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Le chauffeur de taxi était hilare, on se demande pourquoi.

Des remparts vieux de neuf siècles cernaient le jardin luxuriant de l’hôtel. Le taxi le déposa devant l’entrée. Palmiers oisifs, oiseaux piaffants et chasseurs plumés le saluèrent avec déférence tandis qu’il grimpait les marches, étriqué dans son costume de Berlusconi agricole. Le type de la réception lui donna la clé de la chambre réservée un peu plus tôt — une carte magnétique dont le système datait des années quatre-vingt.

Incognito derrière ses lunettes noires, le borgne croisa quelques célébrités qu’il ne connaissait pas, de riches étrangers satisfaits de leur sort, des femmes seules fardées comme de vieux polichinelles, des émirs en djellaba Gucci mais pas l’ombre d’Alain Blanckaert, as du BTP.

Il regagna sa chambre et téléphona à son contact.

— Tu connais un certain Mohamed Ben Keddir ?

— Oh oh ! gloussa le Tunisien. Tu l’as rencontré ?

— Juste son service d’ordre. Plutôt nerveux, les types. Qu’est-ce qu’il a de si particulier, Ben Keddir ?

— Oh, c’est une huile locale, expliqua Hamed. Quelqu’un qui aide à faire fonctionner les choses.

— Il travaille pour le gouvernement ?

— Hum, pas vraiment…

— Ça veut dire quoi « pas vraiment » en marocain ?

— Ça veut dire qu’il est protégé.

— Par qui ?

— Ah, ça on ne sait pas ! rigola le Tunisien.

— Bon, s’impatienta Mc Cash, ça consiste en quoi ses activités ?

— Les autorisations.

— Qu’est-ce que c’est encore que cette connerie ?

— C’est pas de la connerie, c’est de la corruption. Tu sais qu’ici, ça fonctionne plutôt bien…

— Ailleurs aussi. Ben Keddir, c’est donc un type qui facilite l’obtention de contrats, ce genre de choses ?

— Oui, répondit Hamed : c’est l’huile dans les rouages.

— Dans ce cas, pourquoi sa maison est gardée comme une banque ?

— C’est qu’il a des ennemis, dit Hamed. Depuis la mort d’Hassan, les choses ont changé. Le nouveau roi doit faire avec les désirs d’ouverture de la jeunesse marocaine mais aussi avec les islamistes radicaux. Ben Keddir a la réputation d’aider les pauvres et les imams le voient d’un bon œil : c’est un bon croyant et il distribue les enveloppes dans les bonnes poches.

— Comme les mafieux, commenta Mc Cash. En résumé, Ben Keddir est protégé car il fait le tampon entre le business et les mosquées ?

— On peut dire ça comme ça.

Une sorte d’intermédiaire… C’était bien le seul lien avec Le Guillou.

*

Mc Cash attendit dans le grand hall de la réception. Il venait d’acheter un petit miroir dans le souk pour vérifier si son œil de verre ne louchait pas stupidement vers son nez — ou, tout aussi cruellement risible, vers ses oreilles…

Alain Blanckaert réapparut dans l’après-midi, escorté par Levasseur et les deux colosses en Hugo Boss. Rentraient-ils seulement de chez Ben Keddir ? Levasseur portait toujours sa mallette.

Ils prirent leurs clés à la réception puis le chemin des ascenseurs. Suite 427. L’homme d’affaires pérorait, familier, donnait quartier libre et rendez-vous au bar de l’hôtel à sept heures. L’un des gardes du corps passa le premier dans l’élévateur, l’autre balayait le hall comme une tourelle de tank. Le borgne ne savait pas si Blanckaert connaissait son signalement, si son bandeau servait de leurre : ils ne l’avaient visiblement pas repéré.

Ils ne sortiraient pas de leur chambre avant sept heures. Mc Cash prit une douche, téléphona à Hamed pour l’organisation de la soirée, puis à Saholy.

La métisse répondit à la quatrième sonnerie.

— C’est pas la peine d’appeler tous les quarts d’heure, fit-elle depuis son bout de montagne : je te dis qu’ici, il n’y a que des marmottes et du fromage qui pue. En revanche, si ton portable est sous surveillance satellite, il est possible qu’on finisse par nous localiser.

— Ouais. Et la petite ?

— On a skié cet après-midi. Elle se débrouille bien pour une débutante, fit-elle comme si tout cela était parfaitement naturel. Et toi ?

— Je suis avec Blanckaert à la Mamounia, répondit Mc Cash.

— On s’emmerde pas.

— Non, mais ça manque de filles.

— Tu dis ça pour moi, ou tu comptes aller aux putes ?

Il ricana.

La nuit tombait sur le jardin merveilleux.

Voilà qu’elles lui manquaient.

Décidément, ça n’allait pas mieux…

*

Sept heures du soir. Les deux colosses surveillaient le couloir d’un air dégoûté quand Blanckaert ressortit de la suite 427. Rafraîchi, changé des pieds à la tête, il rejoignit Philippe Levasseur au grand bar de l’hôtel et, toujours sous protection rapprochée, disparut dans l’une des berlines qui faisaient la navette à l’entrée du palace impérial. Le petit copain de Blanckaert était sorti les mains vides.

Mc Cash attendit que le couloir de l’aile gauche du quatrième étage soit désert pour démagnétiser la porte de la chambre, au système obsolète. Les rideaux étaient tirés mais il n’alluma pas la lumière. La mallette de cuir était posée sur le guéridon : il l’ouvrit sans avoir à la forcer et, à la lueur de la lampe-torche, tomba sur des papiers, des plans d’architecte qu’il déploya sur la table.

— Qu’est-ce que c’est que cette connerie ? marmonna-t-il entre ses dents.

Il y avait plusieurs plans en coupe, des perspectives qui désignaient le même site : à première vue, une gigantesque résidence intégrée à la médina de Marrakech, des lots de riads de luxe d’un style marocain particulièrement folklorique. Avec la flambée de l’immobilier qui ici aussi sévissait, le projet devait se chiffrer à des dizaines de millions d’euros.

Cela expliquait peut-être le rendez-vous de ce matin chez Mohamed Ben Keddir mais pas les meurtres perpétrés dans le canton de Montfort-sur-Meu.

Blanckaert ne figurait sur aucun document. Il y avait seulement le nom de l’architecte, dans un coin du calque : cabinet Levasseur, domicilié à Pacé, près de Rennes.

Mc Cash referma discrètement la porte de la chambre derrière lui et téléphona à Hamed.

Le Tunisien était dans les toilettes d’un des meilleurs restaurant de la ville. Il avait réussi à avoir une table près de celle de Blanckaert et remerciait Mc Cash pour le repas : il avait invité son cousin, celui qui lui avait fourni la 205, pour ne pas éveiller les soupçons. D’après les bribes de conversations qui lui parvenaient, Blanckaert et Levasseur étaient proches, ils se tutoyaient, il leur arrivait même de rire. Ils parlaient souvent à voix basse, c’était difficile d’entendre, mais ils avaient parlé d’un rendez-vous qui aurait lieu le lendemain matin, à huit heures.

— Ils n’ont pas dit avec qui, chuchota le Tunisien depuis son portable, ni où.

Aucune importance…

The sound of the sinners

Blanckaert et son équipe traversèrent la place Jemaa-el-Fna en direction du souk, encore désert avant l’arrivée des cars de touristes. Marchant à l’ombre des lattis en bois, ils s’enfoncèrent dans les ruelles entrelacées où s’exposait l’essentiel de l’artisanat du Sud marocain. Les premières boutiques ouvraient ; hormis quelques saloperies singeant l’Occident, tout était d’une singulière beauté.