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Apparemment pas. Il mit un long moment à comprendre que ce n’était pas un des satellites de navigation servant aux capitaines à se repérer en mer mais un vaisseau spatial.

— Boîte de gelée ! avait-il crié. Valise boîte de gelée !

— Tu veux dire balise ? Comme un phare ? avait-elle suggéré en lui montrant la flèche qui marquait l’entrée du port, mais le vieillard avait secoué la tête d’un air éperdu.

— Modeleur !… Modeleur boîte de gelée !

Avaient suivi des phrases incohérentes, en dialecte masculin, puis l’idiot s’était frappé le crâne à coups redoublés, tandis que des larmes ruisselaient sur ses joues défaites.

— Me rappelle pas ! Modeleur… parti… peux pas…

Affolée, Maïa l’avait regardé se débattre avec ses souvenirs morcelés et marmonner des paroles où il était question de « garder » quelque chose et de dragons dans le ciel. Elle avait songé au seul « dragon » qu’elle connût, une sculpture allégorique, inquiétante, qui surplombait l’autel du Temple de la ville et censée représenter l’esprit maternel de la planète.

— Tu m’entends ? demanda doucement Maïa en scrutant les yeux hantés du vieillard. Tu es là ?

Elle se pencha pour déposer un baiser sur sa joue piquante en se demandant si l’affection confuse qu’il lui inspirait était tout ce qu’elle pouvait attendre d’un homme. Pour la plupart des femmes d’été, la chasteté perpétuelle n’était qu’un symbole parmi d’autres d’une lutte que peu remportaient.

Maïa s’apprêtait à s’éloigner quand une cloche retentit. Des enfants envahirent la cour en criant. Toutes, des plus petites aux grandes de trois et quatre ans, portaient le tartan de Lamatie et leurs cheveux étaient tressés à la mode du clan, mais ces tentatives d’élégante uniformité étaient vouées à l’échec : chaque estivienne était une manifestation criante d’individualité, d’une douloureuse unicité.

Les garçons, qui formaient le quart de la population enfantine, couraient comme leurs sœurs, mais avec un air crâne qui disait : « Moi, je sais où je vais. » Les fils de Lamatie devenaient souvent officiers et même capitaines.

Et ils finissaient idiots. Le vieux Bennett balayait toujours, le regard vide, indifférent au vacarme. Les femmes et les hommes avaient au moins une chose en commun : le vieillissement. Dans sa grande sagesse, Lysos avait décrété que toute existence devait comporter une fin.

Des enfants regardèrent Maïa en ouvrant des yeux ronds. Avec ses vêtements de cuir, ses cheveux courts, mince comme elle était, ils la prenaient peut-être pour un homme !

Jemanine, Loïz et le gentil petit Albert, qui avait été son élève et connaissait mieux, maintenant, les constellations que les ruelles tortueuses de Port Sanger, lui sautèrent au cou. Leurs baisers avaient plus de valeur à ses yeux que toutes les bénédictions des mères. Pourtant, la prochaine fois qu’elle les rencontrerait dans le vaste monde, ce serait en rivaux.

La cloche retentit à nouveau. Un grand lugar à la fourrure blanche et au mufle pendant déboula dans la cour en agitant une cloche, mais les enfants ne lui prêtèrent aucune attention et continuèrent à bombarder Maïa de questions sur ses cheveux, sur le voyage qu’elle projetait de faire et sur la raison pour laquelle elle avait décidé de snober la cérémonie d’adieu. Maïa se sentit comme émoustillée à jouer ce que les mères appelaient les « mauvais exemples ».

C’est alors qu’apparut une silhouette plus petite mais plus redoutable que celle du lugar : celle de la Savante Claire. Elle flétrit du regard ces petits-morveux-de-vars-qui-devraient-être-en-classe – lesquels détalèrent, certains téméraires se risquant tout de même à faire au revoir de la main à Maïa – et braqua sur elle ses prunelles dédaigneuses.

Au lieu de conclure comme prévu son examen par une expression scandalisée à la vue de ses cheveux coupés, les lèvres ordinairement pincées de la directrice se fendirent d’un sourire inattendu.

— Bien, fit mère Claire en opinant du chef. Tu profites de la première occasion pour revendiquer ton héritage. Parfait.

— Je… je ne comprends pas, bredouilla Maïa, confondue.

— Les mioches des chaleurs comme toi nous empoisonnent, reprit Claire avec ce mépris dans lequel étaient toujours englobés les choses et les individus non lamaïs. Je regrette parfois que les Fondatrices de Stratos n’aient pas été plus radicales et n’aient pas choisi de se passer de votre espèce.

Maïa étouffa un hoquet de surprise. C’était une remarque hérétique, presque perkiniste. Si Maïa avait eu le malheur de faire un commentaire si peu irrespectueux que ce soit sur les premières mères, elle aurait reçu le martinet.

— Mais Lysos était sage, soupira Claire. Les estiviennes de ton espèce sont nos graines sauvages. Notre héritage emporté par le vent. Si tu veux ma bénédiction, prends-la, petite var. Enracine-toi et fleuris, si tu le puis.

— Vous nous jetez dehors, sans rien nous donner…, commença Maïa, les narines frémissantes.

— Nous vous donnons beaucoup, au contraire. Une éducation pratique et aucune illusion sur un monde qui ne vous doit rien ! Tu aurais préféré être élevée dans du coton, orientée vers un travail qui ne mène à rien, ou préparée pour un examen de fonctionnaire et te retrouver à Caria, à jouer les gratte-papier jusqu’à la fin de tes jours ? Tu te vois économiser sur ton maigre salaire pour t’acheter un appartement et fonder un microclan d’un seul membre ? Tu es quand même à moitié lamaï ! Trouve-toi une niche et accroche-toi. Si tu réussis, écris-nous. Peut-être le clan y prendra-t-il une participation.

Maïa trouva la force d’exprimer ce qui lui brûlait les lèvres depuis des années.

— Espèces de profiteuses hypocri…

— C’est ça ! coupa mère Claire, toujours souriante. Écoute ta sœur Leie. Elle sait, elle, que la vie est une jungle. Allez, maintenant. Va affronter le vaste monde.

Sur ces mots, l’exaspérante femme tourna les talons, passa devant le vieil idiot au regard vide et regagna la salle de classe d’où montaient des bribes de récitations.

Maïa eut soudain l’impression que la cour qui était jusque-là tout son environnement se refermait sur elle. Les statues de pierre des Lamaïs d’autrefois semblaient plus froides et plus inflexibles que jamais. « Merci, maman Claire, se dit-elle, en repensant à ses paroles d’adieu. C’est ce que je vais faire, comptez sur moi. Et si nous fondons un jour notre clan, Leie et moi, notre première règle sera : pas de statues ! »

Maïa retrouva Leie en train de manger une pomme volée, adossée à la Porte des Marchands, le regard tourné vers les remparts de la citadelle. Au loin, une nuée de zoors-flotteurs iridescents planait au-dessus du port, guettant les déchets des flottes de pêche. Ces créatures donnaient à la matinée des couleurs rares et gaies, comme les ballons-cerfs-volants que les enfants faisaient voler lors de la fête de mi-hiver.

— Par Lysos ! fit Maïa en voyant la coupe hirsute et la tenue de sa jumelle. J’espère que je ne ressemble pas à ça !

— Ton vœu est exaucé, rétorqua Leie avec un haussement d’épaules amusé. Tu es beaucoup moins bien. Attrape !

Maïa saisit une deuxième pomme au vol. Leie en avait évidemment fauché une pour elle. Sa sœur pensait toujours à elle. Leur plan ne marcherait que si elles étaient deux.

— Regarde.

Du menton, Leie lui indiquait les cinq-étés groupées devant la chapelle du clan, avec leurs robes d’emprunt et leurs tresses impeccables, qui attendaient le coup de ciseaux de l’archiviste du clan. Leie paria cyniquement que les mères, toujours pragmatiques, fourguaient ces cheveux lustrés à des colonies cavernicoles contre quelques pintes de zec-miel. Elles se ressemblaient car elles étaient de la même mère que Maïa et Leie. Mais leurs demi-sœurs n’avaient pas de jumelles ; elles étaient vraiment uniques. « Elles doivent être encore moins rassurées que moi », songea Maïa, compatissante.