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« Saignerie ! Je ne connais personne dans le coin, Leie a disparu et maintenant je suis dedans jusqu’au cou ! »

Reste à savoir pourquoi la reproduction sexuée s’est imposée aux formes de vie supérieures. C’est un mystère. Selon la théorie de l’optimisation, il devrait en être autrement.

Prenez un poisson ou un lézard femelle, idéalement adaptée à son environnement, dotée de tout ce qu’il faut pour rester saine, sauve et féconde : elle ne peut transmettre l’ensemble de ses caractéristiques dans leur perfection. Ses descendants seront un méli-mélo résultant de la moitié de son capital génétique et d’une autre moitié de gènes venant d’on ne sait où.

La reproduction sexuée interdit la perfection. La parthénogenèse semble mieux fonctionner, au moins en théorie. Dans un environnement statique, on sait que les lézards femelles qui produisent des répliques d’elles-mêmes sont avantagées par rapport à celles qui ont recours à la sexualité.

Pourtant, peu d’animaux complexes utilisent l’auto clonage. Il y en a dans des déserts anciens, stables, toujours près d’espèces voisines à reproduction sexuée. La sexualité s’est développée parce que l’environnement est rarement statique. Le climat, la concurrence, les parasites sont facteurs de changement. Pouvoir s’adapter, c’est avoir une chance de se défendre dans des conditions extrêmes. La descendance aura peut-être les atouts nécessaires pour relever les défis de la vie.

Chaque système a ses avantages. Le clonage offre la stabilité et la préservation de la perfection. La sexualité donne l’adaptabilité dans les périodes de changement. Dans la nature, c’est généralement l’un ou l’autre. Seules des créatures inférieures comme les pucerons passent de l’un à l’autre.

Mais à présent que les instruments de la création sont entre nos mains, refuserons-nous ce choix à nos filles ? Le choix entre le meilleur des deux mondes ?

Donnons-leur les moyens de choisir leur voie entre la prévisibilité et l’adaptabilité. Qu’elles soient prêtes à affronter l’uniformité aussi bien que la surprise.

Chapitre VIII

Calma avait raison. On pouvait s’orienter vers la citadelle Lemère rien qu’à l’odeur. Un coup de chance.

Maïa savait où était le nord grâce aux étoiles que les nuages masquaient peu à peu, mais sans carte, et comme elle ne connaissait pas le coin, ça lui faisait une belle jambe. Elle suivit une piste défoncée menant à une bifurcation. Une odeur piquante, métallique, effleura ses narines. Elle s’engagea, le cœur battant, sur une pente abrupte où les eaux de ruissellement avaient creusé un labyrinthe de ravins.

Elle descendit à tâtons dans le canyon en se cramponnant d’abord à la terre meuble puis à une argile dure, formant des crêtes qui donnaient l’impression inquiétante que la peau de Stratos avait été déchirée par de gigantesques griffes.

Les strates alternées d’argile et de calcaire brillaient ou absorbaient la maigre lueur d’iris, la plus petite des lunes. Au gré, se dit Maïa, des microscopiques créatures marines qui étaient tombées au fond de l’océan durant les ères sédimentaires. Puis les bandes sinueuses des parois du canyon laissèrent place à une roche sombre, tordue et convulsée par des mouvements continentaux qui s’étaient produits bien avant l’apparition des proto-humains sur la lointaine Terre. Elle songea aux Aiguilles de Pierre, vestiges de montagnes altières qui se dressaient là autrefois et que les orages, les fleuves et le temps avaient complètement érodées.

Le temps : voilà une chose qui manquait à Maïa. Après avoir surpris cette sinistre conversation dans la cour, elle avait décidé de ne pas rester pour savoir si Tizbé projetait d’attendre le matin ou si elle comptait venir la chercher pendant la nuit, accompagnée d’une douzaine de Joplandes musclées…

Elle avait quitté la citadelle de Joplande en prenant bien garde à ne pas réveiller les chiens. Elle avait marché sur un bon kilomètre dans l’eau glacée du ruisseau qui longeait le verger puis, quand la demeure avait été hors de vue, elle avait massé ses pieds gelés, remis ses chaussures, pris à travers champs en grelottant, et enfin retrouvé la piste.

Jusque-là, tout s’était relativement bien passé, mais elle n’arrivait pas à se concentrer sur sa situation. Après ces semaines de dépression et de léthargie, ces soudaines décharges d’adrénaline l’exaltaient et l’étourdissaient.

Elle avait l’impression d’être dans l’un de ces films que les Lamaïs permettaient à leurs estiviennes de regarder pendant la saison chaude, quand elles ne voulaient pas être dérangées. Ou aux livres défendus que Leie empruntait aux jeunes vars de clans plus permissifs. Dans ces histoires, l’héroïne, généralement une belle hivernienne de six ans issue d’un clan en pleine ascension, affrontait une maison décadente, qui ne reculait devant rien pour préserver sa fortune et sa puissance. Pour faire bien dans le décor, il y avait immanquablement un homme, ou un équipage de marins aux yeux clairs et bien élevés, que la méchante ruche menaçait de léser. Ça finissait toujours de la même façon : après avoir été sauvés par la courageuse et perspicace héroïne, les hommes promettaient de revenir voir le petit clan vertueux chaque hiver aussi longtemps que les mères et les sœurs de l’héroïne voudraient d’eux.

Sur le papier ou à l’écran, c’était très joli. Mais, dans la réalité, Maïa n’avait personne vers qui se tourner. Elle était une var de cinq ans, seule au monde. Tizbé et ses clientes joplandes pouvaient faire d’elle ce qu’elles voulaient.

« À condition de m’attraper », se dit Maïa, les poings serrés. Défier l’ennemi était un puissant antidote contre la peur.

« Holà ! »

Elle s’arrêta juste à temps. La piste qui tournicotait le long d’une corniche à mi-hauteur de la paroi du canyon s’arrêtait net après un virage. Un peu plus et elle tombait dans le vide. Elle aperçut un peu plus loin un pont suspendu délabré.

« J’ai dû me tromper. Calma n’aurait jamais pu passer par là avec son chariot ! »

Maïa examina la situation. Le pont enjambait un ravin semé de monticules de scories menant à une rangée de constructions en forme de ruches édifiées sur le versant opposé. Çà et là brasillaient des feux qu’on avait couverts pour la nuit.

« Des fours à minerai », comprit-elle, soulagée. Elle était donc bien à la citadelle Lemère. Calma avait dû prendre une route moins périlleuse, au fond du canyon.

Même de jour, s’engager sur ce pont vermoulu aurait été une épreuve terrifiante. « Je n’ai jamais été douée pour ce genre de trucs », se dit-elle en songeant aux camps qu’elles faisaient, Leie et elle, dans les environs de Port Sanger. Elles adoraient ces expéditions, malgré les piqûres d’insectes et le froid mordant. Mais traverser un gouffre sur des rondins branlants, c’était une autre paire de manches.

Elle se cramponna à la main courante tendue au-dessus du ravin à hauteur de la taille et posa prudemment, l’un après l’autre, les pieds sur les planches gémissantes. Elle ne savait ce qu’elle devait redouter le plus : entendre les cris de ses poursuivantes ou le bruit d’un câble qui se rompait. Le silence surnaturel ajoutait à cette torture interminable.

Arrivée sur le versant opposé – enfin –, elle se retourna et regarda derrière elle. La moindre lumière aurait été visible à des kilomètres, mais rien ne bougeait. « Tu t’en fais trop, va. Pour elles, tu n’es qu’une petite var stupide qui est allée fourrer son nez là où il ne fallait pas. Reste planquée un moment et elles t’oublieront. »