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… VAIS T’APPRENDRE AUTRE CODE…

… POUR LETTRES… MOTS SIMPLES…

Maïa nota le système que Renna lui transmit, et appelé « Morse ». Elle en avait entendu parler. Certains clans utilisaient des codes très anciens. « Encore un truc que les Lamaïs auraient pu nous apprendre », songea-t-elle, morose.

O : – – – P :. – –. Q : – –. –

Le code était assez simple, en effet : chaque tiret figurait un coup long, et chaque point un court. La rédaction du message suivant de Maïa en fut grandement facilitée.

POURQUOI UTILISER CODE JEU DE VIE ET PAS MORSE PLUS DUR JE TROUVE

À quoi Renna répondit :

Et devant les yeux stupéfaits de Maïa, le message de son amie se brouilla et forma une suite de dessins flamboyants évoquant les feux d’artifice de la fête des Fondatrices.

Même compactée, la communication suivante de Renna faisait trente bonnes rangées de cases noires et blanches. Le coup d’envoi déchaîna une « écologie » sauvage, avide, de pseudo entités qui s’entre-dévorèrent et finirent par se résoudre, après maintes girations, en une esquisse montrant des plaines et des montagnes à l’arrière-plan, encadrées par une meurtrière. Un paysage manifestement vu de la tour. Pas celui que Maïa voyait de sa fenêtre, mais une vue similaire.

L’autre prisonnière poursuivait ainsi :

VIE EST ORDINATEUR UNIVERSEL

OFFRE DAVANTAGE POSSIBILITÉS

PLUS DIFFICILE À ESPIONNER

Maïa était impressionnée. Néanmoins, elle répondit :

L’AI BIEN FAIT. POURQUOI PAS D’AUTRES ?

La réponse de Renna fusa, un peu penaude :

MOINS HABILE QUE JE PENSAIS

Et sur l’échiquier apparut un visage étroit aux cheveux courts, les yeux levés au ciel, les épaules haussées. La caricature arracha à Maïa un gloussement ravi.

Les jours suivants, Renna lui apprit à connecter son jeu de la Vie au circuit mural et à envoyer ses messages directement, au lieu de manipuler les fils, ce qui était laborieux et dangereux. Renna émettait toujours à minuit ses ondes radio rudimentaires, dans l’espoir d’entrer en contact avec quelqu’un du dehors. Le reste du temps, elles communiquaient sur courant faible, pour ne pas attirer l’attention des gardiennes.

Renna faisait preuve d’une chaleur et d’une sympathie si réconfortantes que Maïa eut bientôt envie de lui faire ses confidences : son départ de Lamatie, la disparition de Leie, sa rencontre avec Tizbé et comment elle s’était retrouvée impliquée dans un noir trafic auquel elle n’était guère préparée, elle, une jeune var qui venait de s’envoler du nid. Raconté aussi sèchement, son récit faisait cruellement ressortir l’injustice de sa situation. Elle avait toujours entendu dire que la vertu et le labeur étaient récompensés. Tu parles !

Maïa s’excusa de l’incohérence de son récit, qu’elle mettait sur le compte de l’émotion, C’EST DUR POUR MOI, transmit-elle d’une main tremblante. La réponse de Renna fut à la fois compatissante et un peu interloquée :

À 16 ANS TU DEVRAIS ÊTRE HEUREUSE

QUEL GÂCHIS !

Cette marque de sympathie l’émut aux larmes. Tant d’aînées oubliaient qu’elles avaient elles aussi été un jour sans expérience et désemparées.

La conversation se poursuivit, faite de moments d’émotion, d’échanges chaleureux et de malentendus hilarants, concernant le nom de la lune qui brillait dans le ciel, par exemple. Ou quand Renna se mit à écorcher le nom des villes et les citations du Livre des Fondatrices. Maïa était sûre qu’elle le faisait exprès pour la tirer de sa morosité, et ça marchait : mise au défi de relever les erreurs de sa compagne de captivité, elle redoubla de vigilance et son moral remonta.

Maïa se prit bientôt, pour cette femme qu’elle n’avait jamais rencontrée, d’une affection surprenante par sa vivacité.

C’était un sentiment fréquent chez les filles d’hiver. Un sentiment prévisible, même, au bout de quelques générations.

Il arrivait souvent que des Lamaïs de trois ans s’entichent de sœurs-clones d’un an plus âgées, fassent leurs quatre volontés et se désespèrent à la moindre de leurs rebuffades. Puis, à quatre ans, elles étaient à leur tour l’idole de plus jeunes, qu’elles faisaient tourner en bourrique comme on les avait fait marcher l’année précédente. L’hiver de leur cinq ans, les clones de Lamatie s’amourachaient inévitablement de clones un peu plus âgées, d’une citadelle voisine, généralement une Trevor ou une Wheatley. Ça leur passait vite, et puis les Trevor et les Wheatley étaient des alliées. Le pire restait à venir. À six ans, les Lamaïs ne pouvaient s’empêcher, malgré les avertissements des Mères, de faire une fixation sur une de ces grandes Yort-Wong. L’ennui, c’est qu’une rivalité ancestrale opposait les Yort-Wong et la maison de Lamatie.

Les Lamaïs pleuraient toutes les larmes de leur corps pendant cette révolte automnale dont la cérémonie d’initiation venait les distraire. Mais comment les éphémères attentions d’un homme pourraient-elles apaiser les affres de cette passion non payée de retour ? Même les six-ans qui avaient eu la chance d’être élues pour l’amorce n’en sortaient pas indemnes. Elles arboraient ensuite leur détachement comme une armure. Elles traitaient avec leurs clientes et leurs alliées, négociaient des accords commerciaux et sexuels complexes avec les marins. Mais pour le Plaisir, elles engageaient des professionnelles.

Quant au reste, elles se tenaient compagnie.

Maïa et Leie étant vars, rien de leur vie n’était programmé, pas plus leur affect que le reste. La gamme des sentiments allait de la passion sensuelle confinant au rut au chaste désir d’être près de l’élue de son cœur. Chansons populaires et histoires romantiques exaltaient ce dernier amour comme le plus raffiné, même si tout le monde, à part quelques hérétiques, s’accordait à dire qu’il n’y avait aucun mal à se toucher, si les deux cœurs étaient sincères. Le côté physique de l’affection entre femmes passait pour noble, doux, et pour ainsi dire non sexuel. Les jumelles n’avaient de la question qu’une connaissance théorique. Il leur était arrivé d’avoir un penchant pour des camarades de classe, des compagnes, certaines de leurs professeurs, mais rien de sérieux. Et depuis leur cinq ans, elles n’avaient guère eu le temps d’y songer.

Maïa ressentait à présent quelque chose de plus fort. Elle saurait bien quel nom lui donner, si elle avait le courage de se l’avouer. Elle avait trouvé en Renna une âme noble et généreuse, qui ne la mépriserait pas parce qu’elle était une var. Elle l’imaginait sous les traits d’une Savante ou d’une haute fonctionnaire du continent de l’Arrivée, mais quand Maïa l’interrogea sur ses origines, elle lui répondit :

MA FAMILLE ÉTAIT DANS L’HORLOGERIE

PAS VUE DEPUIS UN MOMENT SEMBLE

AVOIR PERDU NOTION DU TEMPS

Maïa se demandait toujours si elle la taquinait. En tout cas, ce n’était jamais méchant. Renna ne s’étendit pas sur la façon dont elle s’était retrouvée prisonnière.

LES BELLÈRES SE SONT EMPARÉES DE MOI

AU COURS D’UNE EXCURSION SOLITAIRE

Les Bellères ! La famille de Tizbé ! Maïa et Renna avaient donc des ennemies communes ! Quand Maïa le lui dit, Renna en convint avec tristesse et répugnance, à ce qu’il lui sembla.

Maïa la questionna sur « CY » et « GRVS », mais sa compagne répliqua qu’il valait mieux pour elle rester dans l’ignorance de certaines choses et remit leur évasion sur le tapis.

Il leur fallait d’abord définir leurs positions relatives. Maïa se faufila dans la meurtrière, tendit le cou au-dehors et vit une rangée d’ouvertures comme la sienne, qui faisait le tour du sanctuaire inachevé, cinq mètres au-dessous de la galerie qu’elle avait aperçue en arrivant. En comparant leur vision de certains points de repère, elles arrivèrent à la conclusion que la fenêtre de Renna, qui donnait sur l’est, était juste au-delà de la courbure de la tour, celle de Maïa donnant au sud-est. De l’autre côté, Maïa distinguait l’entrée.