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— Accouche.

— Quelqu’un m’a appelé. Un inconnu… Il y a cinq ou six jours… Une première fois pour me prévenir que j’étais la victime d’un complot, mais sans me dire qui m’en voulait, ni pourquoi : et puis j’ai reçu une photo… Il voulait me faire chanter.

— Qu’est-ce que tu me racontes comme salade ? Quelle photo ?

Ben Keddir s’était relevé, la joue déchirée. Lui non plus semblait n’y rien comprendre : tous regardaient Blanckaert.

— Une photo… d’ordre privé, dit-il.

— Quelle photo !

Levasseur n’avait jamais autant aimé ses genoux. Il urina un peu dans son slip. Blanckaert sortit alors une enveloppe, qu’il gardait dans la poche de son pardessus.

Ses mains poisseuses tremblaient en lui tendant.

— J’ai reçu ça il y a deux jours, dit-il. Une copie laser… Au téléphone, il m’a bien fait comprendre qu’il y avait d’autres photos, des films aussi, enfin, que j’étais sous surveillance. Il m’a demandé de l’argent en échange des originaux et des explications sur la façon dont il s’était procuré ces documents.

Mc Cash déchira l’enveloppe et, sans cesser de les menacer de son arme, jeta un œil au cliché. Le grain était de bonne qualité : on y voyait Blanckaert les yeux mi-clos, se faisant pomper par une fille, pendant que la main d’une autre le sodomisait : Myriam, la femme de Ledu, et sa sœur Barbara, la jolie garçonne croisée dans Montfort… Dommage.

— Ça veut dire quoi ? Des orgies clandestines ?

— Rien que des échanges entre adultes consentants, rétorqua Blanckaert.

— Ah ouais ? dit-il d’un air mauvais. Ça se passait où ? Chez votre copain Levasseur ?

— Philippe est mon cousin.

— Baiser en famille, pourquoi pas, ironisa Mc Cash.

— Qu’est-ce que vous racontez ? ! gronda Ben Keddir.

— Continue.

— Philippe a une résidence secondaire à la campagne, poursuivit Blanckaert, où il organise des soirées érotiques… Des soirées d’adultes.

Le Marocain leur adressa un regard noir.

— Écoutez, tout cela est du domaine de la vie privée, reprit Blanckaert pour se justifier. Je ne fais de mal à personne, ni moi ni Philippe ; et puis, l’échangisme n’est pas interdit par la loi, que je sache…

Levasseur acquiesçait mais Mc Cash n’écoutait pas.

— Le maître chanteur, dit-il, il demandait combien pour ces photos ?

— Cent mille euros.

Le Guillou avait des dollars.

— Tu as porté plainte ?

— Non.

— Pourquoi ?

— J’ai eu peur.

— De quoi ? Si tu assumes si bien que ça ta sexualité, pourquoi n’as-tu pas dénoncé le type qui te faisait chanter ?

— Parce qu’il devait aussi m’avertir d’un danger qui pesait sur moi, répondit Blanckaert. Cette histoire de complot. Il fallait que je sache. Les photos prouvaient que j’étais espionné… Cette soirée date d’une dizaine de jours…

— Quel jour exactement ?

Blanckaert se tourna vers son cousin :

— Le… le 18.

Au petit matin, Mc Cash trouvait le petit corps dans la vase…

— Et alors ? siffla-t-il.

— Alors l’homme en question devait me rappeler pour les modalités de l’échange, mais il ne l’a jamais fait…

— Parce qu’on l’a tué, poursuivit Mc Cash.

— Vous le connaissez ?

Le boss n’avait pas l’air au courant. L’architecte non plus. Ben Keddir ruminait sa vengeance, la main sur la joue.

— Le Guillou, dit le borgne. Le directeur du foyer de l’enfance.

Si Blanckaert resta de marbre, Levasseur sortit de sa torpeur :

— Le Guillou, le maître chanteur ?

L’ex-flic secoua la tête — ce n’est pas le portable du tueur qu’il avait trouvé sur le trench-coat, mais celui de Le Guillou, qu’il venait de subtiliser… Quel con.

— Ça n’explique pas ce que vient faire la petite noyée dans cette histoire, fit-il. Qui me dit que les photos détenues par Le Guillou ne sont pas justement celles où figure la gamine ?

Il y eut un silence minéral sur le terrain en démolition. Mc Cash avait l’œil rouge de colère. Les autres n’y comprenaient rien.

— Non… Non : les enfants, c’est absurde. C’est… C’est faux !

Blanckaert était blanc à fendre l’hiver. Mc Cash rumina, le doigt crispé sur la détente.

— Putain… si tu mens, je te jure que tu vas passer un sale quart d’heure…

Un flottement dans la voix laissait croire qu’il avait envie de pulvériser quelqu’un. Blanckaert posa ses deux mains contre sa poitrine :

— Je vous jure, c’est la vérité.

Foi de chacal. Du canon, Mc Cash désigna la mallette tombée à ses pieds.

— Et là-dedans ?

Blanckaert eut un regard traître vers Ben Keddir.

— Des plans.

— Ouvre ça, ordonna l’Irlandais. Doucement…

Il ouvrit la mallette de façon à en présenter le contenu, sous la moue désapprobatrice du Marocain. Il y avait la paperasse entrevue la veille et une liasse de billets de banque. Des dollars.

— Il y en a pour combien ?

— Cinquante mille, répondit Blanckaert.

— Encore le coup d’un maître chanteur ? railla Mc Cash.

Mais personne n’avait envie de rire. Aucun appel d’offres n’avait été lancé, ni en France ni au Maroc, et le quartier des artisans de la Médina n’était, a priori, pas à vendre.

— Ça représente quoi au juste, ces dollars ? Un dessous-de-table qui aurait à voir avec la construction de riads ?

— Vous feriez mieux de déguerpir, siffla Ben Keddir.

— Vous travaillez pour qui ? s’enhardit le boss.

— Réponds.

— Écoutez, tempéra Blanckaert : je sais que tout ceci est un peu opaque mais ne soyez pas naïf. Si vous êtes là à me menacer avec votre arme, c’est que vous n’êtes pas non plus un enfant de chœur : les commissions font partie des transactions, officieusement. Après, c’est une question de dosage…

Les autres approuvaient en silence.

— Vous allez exproprier combien de personnes pour bâtir votre riad-land à la con ?

— Ne vous en faites pas pour eux, ils seront dédommagés.

— À coups de pied au cul.

Blanckaert s’aida du bras :

— Vous avez vu dans quelles conditions déplorables ces pauvres gens vivent ; l’argent que nous leur donnerons leur permettra de s’installer ailleurs. Et puis, nous allons sous-traiter avec des entreprises marocaines… Croyez-moi, le réaménagement de la médina est structurellement bénéfique pour Marrakech et, à moyen terme, attirera nombre d’investisseurs…

Étrangers. Et une fois délogés de leur ville et avec des loyers hors de prix, les gens du coin pourront aller croupir dans une de ces cités radieuses qu’ils ne manqueront pas de leur construire en périphérie.

— Je ne sais pas pour qui vous travaillez, reprit le bétonneur, mais vous prenez des risques inconsidérés pour une cause qui n’en vaut pas la peine : notre ami ici présent travaille pour des Marocains très bien placés, pour qui, je me permets d’insister, cette commission est tout à fait, disons, usuelle…

Voilà qui expliquait pourquoi il n’y avait aucune trace de projet immobilier dans la médina : quelques pots-de-vin aux décideurs locaux pour emporter le marché et une fois mise devant le fait accompli, la population n’aurait d’autre choix que l’expropriation, pendant qu’ils iraient spéculer ailleurs.

— Vous feriez mieux d’écouter ce qu’il vous dit, insista Ben Keddir.

Mc Cash soupira. Blanckaert crut qu’il se relâchait.