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— S’il ne tient qu’à moi, votre rêve se réalisera !

— Alors suivez mon conseil et si le Toine vient gratter à votre porte, n’ouvrez pas !

Mélanie promit. C’était facile dès l’instant où son séducteur avait disparu dans un nuage comme un génie de conte oriental même s’il s’agissait d’un nuage de poussière. Mais qu’en serait-il lorsqu’il serait là, tout proche, tout chaud et tout vibrant ? Ce serait sûrement beaucoup plus difficile d’autant que, déjà, la maison sans lui paraissait vide ! Peut-être parce que les portes ne claquaient plus et que les jumelles riaient moins cependant que Polly et Percy faisaient de plus longues stations devant la cheminée de la cuisine. Quant à Victoire, elle semblait perdue dans ses pensées. Seul Prudent demeurait égal à lui-même, c’est-à-dire silencieux comme un trappiste. La présence ou l’absence du maître n’y changeaient jamais rien.

Les longs moments de réflexion de Victoire débouchaient toujours sur Mélanie à qui elle dispensait alors d’étranges conseils de beauté. C’est ainsi que, pour lutter contre ses taches de rousseur, elle lui proposa tour à tour du jus de citron avec du sel, une mixture faite de jus de cresson et de miel, de l’oignon écrasé dans du vinaigre en ajoutant que, dès l’apparition des premières fraises, elle les lui réserverait pour qu’elle s’en fît des masques. Mélanie rit beaucoup, protesta qu’elle préférait de beaucoup manger les fraises mais essaya tout de même le citron salé. D’autant que son mentor lui offrit en même temps un petit pot d’une sorte de crème à l’odeur douce dont elle refusa d’ailleurs de lui donner la composition mais en assurant qu’elle en tirerait le plus beau teint du monde.

— Vous n’êtes pas raisonnable, remarqua Mélanie au soir de cette grande conversation qu’elles avaient eue ensemble. Vous voulez que je sois belle mais aussi que je ferme ma porte. Est-ce logique ?

— Je crois, oui. Prenez un âne ! Plus les carottes que vous lui donnerez seront fraîches et tendres et plus il en mangera… jusqu’à indigestion. Mais s’il voit les mêmes carottes à sa portée sans pouvoir y toucher, il fera n’importe quoi pour se les approprier.

— Pauvre âne ! Il risque de devenir fou…

— On n’ira pas jusque-là mais on verra à lui en donner… modérément pour qu’il n’en perde pas le goût !

Cette philosophie maraîchère amusa beaucoup Mélanie et lui fit passer un moment. La lecture des journaux lui en fit passer un autre, plus exaspérant. On avait beaucoup remarqué, au dernier bal de lady Decies, l’extrême élégance de Mme Desprez-Martel dans une robe de brocart bleu et or signée Paquin avec une longue traîne ourlée de martre. Très entourée, elle avait été la reine incontestable de cette belle soirée…

Le journal vola à l’autre bout de la petite pièce qui servait de bibliothèque et où Mélanie aimait à s’installer pour lire tout ce qui lui tombait sous la main avec la volupté de quelqu’un dont les lectures ont toujours été très surveillées. C’était la première fois qu’elle s’intéressait à une chronique mondaine mais celle-là eut le don d’exciter sa colère. Elle n’imaginait que trop sa mère, bienheureusement débarrassée d’une fille qu’elle s’était toujours efforcée, sinon de cacher, du moins de maintenir dans une enfance factice et hors de saison. Elle devait rayonner à présent et se griser longuement des compliments de ses nombreux admirateurs. Et sans doute n’accordait-elle même pas une pensée à celle qu’elle devait considérer comme sortie de sa vie ? La seule chose que Mélanie s’interdisait d’imaginer c’était que sa mère eût pu tremper dans l’ignoble combinaison montée par Francis. Par contre une question lui venait tout naturellement à l’esprit, maintenant qu’elle connaissait l’amour : Albine avait-elle eu des amants ? Peut-être même en avait-elle encore. À moins qu’elle n’eût choisi de rester fidèle à Francis car, en se remémorant certaine attitude, certaines paroles, certains regards, Mélanie en arrivait à la certitude que, dès avant ses fiançailles, sa mère était la maîtresse de Varennes…

Elle n’en éprouva pas de chagrin. Depuis qu’Antoine était entré dans sa vie, ces gens avaient perdu le pouvoir de lui faire du mal. Elle souhaitait seulement les oublier et marcher d’un pas ferme dans ce chemin nouveau qu’un génie ferroviaire venait d’ouvrir devant elle. Un chemin qu’elle entendait suivre jusqu’au bout, même s’il fallait faire de temps en temps du saut d’obstacles.

Elle attendit donc le retour d’Antoine d’un cœur tranquille mais disposé au combat. En fait, ce qu’elle éprouvait c’était ce mélange d’espoir, de patience et de pugnacité qui caractérise le chasseur à l’affût.

Ce que Mélanie n’imaginait pas c’est qu’Antoine, de son côté, prenait lui aussi des décisions de sagesse.

La superbe envolée romantique dont il avait été victime et qui l’avait poussé à enfourcher ses chevaux-vapeur à la nuit close s’était arrêtée net vers les deux heures du matin et à quelques kilomètres de Draguignan sous une pluie torrentielle qui avait noyé son moteur et presque transpercé sa peau de bique.

Par chance, un bâtiment s’élevait non loin du lieu où il était tombé en panne. Trempé, sacrant et maugréant, il avait réussi à pousser l’automobile jusqu’à cette maison et à l’abriter sous une espèce d’auvent, après quoi il avait cherché à se mettre lui-même à couvert, tapant à coups redoublés sur une porte solide qui avait fini par s’ouvrir de mauvaise grâce bien qu’il s’agît d’une de ces auberges de grands chemins comme il en pousse un peu partout dans les lieux déserts. Celle-là aurait pu servir de décor à la fameuse Auberge des Adrets qui, au siècle précédent, avait fait la gloire de Frédéric Lemaître tant l’atmosphère y évoquait le coupe-gorge. En fait ce n’était qu’une brave petite hôtellerie tenue par un vieux couple terrifié chez qui Antoine trouva une soupe chaude, un grog à réveiller un mort et un lit propre où il dormit comme une souche sous un édredon qui ressemblait à une énorme fraise. Le lendemain, le soleil était revenu, la Panhard-et-Levassor avait séché et le café qu’on offrit à Antoine avec d’épaisses tartines d’un succulent miel de lavande lui rendit quelque optimisme. Il paya royalement et sut même trouver de ces mots qui vous conquièrent les cœurs pour l’éternité mais, tandis que sa voiture grimpait en toussant un peu vers Salernes, il s’aperçut que tout lyrisme l’avait abandonné. Fermant sa mémoire et son cœur aux souvenirs trop grisants, il pensa qu’il s’était conduit comme un imbécile fieffé et que ses amours avec l’adorable Mélanie, s’il les poursuivait, pouvaient le conduire à de fort désagréables impasses.

— C’est trop facile de l’aimer, pensait-il. Qui pouvait supposer que cette gamine, mal nippée en dépit de sa fortune, possédât un corps digne de servir de modèle à Psyché ? Quand je l’ai vue venir, ravissante et nue, il m’a semblé que mon sang prenait feu. Mais il ne faut pas que cela se reproduise.

« Facile à dire ! protesta sa voix intérieure. Combien de temps penses-tu pouvoir tenir en face de la tentation ? En amour c’est le premier pas qui compte et quand ce pas est engagé dans une voie délicieuse, comment y renoncer ?… »

La meilleure solution était sans doute de penser aux conséquences possibles. Que deviendrait Mélanie si elle se retrouvait enceinte ? Cette seule pensée angoissait Antoine qui, jusqu’à présent, ne s’était jamais soucié des suites potentielles de ses amours fugaces. Il était peut-être l’heureux père d’un futur lord anglais, d’un marchand de frites belge et d’un ou deux petits Chinois mais aucune de ses maîtresses n’était vierge. Aucune, non plus, n’avait comme Mélanie touché les profondeurs de son cœur et il s’avouait qu’avoir d’elle un enfant l’eût comblé de bonheur. Un petit être qui gonflerait doucement ce ventre doux comme du satin et qu’un matin de soleil ferait éclore comme un camélia rose, quel joli rêve !… Beaucoup trop dangereux dans les circonstances actuelles ! Le diable seul savait quelle arme redoutable Varennes saurait faire de cet enfant.