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— Déjà ! s’écria Albine avec un soupir. Tu es sûre ?

— Tout à fait sûre, Mère ! Dois-je vous rappeler ce bal que Cher Grand-Papa doit donner pour la circonstance ?

— Oh, c’est vrai !… Tu ne crois pas qu’on pourrait le remettre d’une année ? Tu es encore si enfant !

— Cela vous plaît à croire mais moi je sens bien que je grandis.

— Eh oui ! C’est que, vois-tu, ma petite, pour une mère et surtout quand elle est très jeune, sa fille reste toujours une bambine, un petit être charmant avec qui elle a gardé l’impression de jouer à la poupée. Et puis, en vérité, avec tes goûts de garçon, il vaut bien mieux des vêtements simples et pratiques. Je ne te vois guère aller pêcher dans cette vieille barque à la peinture écaillée avec une robe de tulle, ou grimper aux arbres en satin liberty. Tu joues au tennis, tu te baignes, tu montes à cheval…

— C’est vrai, j’oubliais mon amazone. C’est bien la seule robe élégante que je possède !

— Parce que tu n’en as pas besoin d’autres ! Crois-moi, profite de ce temps heureux de l’enfance ! Tu as bien le temps d’être étranglée dans un corset et de porter des « balayeuses » qui ramassent la poussière et les feuilles mortes !

À cet instant, Paulin vint dire que Monsieur le marquis de Varennes demandait Madame au téléphone et Albine se précipita vers l’appareil d’acajou garni de cuivre posé sur une console. Mais avant qu’elle l’eût décroché Mélanie déclarait, criant presque :

— Demain je désire aller déjeuner à Saint-Malo avec Fräulein.

Albine n’était déjà plus là. Elle répondit machinalement :

— C’est cela !… C’est une très bonne idée… Allô !… Cher ami vous avez fait des folies… oui… oui elles sont merveilleuses ! Oh, vous croyez ?… Mais je viens tout juste de rentrer ! Ce ne serait pas raisonnable… oui, bien sûr ! Vous avez des arguments très convaincants ! Écoutez ! Nous en parlerons ce soir au dîner des Carcaradec…

Le rire de gorge qui suivit passa sur les nerfs de Mélanie comme une râpe. Elle se tourna vers Fräulein qui, aussi rigide qu’une bûche, avait assisté à la scène sans émettre le moindre son.

— Aidez-moi à sortir, s’il vous plaît, Fräulein ! Je crois que j’en ai assez entendu pour aujourd’hui…

— Fous oupliez fotre paquet ?

— Non. Prenez-le si vous voulez ! Moi je n’en veux pas…

— Guelle itée !

Dans un mouvement plein de décision, Fräulein attrapa la boîte nouée d’un ruban rouge et la mit sous son bras. Après quoi elle offrit l’autre à Mélanie pour l’aider à gagner le pied de l’escalier où un valet attendait pour la porter jusqu’à sa chambre. Elle y dîna en tête à tête avec sa gouvernante comme elle le faisait depuis son accident. Quand elles eurent fini, il était encore tôt et l’idée d’aller se coucher alors que le soleil était encore présent ne tentait guère Mélanie. Fräulein dénoua donc le ruban, ouvrit la boîte et commença à manipuler les centaines de petites pièces de bois léger découpé, puis glissa un coup d’œil vers son élève qui regardait distraitement dans le jardin. Les roues de la voiture qui emportait Albine vers une fête nouvelle avaient cessé de crisser sur le gravier des allées depuis longtemps déjà.

— Wollen Sie versuchen ? Das ist sehr belustigend(5) ! murmura la jeune Allemande.

Mélanie tourna la tête vers elle et vit qu’elle lui souriait. C’était comme si, tout à coup, une sorte de complicité s’établissait soudain entre elle et son institutrice. On aurait dit que celle-ci venait de dépouiller son armure de Walkyrie pour se montrer sous son jour véritable : celui d’une jeune femme compréhensive qui savait peut-être voir plus de choses qu’on ne le pensait… Mélanie lui rendit son sourire :

— Warum nicht(6) ? dit-elle.

Elle se prit vite d’intérêt pour ce mystère en menus morceaux à partir desquels on devait reconstituer une gravure anglaise dont le titre était « Rendez-vous de chasse » et il se faisait tard quand Fräulein décida qu’il était temps d’aller dormir. On continuerait le lendemain, mais on avait passé un bon moment et ce fut d’un cœur un peu moins lourd que Mélanie gagna son lit pour y plonger dans ce sommeil de petite fille qui avait été son apanage jusqu’à ce qu’elle eût la fâcheuse idée d’escalader le grand cèdre pour voir ce qui se passait chez sa voisine.

D’habitude, lorsqu’elle se réveillait, la maison était calme et silencieuse. Sa mère se couchait tard presque tous les soirs et ne supportait pas le moindre bruit. Il était recommandé de ne se déplacer qu’avec des semelles de feutre ou de caoutchouc et sur la pointe des pieds. Or, ce matin, ce fut une sorte de tohu-bohu qui ramena Mélanie à la réalité d’une belle matinée ensoleillée. Il se passait quelque chose dans l’escalier comme si l’on était en train de déménager… Sans attendre que l’on vînt l’informer, Mélanie rejeta ses couvertures et posa avec précaution ses pieds sur le sol. Il lui sembla qu’elle avait moins mal et que sa cheville était en bonne voie de guérison. Cela tenait peut-être à ces compresses d’eau de mer que le Dr Gaud lui appliquait… Elle tendait déjà la main pour prendre les cannes posées à son chevet quand sa porte s’envola plus qu’elle ne s’ouvrit. Sa mère parut, toute de mousseline blanche vêtue et coiffée d’un grand canotier enveloppé d’une voilette. Elle s’élança vers sa fille :

— Ah ! Tu es réveillée ! J’en suis bien heureuse car cela m’aurait ennuyée de partir sans te dire au revoir.

Mélanie aurait pu lui rétorquer que tout ce vacarme était peu propice au sommeil mais elle se contenta de demander sans émotion apparente :

— Vous partez encore ? Vous venez tout juste de rentrer !

— Se rendre à Jersey n’est pas un voyage : tout au plus une promenade. Cette fois nous allons faire une petite croisière avec les Beauchamp. Tu sais, ces charmants milliardaires américains et d’autres. Nous partons tous sur le yacht de lord Clarendon et nous allons à Biarritz assister au bal que l’on va donner à l’hôtel du Palais pour ces pauvres gens de la Martinique tellement éprouvés, en mai, par leur volcan.

— On peut dire que vous avez la charité gaie, Mère. Mais la ville de Saint-Pierre n’existe plus. Vous croyez qu’un bal peut tout arranger ?

— Une fête de charité procure de l’argent, s’écria Albine scandalisée. Nous en enverrons peut-être beaucoup et, de toute façon, ce sera charmant. Rien que ce voyage sera un plaisir.

— Je l’espère pour vous mais nous sommes en septembre et les grandes marées arrivent. L’Océan n’est pas toujours aimable.

— Eh bien ? Quel oiseau de mauvais augure ! Je regrette d’être venue te voir. Tu t’entends réellement à gâcher un plaisir !

— Excusez-moi ! Mais vous avez dit : « Nous partons tous. » Vous êtes nombreux ?

— Une vingtaine, je crois. Je ne saurais te dire le chiffre exact. Nous rejoindrons là-bas le charmant André de Fouquières qui mènera le cotillon. Mais il ne voyage pas avec nous, hélas. Il part en automobile.

Se souvenant soudain de la communication téléphonique de la veille, Mélanie ne put retenir la question qui lui venait.

— Bien entendu, M. de Varennes est de la partie ?

Sous la voilette blanche qui enveloppait sa tête et son chapeau, Albine rougit un peu et fit toute une affaire d’enfiler ses gants :

— Bien sûr ! fit-elle avec quelque nervosité. Il n’y a plus de bonne fête sans lui, à présent… Bon, je crois qu’il est temps que je parte ! J’ai donné toutes mes instructions pour la maison et tu n’as pas de soucis à te faire. On va d’ailleurs commencer à tout ranger car, à mon retour, nous regagnerons Paris !