.

Mc Cash raccrocha en oubliant de dire merci.

Saholy avait empoigné son sac de voyage.

— Qu’est-ce que tu as à faire cette gueule ? lui lança-t-elle.

— Blanckaert, tu connais ?

— Non. C’est qui ?

— Un type qui fait du business dans les travaux publics.

Elle secoua sa tignasse brune :

— Je ne connais que des lopettes.

Des pierres taillées roulaient de ses meurtrières — sa façon de sourire.

Ivan meets GI Joe

Gaétane et François Plabennec ne pouvaient pas avoir d’enfants, ou du moins pas ensemble. Catholiques convaincus, l’assistance médicale s’avérant inefficace, ils s’étaient constitués famille d’accueil. La charité serait leur deuil.

Alice était la troisième fille à habiter chez eux. Ils vivaient au fond d’un lotissement, un pavillon Lemoult Bernard qui datait des années soixante-dix. La zone industrielle s’étant étendue jusqu’aux champs alentour, ils avaient aujourd’hui pour voisins une demi-douzaine de franchises aux devantures closes et une maison individuelle aux volets fermés, dont on devinait le toit d’ardoise triste derrière la haie. Saholy gara sa Clio à une vingtaine de mètres.

Il faisait encore nuit. Mc Cash se pencha pour scruter le pavillon des Plabennec, ne vit que des cyprès.

— Au fait, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu as raconté aux Plabennec pour qu’ils te laissent la garde d’Alice…

— T’occupe.

Saholy zippa le long manteau noir cintré qui soulignait sa silhouette et ouvrit la portière :

— À tout à l’heure.

Mc Cash la regarda filer, poursuivie par les nuées.

Huit heures du matin : l’Irlandais alluma une cigarette, fuma le temps de trouver l’inspiration, trouva une série de bobards crédibles et téléphona au siège social d’Alain Blanckaert, en Seine-Saint-Denis.

D’après l’une des assistantes de direction qu’il réussit finalement à joindre, le big boss était parti passer les fêtes de Noël à l’étranger. Elle n’avait pas dit où. Elle lui demanda de répéter son nom mais il raccrocha. Il passa alors d’autres coups de fil, toujours de sale humeur, un œil sur le portail des Plabennec — huit heures douze : qu’est-ce qu’elles foutaient…

Mc Cash n’avait aucune idée de ce qu’un homme d’affaires comme Blanckaert venait faire dans un trafic d’enfants : il lança des recherches via ses anciens réseaux concernant les vols en partance pour l’étranger (Pascale lui dit d’aller se faire voir mais Sonia accepta avec joie), puis il réveilla son vieil ami Sean qui, après l’avoir traité de fucking one-eyed bastard, comprit qu’il allait bientôt rappliquer à Paris :

— Pour affaires ? demanda Sean.

— Un passeport, c’est jouable ?

— Bullshit.

Huit heures vingt et une : l’aube livide pointait au-delà des toits. Trouvant le temps long, il appela Saholy. Le portable était coupé.

Une volée de flocons balayait la rue vide. Mc Cash contourna le pavillon.

Le jardin était clôturé : il passa par-dessus en pestant et atterrit dans les cyprès. Il faisait noir, on ne percevait aucun bruit. Il traversa la pelouse enneigée jusqu’au garage, aperçut une lumière assez faible derrière les volets du salon mais toujours aucun bruit de conversation. Un crachin glacé fouetta son visage quand il empoigna son calibre 38 : d’un coup d’épaule expert, il ouvrit la porte coulissante du sous-sol et pénétra dans la cave.

Il y faisait sombre. La lumière d’une ampoule éclairait le réduit un peu plus loin. L’odeur était repoussante. Il avança doucement, épia les bruits à l’étage, entendit ce qui ressemblait à des bruits de pas furtifs. Il approcha du réduit et là bloqua un peu plus sa respiration : il y avait deux personnes adossées au mur.

Des capuches recouvraient leurs visages mais il s’agissait d’un homme et d’une femme à terre, en pyjama et chemise de nuit. Ils avaient les pieds et les poings liés avec du scotch renforcé. Ce qui ressemblait à l’impact d’une balle avait éclaté leur crâne et le mur en était moucheté en dépit des capuches. Ils gisaient le buste incliné l’un contre l’autre, les jambes souillées d’excréments. Mc Cash eut un haut-le-cœur en soulevant les capuches — il ne connaissait pas l’homme bâillonné mais la femme était Gaétane Plabennec, qu’il avait croisée l’autre soir. Tous les deux avaient été sauvagement battus.

Mc Cash vida ses poumons, expulsant la peur qui lui coupait les jambes — Alice… Ne pas penser. Il quitta le réduit et se dirigea à pas de velours vers l’escalier qui menait à l’étage — ils étaient là-haut. La lumière de la cave s’alluma en grand.

Saholy descendit les premières marches, poussée par un homme corpulent qui la tenait par la racine des cheveux. Elle était bâillonnée, les mains dans le dos, et son visage terrorisé pissait le sang. Ils tombèrent nez à nez. La métisse voulut aussitôt se jeter dans l’escalier mais l’homme la tira vers lui et plaqua le canon d’un revolver sur sa tempe. Saholy comme bouclier, il éructa dans sa langue, intimant au borgne de lâcher son arme tout en appelant son partenaire à l’étage.

Mc Cash tira à bout portant, une balle de .38, qui lui perfora la pommette. Propulsé contre les marches, l’homme lâcha Saholy : elle s’écroula sur le béton froid de la cave. La poudre faisait presque oublier l’odeur de merde : Mc Cash grimpa l’escalier à toutes jambes, piétina au passage le corps sans visage et jaillit dans le couloir. Le sifflement caractéristique d’un silencieux claqua sur sa gauche, pulvérisant l’arête du mur. Il bondit face à lui, se réfugia dans les toilettes, haletant. La lumière tamisée du salon éclairait faiblement le couloir : l’ennemi était dans l’entrée. Mc Cash n’avait plus qu’une idée : le réduire à néant.

Un nouvel impact fit voler le plâtre à quelques centimètres de son bandeau.