Выбрать главу

— Y va pas te mordre ! railla la femme qui tenait la bride.

Piquée au vif, Maïa réussit à s’agripper au pommeau de la selle, passa son pied dans l’étrier et monta sur l’animal. Il dansa sur place comme pour la tester. Elle prit les rênes en poussant un soupir de soulagement. La bête ne s’était pas emballée. Maïa se pencha pour lui caresser l’encolure.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? fit l’homme, indigné.

Maïa se retourna. Kiel s’approchait de Renna et le prenait par le coude comme pour apaiser ses craintes.

— C’est un cheval. On monte dessus, pour aller plus vite.

— Je sais ce qu’est un cheval. Mais qu’a-t-il sur le dos ?

— Sur le dos ? Ben… une selle, pour s’asseoir.

— Ce truc énorme, une selle ? fit-il en secouant la tête d’un air perplexe. Pourquoi n’est-elle pas comme les autres ?

Toutes les femmes s’esclaffèrent. Maïa ne put s’empêcher de les imiter. Sa question était si incongrue et il avait l’air tellement ahuri. Il venait peut-être bien de l’Extérieur, en fin de compte !

— Ben, c’est une selle de côté, répondit Kiel en riant. J’comprends qu’tu préférerais une litière ou un palanquin, mais on n’en a… Eh, qu’est-ce que tu fabriques ? reprit-elle en ouvrant de grands yeux.

Renna avait sauté de la plate-forme et s’affairait sous le ventre de la monture qui lui était destinée.

— Je procède à… un petit ajustement, grogna-t-il.

La grosse selle matelassée tomba à terre. Puis, plus sidérant encore, l’homme prit la crinière du cheval à deux mains et, d’un bond, s’y jucha à la manière d’une femme. Les autres étouffèrent un hoquet de surprise. Un élancement involontaire dans les reins arracha une grimace à Maïa.

— Comment peux-tu… commença Thalla, la bouche sèche.

— Ce serait mieux avec des étriers, coupa-t-il. Enfin, je monterai à cru en attendant de bricoler quelque chose. Bon, maintenant, tirons-nous d’ici.

— T’es sûr que… ? bredouilla Kiel, les yeux papillotants.

Pour toute réponse, il imprima une secousse à ses rênes et partit au trot vers l’ouest. Vers la mer. Comme les femmes le regardaient partir, abasourdies, il poussa un cri d’exaltation. Un frisson parcourut Maïa. Elle n’aurait pu mieux exprimer ses propres sentiments. La stupéfaction laissant place à une joie intense, elle suivit l’homme, les sabots de son cheval aspergeant de poussière le souvenir de son emprisonnement.

Les évadés ne sortirent pas de Longue Vallée par la route la plus directe. Les Perkinistes commenceraient sûrement leurs recherches par là. Kiel et les autres avaient un plan. La caravane prit la direction du sud-ouest.

Au bout d’une heure, un son se fit entendre, loin derrière eux. Maïa se retourna. De minuscules points lumineux révélant des fenêtres illuminées ponctuaient la flèche de pierre éclairée par la lune où elle avait été enfermée et qui commençait à s’enfoncer sous l’horizon.

— Satané clair de lune ! jura Kiel en claquant de la langue pour encourager sa monture. J’espérais qu’on aurait jusqu’au matin. Va falloir tracer.

Maïa s’aperçut bientôt que Kiel ne parlait pas au figuré. Le groupe avançait en terrain découvert, laissant des empreintes aussi visibles que le nez au milieu de la figure.

— T’inquiète pas. On a un plan pour les ralentir, la rassura Thalla.

— Oh, je ne m’inquiète pas, répondit Maïa.

Elle était trop heureuse pour s’en faire.

Quelques heures plus tard, la blonde ordonna la halte, se dressa sur ses étriers et pointa une lunette vers l’arrière.

— On n’a personne aux fesses, on dirait, annonça-t-elle.

Ils ralentirent alors l’allure, pour ménager leurs bêtes.

Thalla lui ayant demandé comment elle avait été traitée, Maïa lui raconta d’une traite son arrivée à la citadelle de pierre, la tambouille des geôlières guelles, les affres par lesquelles elle était passée à l’idée de fêter la Fin de l’Automne en prison et l’espoir qu’elle avait de ne jamais revoir un sanctuaire d’hommes de l’intérieur. Elle se fichait de ce que les femmes pensaient de cette diarrhée verbale. Elle était grisée par l’air de la liberté.

Une des petites lunes – Aglaé – rejoignit Durga dans le ciel. L’une des femmes la salua en entonnant une chanson de marin. Une autre l’imita d’une belle voix de contralto. Maïa se fondit joyeusement au chœur.

Soufflez, vents du Ponant, ô soufflez, hisse et ho ! Pour nous soyez cléments, ô soufflez, hisse et ho !

Renna reprit le refrain. Il avait une voix de ténor qui semblait faite pour les ballades de marins. Il croisa le regard de Maïa et lui fit un clin d’œil. Elle se surprit à ne pas s’en offusquer et à lui répondre d’un timide sourire.

D’autres chansons suivirent. Les femmes formaient deux groupes : Kiel, Thalla et une petite brune nommée Kau étaient des enfants de la ville, sophistiquées, dont Kiel était à l’évidence la tête pensante. À un moment, elles chantèrent d’une voix vibrante un hymne manifestement politique.

Unissez-vous, filles de la tempête, On peut changer ce qui est pétrifié. Qu’importe de qui vous avez la tête, L’ordre vital peut être modifié !

Maïa avait entendu à la radio clandestine de Kiel et de Thalla cette chanson dont les paroles exprimaient la volonté farouche de renverser l’ordre établi. Les quatre autres femmes se joignirent au chœur avec moins d’enthousiasme, comme si elles n’adhéraient pas à l’ensemble de son message, puis elles entonnèrent des comptines ou des ballades traditionnelles que Maïa avait apprises à l’école. Des mélodies rassurantes, si leurs interprètes ne l’étaient pas : les deux petites râblées avaient l’accent et la physionomie des filles des îles du Sud, berceau légendaire de pirates et de négociantes sans scrupules, tandis que les deux autres, dont la grande blonde, venaient manifestement de cette partie du continent Oriental. Maïa apprit que la blonde, qui semblait être à la tête des quatre femmes, s’appelait Baltha.

C’était une bande de vars qui n’avaient pas froid aux yeux. Qui n’avaient même pas l’air de craindre que Tizbé Bellère et ses sbires les rattrapent – si Lysos en décidait ainsi.

Elles refirent halte pour resserrer les sangles de leur selle et changer de monture, puis repartirent en silence, se laissant bercer par le roulement hypnotique des sabots de leurs chevaux. N’étant plus distraite par les chants, Maïa ressentit douloureusement la morsure du froid. Elle avait les mains gelées. Elle finit par les garder dans les poches de son manteau et par tenir les rênes à travers le tissu.

Renna éperonna son cheval pour rejoindre Kiel, ce qui fit murmurer les autres femmes. Baltha ne cacha pas sa réprobation de le voir assis à califourchon sur sa monture.

— C’est pas normal d’monter comme ça, pour un homme, dit-elle. J’trouve que ça a quelque chose d’obscène.

— Il a l’air de savoir s’tenir en selle, observa Thalla. Mais je m’demande comment y s’débrouille pour pas s’faire mal.

— Y a des trucs qu’on d’vrait pas laisser faire aux hommes.

— C’est ben vrai, renchérit une des filles des îles en crachant par terre. Les ch’vaux ont été faits pour les femmes. C’est Lysos qui l’a voulu. Ça se voit rien qu’à la façon qu’on est bâties, et pas les hommes.