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— Où as-tu trouvé ça ? lui chuchota Maïa.

— Une de mes amies a travaillé ici. Maintenant, tais-toi !

Maïa ne s’offusqua pas de sa rebuffade. Ce n’était rien au regard des risques que Thalla et Kiel avaient pris pour elle.

« Et pour Renna…» Elle veillait à éviter le regard de cette personne qu’elle croyait si bien connaître et qu’elle venait de découvrir. Un être de l’espace extérieur. Sentant peut-être sa gêne, Renna restait quelques pas derrière elle. Maïa lui en voulait, elle s’en voulait d’être aussi transparente pour lui.

— C’est vrai ? souffla-t-elle à l’oreille de Thalla pendant que Kiel consultait son plan. C’est bien un… tu sais quoi ?

— On peut jamais savoir avec les hommes, fit-elle en haussant les épaules. Toujours en train d’se vanter d’leurs voyages. P’t-être que çui-là est allé plus loin qu’les autres.

— Vous avez dû vous douter de quelque chose quand vous avez capté le message radio ?

— Quel message radio ? reprit sa désinvolte amie.

— Si vous n’avez pas reçu de message, comment nous avez-vous retrouvés ? murmura Maïa, sentant sa confusion redoubler.

— Ça n’a pas été tout seul. On a d’abord cru que t’avais été emmenée vers l’est. Seulement une bande de sœurs du clan Keally s’est pointée, et le temps qu’on reprenne la piste, elle était froide. Et puis on a entendu dire qu’une Bellère s’enfonçait dans les terres avec une escorte. Kiel a pensé qu’elles allaient peut-être au sanctuaire abandonné. On a réuni quelques copines, on l’a suivie de loin et nous voilà.

Elle sourit. Son visage était à peine visible à la lueur de la lampe de Kiel. Ça paraissait très simple comme ça. En fait, l’aventure avait dû être assez éprouvante. Et très risquée.

— Vous n’êtes donc pas venues que pour… lui ? fit Maïa avec un mouvement de tête vers l’homme qui fermait la marche.

— C’est jamais qu’un homme, rétorqua la grande femme avec une grimace. Mais les Perkies vont être dingues qu’il ait disparu. Rien que pour ça, ça vaut la peine de l’emmener jusqu’à la côte. De là, il pourra retrouver ceux de son espèce.

Dans l’obscurité, Maïa ne pouvait déchiffrer l’expression de Thalla. Elle parlait d’une voix âpre et ne disait peut-être pas toute la vérité. Mais le message était clair.

— Alors, vous êtes venues pour moi…

— Entre vars, dans c’monde sans Lysos, faut s’serrer les coudes, petite, fit Thalla en lui pressant l’épaule.

On aurait dit une phrase d’un de ces livres d’aventures qui décrivaient de vaillantes estiviennes rebâtissant sur les ruines d’un monde bouleversé. Kiel s’arrêta net, couvrit sa lampe et leur fit signe de ne pas faire de bruit. Elles la rejoignirent sur la pointe des pieds à l’angle de deux couloirs. Kiel tendit prudemment le cou au coin et retint son souffle.

— Qu’y a-t-il ? demanda l’homme, affreusement fort.

Thalla lui fit sèchement signe de la boucler. Des tintements, des voix se firent brièvement entendre. Par gestes, Kiel leur indiqua qu’il y avait des gens dans le couloir.

« Sale temps…», se dit Maïa, la gorge nouée. Le plan de Kiel comportait manifestement des failles. Comment allaient-elles se tirer de là ? À son grand étonnement, au lieu de leur faire signe de rebrousser chemin, la Noire respira un bon coup et s’engagea hardiment dans la lumière blafarde du couloir.

Maïa eut beau se dire que c’était une illusion d’optique, elle eut l’impression qu’elle flamboyait littéralement. Comment personne ne remarquait-il une présence aussi brillante ?

Elle redoubla d’étonnement en voyant son amie franchir la zone dangereuse et réintégrer l’obscurité de l’autre côté sans se faire repérer. Les conversations se poursuivirent à voix basse. Thalla tenta ensuite la traversée. Pendant deux interminables secondes, la lumière embrasa sa peau blanche. Puis elle fut de l’autre côté à son tour.

Maïa jeta un coup d’œil à l’homme. Il lui sourit et lui effleura le coude pour l’inciter à se lancer. C’était un geste amical, confiant. Il lui inspira une bouffée de haine. Les battements de son cœur devaient s’entendre à l’autre bout de la forteresse. Elle se ressaisit, serra les dents et s’avança.

Le temps s’étira, les fractions de secondes devinrent des heures. Les pieds de Maïa, très loin d’elle, semblaient animés d’un mouvement propre. Elle tourna la tête et vit des meubles fracassés dévorés par les flammes dans les parenthèses d’une cheminée sculptée. Des ombres buvaient en jouant aux dés sur un guéridon. Leurs cris lui donnèrent la chair de poule.

Le spectacle était si déroutant qu’elle dévia de sa trajectoire et se cogna contre un mur. Thalla la tira brutalement dans l’obscurité salvatrice. Elle se retourna vivement.

— Renna ?

— Je suis là, fit une voix, tout bas, dans l’obscurité.

Il était à côté de Kiel. Elle ne l’avait ni vu ni entendu passer. Elle détourna le regard, gênée de sa propre réaction. Cet… être ne ressemblait pas du tout à la femme sage et mûre qu’elle avait imaginée. Il ne lui avait pas menti, mais elle se sentait trahie. Trahie par ses propres suppositions.

« Tant qu’il n’est pas question de bateaux ou d’amorce, on suppose, jusqu’à preuve du contraire, qu’on a affaire à une femme. Ça ne doit pas être très agréable pour lui. »

« Enfin, il aurait tout de même pu me prévenir ! »

Renna et Kiel passèrent devant. Maïa remarqua alors que l’homme portait une petite bourse bleue à la ceinture et, sur le dos, une boîte plate en métal poli.

« Un jeu de la Vie, comprit-elle. C’est bien un homme ! Moi qui croyais avoir affaire à une noble Savante… J’ai vraiment été idiote. Il n’y avait qu’un homme pour envoyer des messages, aussi complexes grâce à un truc pareil. Ça ne doit pas être sorcier quand on passe son temps à y jouer…» Enfin, ce n’était pas évident quand elle était dans sa cellule, avec des cliquetis pour toute compagnie. Elle avait écouté son désir plus que sa raison. C’était drôle d’éprouver un sentiment de deuil pour quelqu’un qui était tout près et – pour le moment – sain et sauf. La Renna de Maïa était pourtant aussi morte que Leie. Ce Renna-là ne comptait pas.

« Ce n’est pas juste ? La belle affaire ! C’est la VIE qui est injuste. Va te plaindre à Lysos, si tu n’es pas contente. » Quelques minutes plus tard, Kiel frappa deux fois à une petite porte de bois qui donnait l’impression d’avoir été forcée. La porte s’ouvrit devant une grande blonde armée d’un pied-de-biche.

— Tout l’monde est là ? demanda-t-elle.

Kiel opina du chef. Thalla leur fit signe de la suivre et s’engagea dans un escalier. Maïa sentit le parfum de la nuit avant même que le vent glacial ne touche sa peau, puis elle se retrouva dehors, sous le ciel étoilé.

Ils franchirent la poterne et se retrouvèrent sur un large perron de pierre, à un mètre au-dessus du niveau de la plaine. Kiel s’approcha du bord et imita le sifflement du gannène. Une trille monta de l’ombre, suivie d’un bruit de sabots. La grande blonde referma la porte tandis que quatre cavalières sortaient de l’ombre avec des montures de rechange.

Thalla ouvrit les paquets attachés sur le dos d’une des bêtes et lança un manteau de laine à Maïa. Elle l’enfilait avec soulagement quand Kiel l’attira vers le bord du perron. La lune fit briller les flancs rayés d’un cheval-baudrier qui s’ébrouait. Maïa réprima un mouvement de recul. Elle n’avait jamais monté que des bêtes paisibles, menées par des Trevores qualifiées, lors des sorties de printemps prévues dans le cadre de la « préparation à la vie » des estiviennes lamaïs.