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— C’est là, fit Odo en s’arrêtant. Tiens-toi bien.

Elle n’avait pas besoin d’en dire davantage. Elle tourna les talons et s’en alla. Maïa entra dans le conservatoire. La brune intimidante qu’elle avait rencontrée à l’Opéra posait des papiers sur une table fabuleuse, faite de panneaux de verre presque sans défaut. Une jeune clone d’Odo était plantée dans un coin. Brill indiqua une chaise à Maïa.

— Merci de me recevoir. Pouvons-nous commencer ?

— Commencer quoi ? demanda Maïa en s’asseyant.

— L’examen, voyons. Vous allez d’abord nous indiquer vos préférences, sur ce questionnaire. Dans chacun des groupes de cinq activités qui vous sont proposées…

— Euh, pardon, mais… de quel genre d’examen s’agit-il ?

Brill lui lança un regard énigmatique. Maïa eut l’impression surnaturelle que la femme voyait parfaitement clair en elle et n’avait nul besoin de l’examiner.

— Un test d’aptitude professionnelle. D’après votre dossier scolaire, vous avez fait les études préparatoires adéquates. Il y a un problème ?

Est-ce de la frime ? se demanda Maïa. Se pourrait-il qu’elle soit envoyée par Iolanthe Nitocrisse et ses alliées ?

Odo s’était sûrement assurée de l’authenticité de la démarche de Brill. La petite administration de Stratos était à peu près indépendante de toute attache politique, et ses examinatrices libres de leurs mouvements. Si c’était de la frime, Brill s’en tirait parfaitement. Maïa décida de jouer le jeu.

— Non, non, il n’y a pas de problème. Vous allez mesurer les bosses de mon crâne et ce genre de choses ?

— La phrénologie a ses adeptes, fit l’Upsala en souriant. Mais je vous propose plutôt de commencer par ce formulaire.

Suivit un feu roulant de questions sur ses goûts, ses connaissances en grammaire, en sciences, en météorologie, en…

Au bout de deux heures, Maïa eut droit à une courte pause. Après un petit casse-croûte, elle fit quelques pas dans le jardin. La clone upsala mit ce temps à profit pour dépouiller le résultat de ses tests. Si elle était porteuse d’un message de Naroïne ou de Clevin, elle le cachait bien.

— J’ai vu deux de vos sœurs, à l’Opéra, risqua Maïa. Celle qui jouait Faust…

— Ah oui. Cousine Gloria. Et Surah, à la baguette. De drôles de m’as-tu-vu, ces deux-là !

— Je les ai trouvées très bonnes, continua Maïa, surprise.

— Bonnes, mais à quoi ont-elles choisi de l’être ! lança sèchement Brill. L’art, c’est bien joli comme passe-temps. Je joue moi-même de six instruments. Mais cela ne pose pas un grand défi à un esprit évolué.

Maïa la dévisagea, stupéfaite de l’entendre dénigrer sa famille. Et plus encore de ce que sous-entendaient ces paroles.

— Vous avez dit choisir ? Votre clan ne serait donc pas…

— Spécialisé ? fit Brill avec dédain. Non, nous ne nous spécialisons pas. Bien, si nous nous remettions au travail ?

Maïa retint les questions qui se pressaient sur ses lèvres. Brill lui présenta une boîte en bois munie de deux poignées et lui demanda de regarder dans un tube gainé de cuir. Elle vit une ligne horizontale, mouvante, et songea à un instrument de l’aéronef qui l’avait amenée d’Ursulaborg.

— C’est un horizon artificiel, commença Brill. Vous devrez corriger les variations du système à l’aide des deux manettes.

Une heure plus tard, Maïa était en sueur et elle avait la nuque toute raide. Quand Brill annonça une pause, elle poussa un soupir de soulagement et de surprise mêlés.

— Ooh ! Ça, c’était… plutôt marrant.

— N’est-ce pas ? fit l’Upsala avec un bref sourire.

Après toute une batterie de tests psychomoteurs, elle ordonna une nouvelle pause pour dîner. À l’irritation manifeste d’Odo, Brill affecta de se considérer comme invitée. Du coup, la matriarche se crut obligée d’assister au repas.

Elle aurait pu s’en dispenser. La conversation n’eut rien de palpitant. Brill passa le plus clair de son temps à remuer des papiers et se fit un devoir de remercier les domestiques chaque fois qu’elles apportaient un plat. Cette attitude exaspérait la Mère, à la grande joie de Maïa. La matriarche voyait manifestement dans la visite de l’examinatrice un coup de ses adversaires, et s’interrogeait sur ses intentions. N’était-ce qu’une manœuvre pour lui faire perdre son temps ? En ce cas, Maïa se réjouissait d’y contribuer. Cet examen constituait une agréable distraction. Elle regrettait seulement que Brill restât sourde aux appels du pied qu’elle lui faisait pour transmettre un message au dehors, à Naroïne ou à son père.

— Les Upsalas forment un drôle de clan, déclara Odo en vidant son troisième verre de vin. Les connaissez-vous, enfant d’été ? Eh bien, je vais vous en parler, continua-t-elle comme Maïa faisait non de la tête. C’est une ruche qui connaît une certaine réussite, selon les normes généralement admises. Elle compte une centaine d’adultes.

— Quatre-vingt-huit, rectifia posément Brill.

— Elles sont à la tête d’une jolie fortune. Il y a deux Upsalas au Conseil régnant. Quarante-neuf occupent des chaires de Savantes dans diverses institutions, dont dix-neuf à l’Université de Caria. Et le plus bizarre, ajouta-t-elle alors qu’une domestique remplissait son verre, c’est qu’elles n’ont pas de citadelle ! Ni demeure, ni terres, ni domestiques. Rien ! Elles vivent chacune de leur côté, dans des maisons ou des appartements qu’elles achètent en tant qu’individus, et pour l’amorce, elles se dégotent des partenaires toutes seules. Et vous savez pourquoi ? Elles ne peuvent pas se supporter ! gloussa la matriarche.

— Pour réussir, il faut du talent, une bonne éducation et se trouver une niche, répondit calmement l’examinatrice. Le grégarisme n’est qu’une condition coutumière. Le sacrifice de soi, la solidarité entre sœurs pour le bien de la ruche… Les humains ne sont pas des abeilles ! Tout le monde n’est pas prédisposé à s’entendre avec des copies conformes de soi-même.

La combinaison de l’alcool et de l’exaspération firent sortir la matriarche de sa réserve coutumière.

— Ça, c’est bien vrai ! lança-t-elle avec un rire de hyène. On en a vu combien, de brillantes jeunes vars dont les filles chamailleuses fichaient tous les projets en l’air ? Il faut être en paix avec soi-même pour faire bon usage du Don des Fondatrices.

Maïa songea à la solidarité qui les unissait, Leie et elle. L’affection se serait-elle détériorée avec la prospérité, au lieu de s’épanouir et de donner lieu à une équipe parfaite ? Ce devait être un impératif de l’évolution. Au fil du temps, la sélection devait favoriser le caractère permettant de s’entendre avec les autres versions de soi-même. Dans cette hypothèse, le plan des jumelles était condamné d’avance, mais elle n’était pas prête à y renoncer comme ça.

— Il y a des exceptions, dit-elle, pleine d’espoir. La réussite de votre clan en est la preuve.

— Les Upsalas ont appris à préserver les fonctions indispensables à une ruche, sans ses pièges et ses contraintes, soupira Brill comme si le sujet l’ennuyait.

— Ça veut dire qu’elles tiennent de grandes réunions bisannuelles auxquelles la moitié d’entre elles se font représenter par leurs avocates ! s’esclaffa Odo. Elles n’aiment même pas leurs propres clones. C’est pour ça que leur nombre augmente si lentement…

— C’est inexact, reprit Brill d’un ton cassant, manifestant pour la première fois une quelconque émotion. Je m’entends très bien avec mes autres enfants.