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— Et le mien ? demanda Francis.

— Le 14 ! Le porteur va monter vos bagages… et si vous voulez bien m’excuser ?

En effet, une nouvelle et fracassante arrivée venait d’attirer son attention : escortée de cinq ou six messieurs élégants mais d’un certain âge et suivie d’une femme de chambre pliant sous le poids d’une mallette et d’une infinité de châles et de couvertures, une femme de type espagnol et d’une extraordinaire beauté s’avançait les bras chargés d’une gerbe de roses d’un rouge sanglant. Entre les replis fastueux d’une belle quantité de renards noirs et le bord du grand chapeau, noir lui aussi mais chargé de plumes d’autruche pourpres, son visage pâle, dont la bouche sensuellement ourlée était du même rouge que ses fleurs, semblait dévoré par deux yeux immenses, d’un noir de jais. Elle ne souriait pas à sa cour d’admirateurs et semblait même les traiter avec une certaine désinvolture, laissant peser sur choses et gens un regard d’un souverain dédain.

Des chuchotements s’élevaient sur son passage et Mélanie, arrêtée dans son mouvement de monter en voiture, en saisit un ou deux :

— C’est Lolita Fernandez, la nouvelle danseuse des Folies-Bergère !… Quelle allure elle a !… Une vraie panthère !… On dit qu’Otéro la trouve gênante !

Comme la nouvelle venue piquait droit sur Pierre Bault, Francis, avec une hâte soudaine, pressa Mélanie :

— Allons, montez, ma chère, sinon cette femme va nous marcher sur les pieds !

Embrassant hâtivement son oncle, la nouvelle marquise tendit une main à Olivier Dherblay en le remerciant des soins qu’il prenait des biens de son grand-père, puis se laissa mener dans le couloir vitré et couvert d’une épaisse moquette sur lequel ouvraient les portes des compartiments.

— Voilà le vôtre, dit Francis en ouvrant devant sa femme un battant d’acajou timbré d’un chiffre de cuivre brillant. Je suis votre voisin immédiat et j’espère que vous n’aurez pas peur.

— Vous devriez savoir qu’il est difficile de me faire peur, répliqua-t-elle un peu nerveusement. – Puis elle ne put s’empêcher d’ajouter – : Je croyais que ces sleepings étaient à deux places en première classe ?

— Vous avez tout à fait raison. Néanmoins, je pense qu’il serait peu agréable pour vous de commencer dans un train notre vie intime surtout après une journée harassante. Demain soir nous pourrons jouir d’un cadre véritablement enchanteur et ce sera beaucoup mieux.

Comme d’habitude lorsqu’il lui souriait, Mélanie se sentit fondre et lui rendit son sourire.

— Je pense, en effet, que ce sera mieux…

— Bien. À présent je vais vous laisser prendre un peu de repos puis je viendrai vous chercher pour dîner au wagon-restaurant. Vous verrez, c’est très agréable et la cuisine est excellente.

— Quelle chance ! Je n’ai presque rien mangé depuis ce matin et j’avoue que je meurs de faim.

— Moi aussi. Et j’aime qu’une jolie femme ait de l’appétit.

Le couloir s’emplissait des échos d’une voix rauque et franchement agressive où roulaient tous les cailloux du Guadalquivir. Mlle Lolita, qui avait entraîné le conducteur du sleeping dans son tourbillon, entendait choisir son compartiment. Aussi Pierre Bault avait-il fort à faire pour lui expliquer, sans manquer à la courtoisie et sans se départir de son calme, que c’était tout à fait impossible, toutes les autres cabines étant déjà attribuées et occupées.

— Yé né veux pas être sour les roues. Ça va trépigner toute la nouit et yé né pourrai pas dormir. Faites quelque chose !

— Malheureusement je ne peux rien pour vous, Madame… à moins qu’un voyageur ne consente à faire un échange ?

— Échange ? Très bien, l’échange ! Faites ça !

Avec un bel ensemble, toutes les portes d’acajou se fermèrent. Francis en fit autant après avoir tiré Mélanie en arrière mais se disposa à ressortir :

— Vous n’allez pas lui proposer votre chambre, au moins ? s’écria Mélanie alarmée à la pensée d’avoir pour voisine cette tempête noir et rouge.

— Vous êtes folle ? Bien sur que non, mais je vais voir si je peux aider ce malheureux à s’en tirer. Il a l’air tellement godiche !

— Ce n’est pas du tout l’effet qu’il m’a produit et je le crois très capable de s’en sortir tout seul ! Écoutez plutôt !

Le tapage se calmait en effet. On n’entendait plus qu’un bruit normal de conversation avec, parfois, une parole plus haute qui ressemblait au miaulement d’une chatte en colère mais, quand Francis ouvrit la porte, il n’y avait plus personne dans le couloir que le conducteur qui allait reprendre son poste au bas des marches de fer. Il le suivit pour saluer une dernière fois ceux qui les avaient accompagnés et qui, stoïques, attendaient dans le courant d’air du quai le départ du train. Il les engagea vivement à rentrer. Le jour qui avait été gris depuis le matin se chargeait de brouillard au point que, déjà, dans la gare, des lampes s’allumaient. Hubert et Dherblay acceptèrent et, après un dernier salut à Mélanie qui leur sourit derrière la vitre de sa fenêtre, ils s’éloignèrent d’un pas accordé. Il n’y avait plus grand monde sur le quai et cependant Pierre Bault ne bougeait pas.

— Le train part dans cinq minutes, fit observer Varennes. Il y a des voyageurs en retard ?

— Un seul et cela m’étonne car il est toujours l’exactitude même… D’ailleurs, le voilà !

Un homme, en effet, accourait de toute la vitesse de ses longues jambes, maintenant son chapeau enfoncé sur sa tête, un paletot jeté sur une épaule et un sac de cuir à la main. Il était temps : les employés refermaient les portières et, déjà, le long coup de sifflet du chef de gare se faisait entendre aussitôt suivi du grincement des essieux. Remonté sur le marchepied, le contrôleur se pencha pour assurer l’équilibre du nouveau venu qui sautait en voltige :

— Juste à temps cette fois, Monsieur Laurens !

— Vous savez très bien, mon cher Pierre, que je ne manque jamais un train ! Mais j’avoue que, cette fois, c’était à un cheveu ! Mon compartiment ?

— Toujours le même : le numéro 7 !

— Alors ne m’accompagnez pas : je connais le chemin !

Et traînant son sac après lui, il s’engouffra dans le couloir cependant que le train, lâchant des jets de vapeur, s’ébranlait. Avec un coup d’œil de dédain pour le complet de tweed beige fatigué, le chapeau de même tissu au bord légèrement gondolé, la cravate de laine tricotée et les brodequins de cuir marron du nouveau venu, Francis, en route pour son propre compartiment, se tourna vers le conducteur qui le suivait :

— Drôle de personnage ! Qui est-ce ?

— Un peintre, monsieur le Marquis… et un habitué.

— Cela prouve qu’il y a des peintres qui réussissent. Puis-je savoir son nom ?

— Il n’en fait pas mystère. Il se nomme Antoine Laurens.

— Connais pas ! Faites-moi donc apporter une fine à l’eau, s’il vous plaît ! Rien de plus éprouvant que le jour du mariage !

— Tout de suite. Madame la Marquise ne souhaite pas se rafraîchir elle aussi ?

— Allez le lui demander mais cela m’étonnerait. Madame la Marquise a surtout faim et elle attend le dîner avec impatience !

— Je veillerai avec le maître d’hôtel à ce que sa table lui convienne…

Avec une lenteur majestueuse, le Méditerranée-Express commence à glisser sur son double fil d’acier. C’est comme le début d’une valse où, après un appel des cuivres, les cordes entraînent l’orchestre sur un rythme à peine souligné en sourdine par des timbales. Le chant qu’elles entament va en s’amplifiant cependant que la cadence des percussions se fait plus ample. Lente d’abord, la valse s’envole comme une clameur de victoire. Le train entame la longue course qui, en quinze heures, va le mener jusqu’aux jardins ensoleillés de la Riviera.