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Kiel haussa les épaules. Thalla se retourna vers Maïa et lui fit un grand sourire.

— Je suis d’accord. Bienvenue au club, la pucelle.

Baltha jura à voix basse. Elle s’inclinait, mais de mauvaise grâce. Elle approcha sa monture de celles qui devaient suivre l’autre itinéraire et se pencha pour leur serrer les poignets. Thalla et Kiel étreignirent Kau de la même manière. Les deux groupes se séparèrent, Baltha menant prudemment la marche dans le milieu du torrent, Maïa et Renna en queue de colonne. L’une des filles qui gravissaient déjà la paroi opposée leva la main en signe d’adieu, puis toutes les quatre disparurent à un détour du chemin.

— Merci, fit Maïa d’une voix étranglée, tandis que leurs montures pataugeaient dans le ruisseau.

— Il faut bien se serrer les coudes, entre parias, non ? répondit Renna avec un sourire. Et puis, tu m’as l’air solide, en cas de pépin.

Il plaisantait, bien entendu. « Mais à moitié seulement », s’aperçut-elle non sans étonnement. Il avait vraiment l’air content, même rassuré, qu’elle l’accompagne.

Elles avançaient en file indienne, sans mot dire, laissant leurs chevaux choisir leur chemin dans le courant. Elles étaient à l’abri du vent, mais le souffle de Maïa se condensait dans l’air glacial. Elle referma étroitement son manteau autour d’elle et glissa ses mains sous ses aisselles.

Elle se dit, pour se rassurer, que chaque minute qui passait les éloignait de leurs poursuivantes. Le plan tablait sur leur affolement. Des professionnelles comme les chasseresses sheldonnes de Port Sanger ne se laisseraient pas prendre à un tour pareil. Qui sait, les paysannes de Longue Vallée étaient peut-être de bonnes pisteuses ?

Et même si elles leur échappaient, elles demeuraient entourés d’ennemis. Rares étaient les endroits plus homogènes politiquement que cette colonie d’extrémistes, qui avaient des alliées jusqu’à cap Grange. Une fois alertées, elles convergeraient sur elles de toutes les directions à la fois.

Maïa commençait à avoir une bonne vision du problème. Elle imaginait la panique des Perkies. L’affaire dépassait largement leur trafic de drogue favorisant l’amorce hivernale. Elles trempaient dans un projet beaucoup plus audacieux : enlever le Visiteur interstellaire – Renna – au nez et à la barbe du Conseil de Caria. C’était risqué, mais ça éliminait toute perspective de reprise de contact avec le Phylum hominien.

« Rien ne pourrait davantage effrayer ces Perkinistes que de voir le ciel s’ouvrir devant des vaisseaux spatiaux en provenance de mondes en proie à « la tyrannie du rut animal » et dont la moitié au moins des habitants sont des hommes !

« La moitié…»

Elle avait du mal à imaginer le tableau. Au nom de Lysos, quel besoin un monde pouvait-il avoir de tous ces mâles ? Même s’ils se tenaient tranquilles la plupart du temps, ce dont elle doutait, on ne pouvait leur confier qu’un nombre réduit de tâches ! À quoi pouvait-on bien les occuper ?

Stratos serait à jamais changée par le contact avec ces mondes, elle serait polluée par des idées, des coutumes étrangères. Malgré la haine qu’elle éprouvait pour ses geôlières, Maïa se demanda si elles n’avaient pas raison, dans un sens.

Elle réprima un sursaut quand Renna se tourna vers elle, mais il lui parla seulement d’un buisson qui s’accrochait aux parois du canyon. Maïa avait vu des plantes de la même famille au Temple Orthodoxe de cap Grange, seulement elle ignorait si c’était une forme de vie indigène ou une espèce terrienne modifiée par les Fondatrices, grâce au génie génétique.

— Je m’intéresse à la façon dont les formes de vie exogènes ont été manipulées afin de s’adapter ici et de la façon dont elles ont évolué par la suite. Vous avez des écologistes très pointues à l’Université, mais la théorie ne remplace pas un examen sur le terrain.

Il semblait remis de sa mélancolie. Maïa se demanda si ses yeux et sa peau, qu’elle n’avait jamais vus qu’à la lueur d’une lanterne ou d’une lune, se révéleraient d’une teinte bizarre, exotique, à la lumière du jour.

Elle faisait peut-être une erreur d’interprétation – après tout, c’était un parfait étranger –, mais il avait l’air tout excité d’être là, loin des cités, des Savantes et surtout de sa cellule, pour explorer Stratos. Et c’était contagieux.

— Vos Fondatrices devaient être sacrément douées pour avoir ainsi modifié les humains, les plantes et les animaux afin de les intégrer à l’écosystème. Elles ont fait quelques erreurs, bien sûr, mais ça n’a rien d’étonnant.

Ces paroles avaient quelque chose de blasphématoire. Les Perkies et autres hérétiques ne se privaient pas de critiquer certains des choix faits par Lysos et les Fondatrices, mais leurs compétences… jamais !

— Le temps règle généralement le problème par l’extinction ou l’adaptation. Chez les formes de vie inférieures, du moins.

— Ça fait tout de même plusieurs centaines d’années…

— Tu penses que les humains sont sur Stratos depuis quelques centaines d’années ?

— Ben oui, fit Maïa en fronçant les sourcils. Je ne me rappelle pas le chiffre exact, mais… C’est important ?

— Non, probablement pas, répondit-il d’un ton qu’elle trouva curieux. Compte tenu de votre calendrier… Enfin, peu importe. Dis donc, c’est le sextant dont tu m’as parlé ? Celui qui t’a permis de corriger ma latitude ?

Maïa jeta un coup d’œil au petit instrument dans son étui de cuir. Renna avait retrouvé sa gentillesse : les corrections qu’elle avait apportées à ses coordonnées étaient minimes.

— Tu veux le voir ? proposa-t-elle en le lui tendant.

Il passa délicatement les doigts sur la gravure de zep’lin ornant le couvercle de cuivre, puis le déplia avec soin.

— Très joli, commenta-t-il. Fait à la main, tu dis ? J’aimerais voir l’atelier qui l’a fabriqué.

Maïa réprima un frisson à cette idée. Elle avait vu assez de sanctuaires comme ça.

— C’est la molette de réglage de l’azimut ? reprit-il.

— L’azimut ? Tu veux dire la hauteur des étoiles, sûrement ? Oui, mais il faut d’abord un horizon plan…

Ils furent bientôt plongés dans une discussion technique, en essayant de se frayer un chemin dans un labyrinthe de termes hérités de traditions radicalement divergentes – celle de Renna se servant de machines complexes pour traverser un vide inimaginable, celle de Maïa légataire de vies innombrables passées à peaufiner des règles apprises à la dure et à lutter contre les éléments. Renna parlait avec respect de ces techniques qui devaient lui sembler primitives au regard de la distance qu’il avait parcourue… depuis ces mêmes étoiles dont Maïa se servait comme repères.

Parfois, quand une lune éclairait le visage de Renna, Maïa remarquait certaines différences subtiles : l’ombre longue de sa pommette, ou la dilatation anormale de ses pupilles. Les aurait-elle notées si elle n’avait su qui, ou ce qu’il était ?

Baltha décréta une halte, interrompant leur conversation. Elles mirent pied à terre sur une grève sablonneuse et frottèrent les pattes de leurs chevaux pour réactiver la circulation dans leurs extrémités engourdies par l’eau froide. Renna ôta son manteau. Maïa sentait la chaleur irradier de son corps tandis qu’il s’affairait près d’elle. Il lui rappelait les marins du Wotan qui perdaient la moitié de ce qu’ils mangeaient et buvaient en sueur et en énergie. Glacée comme elle l’était, elle trouvait sa proximité plutôt agréable. Elle fut tentée de se rapprocher encore, pour profiter de sa chaleur. Son inévitable odeur de mâle était supportable.