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Elle avait fait des lettres en gros carrés largement espacés, afin qu’on puisse les lire même dans la pénombre.

« Advienne que pourra…», se dit-elle en effleurant avec l’un des fils le bouton qui dépassait de la plaque. Il ne se passa rien. Elle plaça un fil sur le bouton, l’autre contre la plaque, et déclencha une étincelle qui la fit sursauter. Serrant les dents, elle se pencha pour mieux voir sa feuille et commença à tapoter avec les fils, suscitant une étincelle pour chaque case noire et faisant une pause pour chaque blanc.

Si ça se trouve, elle ne faisait que vider la batterie. Elle espérait pouvoir la recharger en plaçant le jeu devant la fenêtre, pour qu’il absorbe l’énergie solaire. Mais elle était peut-être en train de l’épuiser en pure perte.

Elle avait du mal à suivre les rangées successives de cases noircies à la main. La sueur lui coulait dans les yeux, malgré le froid, et elle s’aperçut à un moment donné qu’elle avait sauté toute une ligne, mais ça ne devait pas empêcher de comprendre le message, et puis elle n’allait pas recommencer.

Arrivée au bout de la dernière rangée, elle poussa un soupir de soulagement et s’adossa au mur en faisant des moulinets avec ses bras. Son interlocutrice devait comprendre que le message était terminé, mais elle avait peut-être été prise au dépourvu. Maïa se pencha et répéta tout l’exercice.

« Je me demande s’il se passe quelque chose… J’ai oublié mes maigres notions d’électricité. Sans résistance, sans condensateur, si ça se trouve, j’envoie de l’électricité dans le sol et c’est tout. »

Clic, clic, pause, pause, pause, clic… Elle essayait de se concentrer et de transmettre sur un rythme régulier, comme la Savante. C’était particulièrement important pour le décompte des longues pauses. Elle s’aperçut que ça marchait mieux quand elle comptait tout haut.

Ici Maïa… Ici Maïa… Ici Maïa…

La seconde transmission fut beaucoup plus dure que la première. Elle avait des crampes dans les doigts, mal au cou et la transpiration lui piquait les yeux. Mais la seule chose qui comptait, c’était cette mince chance de parler à quelqu’un.

Je vous en supplie, entendez-moi…

Ici Maïa… Oh, je vous en prie…

Elle termina la seconde transmission, les mains trop raides pour lâcher les fils dénudés. Il n’y aurait pas de troisième essai. Même si elles en avaient encore l’énergie, la batterie et elle, ce serait trop risqué. Les gardes étaient peut-être habituées à entendre une série de cliquetis, comme on s’habitue à la présence d’un criquet. Mais un trop grand changement dans leur train-train ne passerait pas.

Une soudaine étincelle la fit bondir. Il lui fallut un instant pour comprendre que ce n’était pas elle qui l’avait provoquée. Elle chercha fébrilement son crayon et son calepin.

Elle traduisait chaque étincelle par un trait vertical, l’obscurité par un tiret. Elle comprit bientôt, malgré ses yeux brûlants, qu’il ne s’agissait pas d’une redite, mais d’un message complètement nouveau. Elle avait réussi !

Puis tout s’arrêta et le silence retomba, la laissant les yeux fixés sur plusieurs feuilles remplies du code mystérieux.

L’impatience fit trembler ses muscles déjà tendus. Elle n’avait pas assez de lumière pour remonter le jeu de la Vie. Ça devrait attendre le matin.

« Mais je ne peux pas attendre. C’est impossible ! » Elle refoula une vague de frustration. « Tu feras ce qu’il faut faire », se répondit-elle. Elle s’obligea à se détendre, un muscle après l’autre, et s’astreignit à respirer régulièrement.

« Enfin, je peux toujours mettre ça au propre », se dit-elle en regardant ses griffonnages. Elle se leva, s’étira et gravit prudemment sa pyramide de caisses jusqu’à la fente.

Durga avait laissé place à une lune plus petite, Aglaé, qui brillait juste assez pour lui permettre de travailler. Ligne par ligne, elle traduisit chaque clic par une case noire et chaque pause par une case blanche. Au bout de la première rangée de cinquante-neuf cases, elle passa à la suivante. Comme ça, si elle arrivait à remonter la machine, elle pourrait tout de suite charger les conditions préliminaires, lancer le jeu et lire le message. Et puis, après un tel labeur, elle dormirait sûrement de bon cœur.

Elle était tellement absorbée par sa tâche qu’elle ne vit pas tout de suite la différence. Elle comprit quand même, au bout d’un moment, que, contrairement aux autres fois, les clic semblaient déjà organisés en groupes compacts. Elle cligna des yeux, recula la tête et vit…

SALUI MAIA. A DEMAIN. KENNA

« Évidemment. Elle a transcrit son message à ma façon, sans le coder ! Je peux le lire tout de suite ! »

Maïa redoubla d’énergie. Deux rangées plus tard, le message était lisible.

SALUT MAÏA. À DEMAIN. RENNA

Un coup de vent envoya ses papiers au bas de sa plateforme de fortune, mais elle ne s’en rendit même pas compte. Elle était trop occupée à essuyer des larmes brûlantes de bonheur.

Selon les plus radicales d’entre nous, je manquerais de hargne pour mener cette expérience. Je ne haïrais ou ne redouterais pas assez le mâle pour minimiser son rôle dans le monde. Pourtant, à quel avenir serait vouée une entreprise fondée sur la haine et la peur ? J’ai aimé et admiré des hommes dans ma vie, j’en conviens. Nos fils et nos petits-fils seront peu nombreux, mais nous devons leur faire une place, à eux aussi.

D’autres prétendent que je ne m’intéresse qu’au problème de l’autoclonage et à élargir le champ des possibles dans le domaine de la reproduction humaine. D’après elles, si les hommes étaient capables de porter des répliques d’eux-mêmes, je leur aurais donné le pouvoir, à eux aussi.

C’est possible. Mais quid d’un homme pourvu d’un utérus ? Il acquerrait inévitablement d’autres attributs féminins et cesserait d’être un mâle. Quel intérêt, je vous le demande ?

En résumé, tous nos progrès génétiques et les projets culturels correspondants seront réduits à néant si nous faisons preuve de condescendance ou de rigidité. L’héritage, les mythes que nous léguons à nos enfants doivent être inscrits dans la chair, ou ils échoueront. L’adaptabilité doit accompagner la stabilité, sinon le spectre de Darwin reviendra nous hanter et nous rappeler le châtiment réservé aux présomptueux.

Nous voulons le bonheur de nos descendants. Mais avec le temps, un seul critère jugera de nos efforts : la survie.

Chapitre XII

Maïa et sa nouvelle amie passèrent les jours suivants à communiquer malgré les murs qui les séparaient. Renna envoyait des messages codés, compactés, conçus pour être déchiffrés par le jeu de la Vie. Cette méthode permettait de transmettre en quelques minutes un plein écran de texte, mais, quand le moment venait de répondre, Maïa se sentait stupide et lente. Elle mettait la journée à fournir une seule ligne, dont la transmission l’épuisait et la mettait en rage.

… NE PANIQUE… PAS… MAÏA…