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Maïa avait nourri l’espoir que les commanditaires de Tizbé la laisseraient partir après l’avoir dûment sermonnée. Cette éventualité lui paraissait des plus improbables.

Ses geôlières revinrent avec le repas du soir alors que l’étroit trapèze de lumière projeté par la meurtrière arrivait à mi-hauteur du mur opposé. Elles apportaient les feuilles de takawq mais avaient oublié le reste. Elles écoutèrent ses récriminations sans mot dire et repartirent, l’abandonnant à sa solitude et à la nuit tombante.

L’inactivité forcée fit remonter à la surface toute la fatigue accumulée pendant les semaines qu’elle avait passées à trimer pour les Lemères, les séquelles de la drogue qu’on lui avait administrée et les contusions provoquées par les cahots du chariot. Elle avait mal partout. Elle s’étira et sombra dans une torpeur qui oscillait entre sommeil et angoisse.

Elle rêva que le robinet de sa chambre gouttait. Satanée Leie ! Son lit était plus près du robinet, elle ne pouvait pas se lever et le fermer, non ? Elle se réveilla en essayant de se fourrer la tête sous son oreiller pour étouffer le bruit.

— Leie… commença-t-elle en s’apprêtant à lui raconter son cauchemar, puis tout lui revint. Ô Lysos…

Si seulement elle pouvait replonger dans le rêve, aussi irritant qu’il ait pu être, se retrouver dans sa petite mansarde, sa sœur à côté d’elle dans son lit. Et si seulement tout ça pouvait être vrai.

Quand ses geôlières revinrent avec le petit déjeuner, elles lui apportèrent tout ce qu’elle avait demandé, plus une chemise et un pantalon de rechange en gros tissu râpeux mais propre. À leur air penaud, Maïa devina qu’elles auraient dû lui fournir ce nécessaire dès le début, mais que ça leur avait échappé. Peut-être même s’étaient-elles fait passer un savon. Ce n’étaient donc pas des matonnes professionnelles.

Se sentant plus en forme que la veille, Maïa explora sa prison. Elle n’y découvrit aucun passage secret, contrairement à la plupart des châteaux de contes de fées, mais ce n’était qu’une forteresse de construction récente, bien sûr…

De construction récente, car ses matériaux étaient anciens, eux. Vue de près, la pierre se révéla être un agglomérat complexe de cristaux de différentes textures. Elle songea aux cours de géologie de la Savante Claire et aux planches vieillottes, tout juste bonnes pour des estiviennes, qu’elle leur faisait passer. Elle identifia les mouchetures grises de la biotite, la hornblende sombre et vitreuse. Dommage que la roche fût métamorphique et non sédimentaire ; elle aurait pu explorer les murs à la recherche des formes de vie fossilisées qui avaient vécu sur Stratos avant que les colons terriens modifiés n’en modifient à leur tour l’écosystème.

Elle fit quelques mouvements de gymnastique, se lava, tenta de nouveau, sans succès, d’ouvrir certaines caisses, et décida de ne pas attendre que ses gardiennes prennent l’initiative.

— À partir de maintenant, leur dit-elle en déjeunant, toi, tu t’appelleras Ronchon, et toi Ronflon.

Elles échangèrent un regard décontenancé qui la ravit.

— Bon, je vous donnerai peut-être de meilleurs noms si vous êtes sages.

Elles remportèrent le plateau en maugréant. Au dîner, Maïa intervertit leurs noms, ajoutant à leur confusion. « Tant mieux », songea-t-elle. C’est bien leur tour de se sentir mal à l’aise.

« Crépuscule, deuxième jour », se dit-elle, en traçant, avec un clou, une seconde marque dans le bois de la porte. Le trapèze de lumière rosée monta sur le mur, s’assombrit et disparut. Les ombres s’épaissirent et devinrent plus mystérieuses. La veille, elle était trop abrutie pour y faire attention, mais avec la venue des ténèbres, tout ce qui l’entourait prenait un aspect effrayant, impitoyable et menaçant.

« Ne fais pas la bête », se gourmanda-t-elle. Le cœur battant, elle s’obligea à s’approcher de la forme la plus redoutable, celle de la pyramide qu’elle avait elle-même dressée sous la meurtrière. « Tu ne vas pas te laisser impressionner par ça », pensa-t-elle en effleurant le flanc rugueux d’une caisse.

Elle tripota nerveusement son seul bien, le petit sextant. Des étoiles scintillaient par l’ouverture dans le mur. Elle se sentit tentée. Mais grimper là-haut dans le noir… ?

Elle prit son courage à deux mains. « Ou tu pisses sur le monde, ou c’est lui qui te pissera dessus. » C’était ce qu’aurait dit Naroïne, la boscotte. Il fallait qu’elle le fasse.

Elle escalada prudemment le monticule artificiel, s’arrêtant parfois pour assurer sa prise lorsqu’un craquement ou une brusque oscillation lui faisait battre le cœur à tout rompre. La montée lui prit plusieurs fois le temps qu’elle aurait mis en plein jour, mais elle s’obstina et jeta enfin un coup d’œil par l’ouverture. Une brise glacée charriait des odeurs d’herbe folle et de pluie. Elle reconnut la constellation de Sapho qui scintillait entre les nuages ténébreux.

« Bon, maintenant on redescend », lui demandait tout son corps.

« Non. » Elle s’obligea à prendre le temps d’effectuer un relevé. L’horizon était indistinct et elle eut du mal à lire le cadran du sextant, mais elle se promit de faire mieux le lendemain soir. Elle redescendit avec soulagement – et avec le sentiment d’avoir remporté une victoire sur elle-même.

Elle se recouchait, épuisée mais un peu apaisée, lorsque le cliquetis recommença. Celui qu’elle avait associé, la veille, à un robinet qui gouttait. Ce n’était donc pas un fantasme mais une cause supplémentaire d’agacement.

D’un haussement d’épaules, elle écarta ce bruit lointain et les silhouettes menaçantes que son imagination forgeait à partir des ombres, se retourna et s’endormit.

— Il n’y a pas de livres, ici ? Vous n’avez rien à lire ? hurla-t-elle à ses geôlières, le lendemain matin.

Elles la regardèrent, les yeux papillotants, l’air de ne pas comprendre ce qu’elle racontait. « Bande d’analphabètes ! se dit-elle. Enfin, même si les architectes du sanctuaire avaient prévu une bibliothèque, ç’aurait été aux hommes d’apporter leurs livres et leurs cassettes…»

Elle fut donc surprise d’en voir une revenir, un peu plus tard, avec quatre livres aux pages cornées, et les lui tendre l’air de dire « ne sois pas méchante avec nous et tu ne seras pas maltraitée ». Maïa la remercia d’un hochement de tête.

Elle décida de se rationner à un livre par jour et commença par celui à la couverture la plus criarde. On y voyait une fille armée d’un arc et de flèches menant une bande de camarades et quelques hommes sous leur protection, entre des ruines envahies de lianes. « De la littérature pour vars », se dit-elle. La plupart de ses consœurs raffolaient des histoires racontant la victoire sur l’adversité d’une jeune femme intelligente et qui n’avait pas froid aux yeux.

Dans ce livre, la planète changeait d’orbite sans prévenir.

Les glaces des pôles fondaient, provoquant la chute de clans inamovibles et ouvrant la voie à d’autres, plus aventureux. Mais surtout, les problèmes comportementaux des hommes se trouvaient résolus comme d’un coup de baguette magique puisque, désormais, les aurores boréales apparaissaient en hiver !

De la sous-littérature, mais merveilleusement distrayante. Tout finissait par s’arranger pour la jeune héroïne et ses amies. Elles semblaient destinées à vivre éternellement heureuses, avec des tas de filles adorables, toutes semblables. « Thalla et Kiel adoreraient ça », pensa Maïa en refermant le roman. Il avait dû être abandonné là par une var de l’équipe de construction. Aucune clone n’apprécierait ce genre d’histoire.