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Il se redressa, l’air intrigué, et scruta le ciel. Maïa leva les yeux à son tour. C’est alors qu’elle remarqua un bruit lointain, une sorte de bourdonnement.

— Là ! s’écria-t-il en pointant le doigt vers l’ouest, au-dessus du canyon.

— Où ça ? fit Maïa. Je ne… Ah !

En dehors du dirigeable postal hebdomadaire, on ne voyait que peu de machines volantes, à Port Sanger. Le petit aérodrome était dissimulé par des collines, et les couloirs aériens étaient prévus pour éviter la cité. Mais qu’auraient pu être ces lumières ? Maïa compta deux… trois paires de points clignotants accompagnés d’un grondement qui s’éloignait vers l’est avec les points lumineux.

— Cy a dû me recevoir, s’écria Renna. Elle a appelé Graves. Ils sont venus nous chercher !

« Te chercher, tu veux dire ? » songea Maïa. Néanmoins, elle était tout heureuse. Renna devait être un personnage rudement important pour que Caria ait dépêché des envoyés si loin, au risque d’empiéter sur la souveraineté de Longue Vallée.

Baltha, Thalla et Kiel refusèrent de faire demi-tour.

— Mais ils sont venus nous sauver ! Ils sont sûrement assez nombreux pour…

— Tant mieux, concéda Kiel. Ça retardera ces salopes et ça les empêchera de nous retrouver. Le temps qu’elles discutent et se bagarrent, on devrait arriver à la côte sans pépin.

C’était clair : Kiel et ses amies avaient beaucoup investi pour délivrer Renna. Elles n’avaient pas l’intention de le remettre à des policières qui soutiendraient qu’elles l’auraient libéré le soir même. Elles préféraient le remettre à une magistrate de cap Grange, qui ne pourrait contester la réussite de leur coup de main et leur droit à la récompense. Maïa vit que Renna réfléchissait. Tenteraient-elles de l’arrêter s’il faisait demi-tour tout seul ? Était-il de taille à lutter contre la férocité tellurique de Baltha, qui avait l’air d’être née avec un pied-de-biche entre les dents ? Maïa améliorerait les chances de Renna en prenant son parti, mais elle n’était pas certaine de vouloir se battre contre Thalla et Kiel.

Et même s’il faisait demi-tour, Tizbé n’avait pas dû perdre de temps pour se lancer sur leur piste. Renna et Maïa risquaient de tomber sur elle dans la prairie. Ses femmes de main les remettraient aussitôt au trou – et probablement dans un endroit pire que celui qu’ils venaient de quitter.

« En fait, nous n’avons guère le choix », se dit Maïa.

Elle se rapprocha néanmoins de Renna, prête à se mettre de son côté, quel qu’il soit. Il y eut un long silence. Le bourdonnement des appareils décrût et cessa tout à fait.

— C’est bon, allons-y, déclara l’homme avec un soupir.

Itinérant – Journal de bord Mission Stratos

Arrivée + 40 157 Ms

Cy se plaignit des codes archaïques qu’elle devait utiliser pour guider ma navette le long de l’ancien rayon d’atterrissage, mais j’étais trop à cran pour compatir. « Qui a été obligé d’apprendre ce dialecte dérivé du florentin ? » grommelai-je comme des flammes léchaient les hublots. « Tu ne te rends pas compte : quatre genres, féminin, masculin, neutre et clonal, des cas de déclinaisons pléonastiques, et la règle des participes est ahurissante. »

Je parlais à tort et à travers pour oublier la peur, mais Cy me demanda de la boucler si je voulais qu’elle m’amène au sol en un seul morceau. Des vents brûlants hurlaient contre la coque, à quelques centimètres de mon oreille. L’atmosphère est tellement dense, sur Stratos, qu’on pourrait nager dedans.

C’était l’été. Des aurores boréales m’ont suivi tout le long de la descente, tels des rideaux lumineux branchés sur les tores magnétiques issus de la compagne naine du soleil rouge. Des étincelles d’électricité statique crépitaient sur les consoles, tout près – trop près – de mes bras.

La navette fora son tunnel dans d’immenses nuages et vira au-dessus d’un patchwork de forêts sombres et de prairies luxuriantes. En suivant des yeux le ruban scintillant d’une rivière, je reconnus des signes de vie et même d’activité industrielle. J’avais regardé ce paysage depuis l’espace pendant près d’une année terrestre ; je le buvais à présent des yeux, le nez collé au hublot : le vert foncé de la végétation indigène, le vert plus clair des plantes venues de la Terre, ses lacs aux reflets irisés. Des collines m’entourèrent. Cy fit rouler la navette sur vingt hectares de dalles entre lesquelles poussaient des mauvaises herbes. Le temps d’abaisser une rampe de sortie, un comité d’accueil m’attendait : cinq femmes d’âge mûr dont les robes brodées auraient valu une fortune sur Délice ou sur Terre.

Elles me regardèrent descendre, puis nous nous inclinâmes gravement les uns devant les autres. Aucune ne me tendit la main. Deux des femmes se présentèrent comme membres du Conseil régnant. Une troisième, en vêtements sacerdotaux, leva les bras et prononça quelque chose qui ressemblait à me bénédiction. Les deux dernières étaient des profs de l’Université avec qui j’avais parlé au videx : la Savante Iolanthe, avec ses yeux gris, scrutateurs, et la Savante Melonni, qui m’avait paru sympathique durant nos longues négociations, mais qui me regardait maintenant comme un serpent venimeux.

Je savais que la plupart des colonies dépendaient des énergies éolienne, solaire et animale pour leurs transports, en conformité avec ce que je sais de l’idéologie lysioherlandiste. Les régions industrialisées ont quelques engins dotés de moteurs à combustion. On me fit monter dans une voiture confortable, équipée d’un moteur hydrogène-oxygène, mais entièrement faite de bois sculpté. Ce n’est pas le simple reflet de la relative rareté des métaux mais une espèce d’affirmation.

Je me retrouvai isolé des autres par une paroi de verre, ce qui n’était pas plus mal. J’avais la tripe tapageuse, par suite de l’atterrissage, mes poumons s’efforçaient laborieusement et à grand bruit d’inspirer l’air visqueux. Des odeurs étranges assaillaient mes narines, provoquant des salves d’éternuements, et la proportion du dioxyde de carbone me faisait bâiller. Je devais offrir un drôle de spectacle !

J’éprouvais pourtant l’ivresse d’être enfin à terre. Ce monde, ce peuple ont l’air tellement dignes et civilisés… Je suis sûr que nous trouverons un terrain d’entente.

Comme nous arrivions à la limite du terrain d’atterrissage, une escorte à cheval encadra notre véhicule. L’impression d’uniformité donnée par les cuirasses et les casques étincelants était renforcée par le fait que les cavalières étaient toutes issues d’une unique famille de clones, identiques jusqu’à la moindre boucle de cheveux. Je fus vivement impressionné par ce premier aperçu de la spécialisation clanique stratoïne.

En sortant du spatioport, nous passâmes devant la zone de lancement, avec ses rampes et ses rails turbopropulseurs. C’est de là que repartira ma navette, le moment venu.

L’installation semblait désaffectée. Par un intercom, une des profs m’expliqua qu’elle était néanmoins opérationnelle, « soigneusement conservée pour un usage occasionnel ».

J’ignore ce que ces gens entendent au juste par « occasionnel », mais ce terme m’a mis mal à l’aise.

Chapitre XIV