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Elle appuya sur la touche, pour voir. La grille s’anima aussitôt. D’abord, la bordure en quinconce se rétracta vers le centre. Elle ne comptait plus que cinquante-neuf carrés sur cinquante-neuf. Autour apparaissait une bordure beaucoup plus complexe que la simple configuration en miroir précédente. La surface de jeu eut un nouveau frémissement ; l’aire comprise dans les nouvelles limites devint chaotique et un barbouillis de carrés noirs couvrit les neuf premières rangées.

« Lysos ! » Maïa était complètement dépassée. Le bouton EFFACE l’attirait… mais la curiosité fut la plus forte. Après tout, cela représentait un travail énorme de la part du précédent joueur. Et puis les dessins seraient peut-être jolis à voir.

Elle effleura la touche « arbitre ». Le chronomètre entama le compte à rebours. Huit, sept, six, cinq, quatre…

Les cases se mirent à danser. Les blanches qui avaient le nombre de voisines voulues laissaient place, au tour suivant, à une case noire, « vivante ». Les noires qui ne répondaient pas aux critères programmés devenaient blanches. À chaque pulsation du chronomètre, les dessins changeaient par vagues, se fragmentant au contact de la bordure tandis que d’autres, réfléchis, rejoignaient le maelström qui faisait rage au centre. Des formes fugaces traversaient la grille, engloutissaient des entités, se transformaient. D’un coin surgit un « canon à planeurs » qui lançait des projectiles dans tous les sens, occasionnant de spectaculaires collisions. C’était fascinant. Maïa se demanda si ce n’était pas un de ces programmes qui s’entretenaient tout seuls, tant que la machine restait allumée.

La cadence faiblit. Des entités qui se déplaçaient rapidement se fondirent avec d’autres, plus complexes mais stationnaires, qui subirent de nouvelles évolutions et convergèrent vers ce que Maïa supposa être une forme finale préprogrammée.

Elle n’en fut pas moins surprise de voir les dessins former des lettres distinctes. Puis des mots.

À L’AIDE ! SUIS EN PRISON 39° 16’ N, 67° 54’ E

Les lettres ondoyaient, comme si elles étaient vues à travers une eau trouble, les cases qui les formaient passant du noir au blanc et vice versa en réponse à la règle du jeu, indifférentes à ce qui se passait deux rangées ou deux colonnes plus loin. Elles n’avaient de sens que collectivement, et encore leur sens se dissolvait-il dans les Lois inflexibles qui broyaient l’éphémère appel, le renvoyant au chaos. Des taches blanches apparurent, dévorant les dessins noirs.

En quelques secondes, tout fut fini. Maïa regarda longtemps la grille blanche, vide, en essayant de se convaincre qu’elle avait bien vu le message… un message sensé – non, insensé.

La reproduction de nombreuses espèces est déclenchée par des signaux apparaissant à certaines époques de l’année. Les humains ont perdu ce lien ancien avec la nature, d’où notre soumission au sexe, notre obsession du sexe.

Le moment est venu de rationaliser un peu notre cycle vital. Stratos paraît idéale pour cela, avec ses saisons bien différenciées. Il n’est pas nécessaire de préprogrammer chez les futures habitantes le taux de natalité de clones ou d’enfants nés selon l’ancienne sexualité. Il émergera naturellement de deux périodes inégales de fécondation potentielle séparées par de longues périodes de calme relatif.

Nombreux sont les signaux environnementaux que nous pouvons utiliser pour déclencher le désir aux moments appropriés. Par exemple, les étonnantes aurores boréales de l’été, quand la planète se rapproche de la petite étoile de Waenglen. De même que la tumescence rose d’une femelle excite les chimpanzés, nous n’aurons aucun mal à programmer nos mâles à réagir à la vision du ciel bleuté, ou nos descendantes à se préparer au clonage amazonogénique dès l’apparition du givre particulier de l’hiver.

Nous ne pouvons prévoir toutes les conséquences, mais le doute ne doit pas nous arrêter. Nous ne faisons que remplacer par un autre, plus flexible et plus varié, un système arbitraire de stimuli et de réflexes basé sur la concupiscence.

Quels que soient les changements apportés, le drame de la naissance et de la mort restera une affaire de choix, une question spirituelle. Nous ne sommes pas des animaux ; nos descendantes demeureront des êtres pensants.

Leur mode de vie dépendra de leurs pensées, de leur sensibilité, de la puissance de leur volonté.

Chapitre XI

Vers minuit, les constellations hivernales s’élevèrent au-dessus des montagnes qui barraient l’horizon à l’est, éveillant des reflets sur les glaciers. C’était la fin de l’été sur Stratos. La planète amorçait la phase descendante de son orbite, celle de la saison la plus longue. Plus de deux années terrestres s’écouleraient avant la lente remontée vers le printemps. D’ici là, le Pélican d’Euphrosyne, Epona et le Dauphin dansant occuperaient le trône altier de la nuit.

Maïa pensait souvent à la vie sur Florentine ou sur la Vieille Terre. Ça devait être très étrange, et pas seulement à cause des schémas primitifs de procréation. Elle avait lu que, sur la plupart des mondes habitables, les saisons étaient provoquées par l’inclinaison axiale de la planète et non par sa position orbitale. Et l’hiver était une saison où il faisait mauvais.

Dans l’atmosphère dense de Stratos, les cahots de l’été étaient vite oubliés au profit de la paix hivernale. Les nuages de pluie arrivaient par larges vagues, déversaient leur humidité sur les continents et repartaient faire le plein sur les mers. Durant les longs intervalles de beau temps, le soleil nourricier éclipsait de son éclat l’étoile de Wengel. La naine blanche n’était plus alors qu’une petite étincelle dans le ciel diurne, trop faible pour exciter les marins en goguette. La nuit, nulle aurore boréale ne flamboyait, seules les constellations brillaient au-dessus du jet-stream.

Ce sera bientôt la fête de la Fin de l’Automne, songea Maïa en regardant Thalla monter lentement vers le zénith. Les maisons de Plaisir de Port Sanger fermeront jusqu’à la mi-hiver. Les hommes des sanctuaires entreront en ville. On leur donnera des douceurs, du cidre ; les enfants monteront sur leurs épaules, leur tireront la barbe et ils riront.

La fête de la Fin de l’Automne marquait le début de la période de paix hivernale qui durait plus du tiers de l’année. En cette saison, les mâles étaient aussi inoffensifs que des lugars. On avait du mal à leur faire lever le nez de leurs livres, de leur bricolage ou de leurs grilles de jeu. La moitié de la Guardia aurait congé jusqu’au printemps. À quoi bon patrouiller des rues aussi sûres que les maisons ?

Maïa n’imaginait pas en quittant Port Sanger qu’elle passerait ce jour-là en prison. Y serait-elle encore pour la fête du Soleil lointain ? Elle voyait d’ici ses matonnes organiser des réjouissances et l’une d’elles se déguiser en Dame du Givre, avec son échelle magique sur l’épaule, sa baguette d’abondance à la main, et lui distribuer bonbons et pétards si elle avait été sage. Elle réprima un pincement au cœur.

« Par Lysos ! À la fête du Soleil lointain, je serai loin ! »

Elle se secoua pour chasser ces idées noires, leva son sextant miniature et se concentra sur l’horizon. Elle n’était sûre ni de l’heure ni de la date. Il lui serait difficile, dans ces conditions, de définir sa longitude avec précision.