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L’ombre se déplaça vers l’ouest le long de la balustrade tout en maintenant la corde de Maïa au-dehors. Quand elle fut parvenue à l’aplomb de sa meurtrière, elle fit signe à Maïa d’attendre, disparut un instant et reparut. Quelque chose descendit alors vers elle.

« C’est un peu vexant, se dit Maïa. Elle n’apprécie pas mon œuvre. Très bien. J’utiliserai sa vulgaire corde du commerce. »

Elle était plutôt soulagée, à vrai dire. Elle songea un instant à retourner dans sa cellule chercher… chercher quoi ? En dehors du sextant attaché à son poignet, elle ne possédait rien.

Elle s’attacha la nouvelle corde sous les aisselles et s’aventura peu à peu dans le vide. Et si c’était un piège ? Si Tizbé était en train de préparer son suicide, ou un déplorable accident, survenu à l’issue d’une tentative d’évasion ?

Et quand bien même ? Elle n’avait pas le choix…

Elle plaqua ses pieds au mur et s’apprêta à monter à la force des poignets quand, à sa grande surprise, la corde se raidit et la remonta rapidement vers le balcon. « Soit elles sont douze, là-haut, se dit-elle. Soit elle a un treuil. »

Comme le balcon approchait, elle se forgea une expression étudiée afin de ne pas manifester sa déception si c’étaient Tizbé et ses gardes qui l’attendaient. « Elles peuvent compter sur moi pour vendre chèrement ma peau », se promit-elle. Puis des bras la tirèrent par-dessus la rambarde… et elle s’abandonna à la joie.

— Kiel ! Thalla !

Ses compagnes, rayonnantes, la délièrent.

— Surprise ? souffla Kiel, et son visage sombre se fendit d’un sourire éclatant. Tu croyais quand même pas qu’on allait t’laisser pourrir dans c’repaire de Perkies, non ?

— Comment avez-vous su où j’étais ? commença-t-elle, sidérée qu’elles ne l’aient pas oubliée, puis elle s’interrompit.

Elles n’étaient pas seules. Derrière elles se trouvait, en train de s’enrouler la corde autour d’une épaule… un homme ! Glabre, mince pour un mâle, il lui sourit avec une familiarité qu’elle trouva plutôt effrontée et déconcertante.

Sa présence expliquait qu’ils l’aient remontée si vite mais posait d’autres questions… Par exemple, que faisait un mâle si loin de la côte, à se mêler d’histoires de femmes ?

— Disons qu’on t’a un peu cherchée, répondit Thalla avec un petit rire. On te racontera. Pour l’instant, filons d’ici !

Elle se détourna, mais Maïa secoua fermement la tête.

— Pas si vite. Il y a quelqu’un d’autre à sortir de là. Une autre prisonnière !

Thalla et Kiel se regardèrent, puis regardèrent l’homme.

— J’croyais qu’y avait que ces deux-là, dit Thalla.

— C’est exact, confirma l’homme. Maïa…

— Non ! Venez, je sais où elle est. Renna…

— C’est moi, Maïa.

Ces mots la firent piler net. Elle se retourna et regarda derrière Thalla et Kiel, hilares, l’homme qui s’avançait vers elle avec un sourire gentiment ironique. Il leva les yeux au ciel et haussa les épaules dans une attitude qu’elle reconnut brusquement. Sa mâchoire s’affaissa.

— J’aurais dû te le préciser, dit-il d’une voix curieusement accentuée. J’oublie toujours que les femmes sont le sexe fort, ici, et qu’il ne te viendrait pas à l’idée que je puisse être un homme. Désolé de t’avoir surprise…

— Tu es… un homme, bredouilla Maïa, abasourdie, les paupières papillotantes.

— Je me suis toujours considéré ainsi. Quoique ici, sur…

— Venez ! lança Kiel. Vous vous expliquerez plus tard !

Maïa ne bougea pas.

— Que veux-tu dire ? Comment as-tu pu…

— Il est vrai que, selon vos normes, je ne suis probablement même pas humain, fit-il en la prenant par la main. Tu as peut-être déjà entendu parler de moi : à Caria on m’appelle le Visiteur. Celui qui vient de l’Extérieur.

L’une des lunes sortit des nuages, éclairant son visage aux proportions étranges. Pas au point d’arrêter les passants dans la rue, mais quand même indéniablement d’un autre monde, avec sa mâchoire trop longue et son front trop large. Ses narines faites pour respirer un air différent. Sa démarche acquise sous une gravité différente. Maïa réprima un frisson.

— C’est maintenant ou jamais ! grinça Thalla en les entraînant pendant que Kiel partait en éclaireuse dans les ombres.

Ils la suivirent, en trébuchant d’abord, puis plus vite, et traversèrent en courant les salles vides, pleines d’échos fantomatiques, de ce lieu mort avant d’avoir vécu. « C’est vrai, se dit confusément Maïa. Les explications attendront. » Elle laissa l’exaltation l’emporter sur ses autres émotions. Une seule chose comptait pour l’instant : retrouver la liberté !

Elle avait tout le temps d’essayer de comprendre comment son premier amour d’adulte avait pu être pour un homme, un étranger venu des étoiles.

DEUXIÈME PARTIE

Itinérant – Journal de bord Mission Stratos

Arrivée + 40 957 Ms

Les fondateurs de cette colonie ont trouvé l’endroit idéal pour abriter leur utopie : dissimulée par des nébuleuses de poussière, en orbite autour d’un de ces systèmes plurisolaires où l’on ne trouve que peu de mondes habitables, Stratos a dû leur paraître propre à isoler leurs descendants du bruit et de la fureur qui font rage dans toute la galaxie.

L’Ennemi y est pourtant arrivé. Et moi aussi, aujourd’hui.

Rendons justice à la farouche indépendance des Stratoïns : ils n’ont pas appelé à l’aide quand l’Ennemi est venu. Ils l’ont combattu seuls, et seuls ils l’ont vaincu. Ils peuvent être fiers d’eux. Ils ont contré une attaque surprise, sans aide du Phylum hominien. Mais au lieu de conforter leur structure sociale, cette victoire, devenue légendaire, l’a modifiée : elle est devenue l’emblème de leur sécession, la preuve que toute alliance avec leurs lointains cousins était inutile.

Je me suis abstenu, au cours de mes conversations avec les autochtones, de faire allusion à ce vaisseau ennemi, que nos archives décrivent comme une épave fuyant le champ de bataille de Taranis pour lécher ses plaies ou mourir au loin. Stratos n’a pas vraiment connu la terreur qui rôde entre les étoiles. Elle a bénéficié, sans le savoir, de la protection du Phylum. Les membres ne vivent pas sans le soutien de l’estomac.

Ce message ne passera pas aisément, je le crains. Certaines radicales herlandistes semblent trouver ma venue plus traumatisante que celle de l’Ennemi. Elles y voient un affront auquel il ne faut pas répondre. Que peuvent craindre leurs cheffes d’une reprise de contact avec leur lointaine famille ?

Les négociations concernant mon atterrissage ont enfin abouti. Le nécessaire sera fait pour remettre mon aérocoque sur orbite. Inutile donc d’autominer un astéroïde pour fabriquer un appareil multifonctions malcommode. Demain, je descends en personne entamer les discussions.

Je n’ai jamais été aussi tendu avant une mission. Cette sous-espèce a beaucoup à offrir. Son audacieuse expérience pourrait enrichir l’humanité. Dommage que le hasard ait voulu qu’elle soit redécouverte par un itinérant de sexe masculin.

Il aurait peut-être mieux valu que je sois une femme.

Chapitre XIII

Maïa fut bientôt complètement désorientée. Kiel, qui les guidait dans les couloirs et les escaliers ténébreux, s’arrêtait parfois sans prévenir pour braquer une minuscule torche sur un plan tracé à la main et ils lui rentraient dedans.