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Maïa raconta à Renna qu’elle avait songé à défaire des tapis pour tresser une corde. Tout en saluant son enthousiasme, sa compagne d’infortune objecta qu’elles étaient bien trop haut pour songer à s’enfuir ainsi. Force était à Maïa de lui donner raison, surtout au vu de son piètre travail. Elle n’en continua pas moins à tenter de reproduire les cordages des marins du Wotan. « D’abord, ça m’occupe », se disait-elle. Et puis, si Renna poursuivait ses appels nocturnes, elle voulait contribuer à l’effort, même par quelque chose d’aussi futile.

Elle dissimulait soigneusement ses activités à ses geôlières. Au moment des repas, elle leur disait qu’elle se passionnait pour le jeu de la Vie, et voyait, à sa grande satisfaction, leur regard s’éteindre : elles ne voulaient pas de vagues, c’est tout. Pour ça, elles pouvaient compter sur Maïa.

Elle fut donc surprise d’entendre sa porte s’ouvrir un après-midi, plusieurs heures avant le dîner. Elle n’eut que le temps de cacher sa corde sous un tapis. Les Guelles entrèrent, l’air penaud. Maïa comprit pourquoi quand une silhouette familière se profila entre elles : Tizbé Bellère !

Son ex-assistante bagagiste parcourut la pièce du regard, esquissa une expression de dégoût vaguement amusé en voyant le pot de chambre couvert et fronça le nez, comme si elle humait des odeurs qui ne gênaient pas une var mal dégrossie.

Maïa se redressa. « Vas-y, Tizbé, rigole toujours. J’ai réussi à rester en forme et civilisée, ici. Échangeons les rôles ; on verra comment tu t’en tires ! »

Tizbé ne se méprit pas. Son amusement décrût d’un cran.

— Eh bien, on dirait que la captivité te réussit, Maïa. Tu es positivement radieuse.

— Retourne sur Terre, Tizbé. Et emmène tes amies avec toi.

— Quel langage ! répondit la clone, faussement scandalisée. Continue comme ça, et tu seras bientôt trop grossière pour te présenter dans la bonne société.

— Ta bonne société, ricana Maïa, tu peux te la carrer…

Tizbé reprit l’avantage en étouffant un bâillement et en agitant vaguement la main devant elle.

— Fais-moi grâce de ces platitudes. Le voyage a été dur et je dois bientôt repartir. Allons, j’aurai peut-être l’occasion de passer te dire au revoir, fit-elle en tournant les talons.

— Euh… tu n’es pas venue…, bredouilla Maïa, abasourdie.

— Pour t’interroger ? Te torturer ? ironisa Tizbé, sur le pas de la porte. C’est ce qui se passerait dans un de ces romans pour vars que tu lis, paraît-il. Les méchantes sont censées se réjouir du malheur de leurs victimes et leur tenir de grands discours. Désolée de te décevoir. Je jouerais peut-être ce rôle si j’en avais le temps. Mais honnêtement, as-tu quoi que ce soit d’intéressant à me révéler ? Que retirerais-je de l’interrogatoire d’une espionne aventuriste de ton espèce ?

— Une quoi ? fit Maïa en ouvrant de grands yeux.

Tizbé tira un papier chiffonné d’une de ses manches. Maïa reconnut le tract que lui avait donné l’hérétique à Lanargh. Ses ravisseuses avaient donc fouillé le sac qu’elle avait laissé à Sainte-Ecluse. Elle ne se donna pas la peine de prendre l’air offusqué.

— Vous m’avez prise pour une aventuriste à cause de ça !

— Piètre espionne qui se promène avec une preuve aussi flagrante sur elle, je te l’accorde. Mais l’appel com que tu as passé de chez les Joplandes nous a obligées à prendre des mesures. Tu as attiré l’attention des autorités sur nous plus tôt que prévu, et tu nous le paieras. Enfin, rien n’est perdu, ajouta-t-elle avec un sourire. Bon, je suis ravie de voir que tu ne t’apitoies pas trop sur ton sort. Peut-être, quand tout sera réglé, pourrons-nous te trouver une place parmi nous.

— Dans votre bande de criminelles ? Espèces de… d’exploiteuses du droit de naissance ! lança-t-elle, reprenant l’une des expressions qu’elle avait entendues à la radio de Thalla.

— Notre petite radicale se montre donc sous son vrai jour ! Je te ferai porter des livres. Tu y découvriras le bien-fondé de notre action, ses avantages pour Stratos et les femmes.

— Merci, répliqua Maïa avec une ironie mordante. Tu peux te dispenser d’y inclure la Voie perkiniste. Je l’ai déjà lue.

— Ah bon ? fit Tizbé en haussant les sourcils. Et alors ?

— Alors, à mon avis, Lysos aurait aimé étudier les dingues comme vous au microscope, pour voir où elle s’était trompée, rétorqua Maïa avec un sourire qu’elle espérait à la fois méprisant et compatissant.

Pour la première fois, l’autre donna l’impression d’accuser le coup. Elle lui lança un coup d’œil furibond.

— Profite bien de ton séjour, jeune var.

Elle sortit. Les gardes la suivirent en évitant soigneusement le regard de Maïa, et refermèrent la porte derrière elles.

« Tizbé se fiche pas mal de moi. Je ne suis qu’une petite gêneuse sans importance. » Autant pour l’ego de Maïa. Mais elle savait déjà à quoi s’en tenir sur son rôle en ce monde. « Ce n’est pas pour moi qu’elle a fait le voyage jusqu’ici. Elle avait quelque chose de plus urgent à faire. »

Tout à coup, elle eut l’illumination : « Renna ! »

Elle courut vers son jeu de la Vie, encore branché… et s’arrêta net. Leurs cellules étaient tout près l’une de l’autre. Tizbé risquait d’être déjà chez Renna quand Maïa enverrait son avertissement et elle comprendrait que les prisonnières avaient un moyen de communiquer. Maïa imagina ce que serait son existence si elle se retrouvait à nouveau seule. Le sentiment qu’elle éprouva lui rappela celui qu’elle avait connu quand Leie avait disparu.

Elle se sentit tout à coup affreusement impuissante. Elle escalada sa pyramide de caisses, se faufila dans sa fenêtre et tendit le cou au-dehors. Des femmes gardaient des chevaux devant l’entrée. L’escorte des Bellères, probablement.

Elle redescendit, s’assit par terre et reprit le tressage de sa corde en attendant, angoissée, un signe de vie de Renna. Après un long silence, un bruit de clés lui fit jeter un tapis sur son travail. On lui apportait son dîner. Elle mangea vite, en silence, impatiente de se retrouver seule. Mais quand ses gardiennes repartirent, sa solitude lui parut insupportable.

« Et si Tizbé avait emmené Renna ? »

Maïa retourna fébrilement à la fenêtre. La troisième fois, les femmes et les chevaux avaient disparu. Un frisson de terreur la traversa, mais il n’y avait personne sur la route. Le soir tombant, elles avaient dû s’abriter dans le sanctuaire.

Maïa se remit à l’ouvrage en ruminant de plus belle. « Tizbé a dit qu’elle repartait, mais elle n’a pas précisé si…»

Des cliquetis venant du mur la firent sursauter.

« Renna ! Elle va bien ! »

Maïa lâcha sa corde et attrapa son calepin, le cœur battant. Renna ne transmit pas un scénario de Vie élaboré mais une brève série de points et de tirets en Morse. Ce ne fut pas long. Maïa devina plus qu’elle ne traduisit plusieurs mots. Et elle s’écria : « Non ! »

MAÏA. NE RÉPDS PAS. ON M’EMMÈNE.

T’OUBLIERAI JMS DIEU TE GARDE. RENNA

Il peut faire très froid, le soir, dans les hautes plaines, surtout au début de l’hiver. Et plus encore au bord d’un précipice exposé au vent.